Le but et le chemin : la société à 2000 watts

Berne, 20.04.2007 - Conférence du G8-UE sur l’efficacité énergétique, Allocution Moritz Leuenberger

Au commencement, il y a un but

A l’origine de toute politique, il y a un but. Qui sait cela mieux que l’Europe? En pleine guerre froide, des visionnaires se sont donné pour objectif de réconcilier les anciens ennemis et de souder ce continent de façon à ce qu’une guerre n’y soit plus jamais possible.

Il y a 50 ans, six Etats ont signé le traité de Rome.

Il y a quelques années, l’ONU s’est donné pour objectif de réduire de moitié la pauvreté dans le monde d’ici en 2015.

A Kyoto, on s’est promis de réduire de 5,2% les rejets de gaz à effet de serre.

La liste n’est pas exhaustive. Nous connaissons des objectifs sociaux, des objectifs de croissance, des objectifs électoraux, des objectifs de législature.

Cela dit, il ne suffit pas de nous retrousser les manches et de cracher dans nos mains. Avant de nous mettre à creuser des trous dans les planches épaisses de l’action politique, nous prenons la mesure et décidons où nous voulons aller. Nous nous fixons un objectif exigeant, un objectif qui nous force à entreprendre tout notre possible, et quelquefois même l’impossible. Lorsqu’il est clair qu’un objectif doit être atteint, nous ne demandons pas « Est-ce bien réaliste ? ». Nous l’affirmons « Nous atteindrons cet objectif parce qu’il le faut ».

C’est ce qu’on appelle prendre ses responsabilités.

Il fallait un certain courage pour fixer dans le protocole de Kyoto des objectifs contraignants de réduction des rejets de CO2. Grâce à ce courage, la progression des émissions a bel et bien été freinée en Europe et au Japon. Désormais, le rejet de CO2 a un prix. Quiconque produit trop de gaz carbonique, qui réchauffe l’atmosphère, doit payer pour cela.

Mais nous le savons bien:

« Se donner des buts est relativement facile, les concrétiser est très difficile ».

  • La mise en œuvre du processus dans chaque pays, avec la ratification du protocole et l’adoption de mesures législatives, a en effet été extrêmement laborieuse. Plus d’un ministre de l’environnement s’est heurté à l’opposition du ministre des infrastructures ou de l’économie.
  • Les choses sont un peu plus simples en Suisse, où l’environnement et les infrastructures telles que l’énergie et les transports relèvent d’un seul et même ministère. Mais même dans cette situation relativement confortable, j’ai bien dû le constater : c’est une chose de se donner des objectifs courageux, mais pour les atteindre, c’est une autre paire de manches. 
  • Le peuple suisse, lors d’une votation populaire, a donné un mandat extrêmement ambitieux au gouvernement suisse : faire diminuer de moitié le trafic routier lourd à travers les Alpes, cela en quelques années. Le nombre de camions sur cet axe doit passer de 1,3 million à 650'000 par an. La motivation écologique est à l’origine de cette décision. Sa mise en œuvre exige des mesures d’harmonisation complexes avec l’UE et avec nos pays voisins, un processus dans lequel nos engagements internationaux et les obstacles techniques au commerce nous entravent. Et surtout : il faut prendre nombre de mesures isolées qui se heurtent à leur tour à des difficultés politiques:
  • Nous devons accroître nos capacités ferroviaires. Nous construisons deux tunnels ferroviaires de base à travers le massif alpin – et nous devons les payer.
  • Nous percevons pour cela une redevance sur le trafic routier lourd, imposée également aux véhicules étrangers. Cela a causé des résistances, l’UE a craint une discrimination des transporteurs étrangers.
  • De leur côté, les transporteurs suisses se sont inquiétés pour leur compétitivité. Ainsi il a fallu faire accepter chaque étape du processus en votation populaire.
  • Nous sommes encore loin du but. Mais le premier tunnel de base sera ouvert cette année et le nombre de camions sur nos routes diminue d’année en année.


J’ai choisi cet exemple dans le domaine des transports pour souligner que la politique climatique doit faire son entrée dans tous les secteurs et dans tous les ministères.

C’est au moment où l’on prend des mesures concrètes que se manifestent les conflits et qu’apparaissent les vrais dilemmes:

  • Pouvons-nous accepter des centrales à gaz alors même qu’il en résultera un accroissement des rejets de CO2 ? Aujourd’- hui, la production d’électricité en Suisse se fait sans aucun recours à des agents fossiles.
  • Malgré tous ses problèmes irrésolus et son potentiel de dangers, l’énergie atomique n’a-t-elle pas, au moins, des avantages d’un point de vue de politique climatique ?
  • Allons-nous exploiter les ressources hydrauliques jusqu’à la dernière goutte, même si la faune et la flore en souffrent ?

La société à 2000 watts

  • L’UE entend réduire de 20% ses rejets de CO2 et améliorer de 1% chaque année son efficacité énergétique.
  • La Suède est le premier pays industrialisé à viser l’abandon du pétrole, d’ici en 2020 – c’est-à-dire en l’espace de 14 ans. L’objectif est de remplacer tous les combustibles fossiles par des énergies renouvelables.
  • D’ici 2020, l’Allemagne veut accroître de 20% la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité.
  • La Californie prévoit de réduire les émissions de 25% d’ici en 2020 et d’instaurer, avec d’autres Etats américains, un commerce de certificats pour les émissions de dioxyde de carbone.


En Suisse, nous avons aussi un but. Mais je dois préciser que c’est un objectif à long terme, une vision, fixé dans la stratégie de développement durable du gouvernement. Beaucoup de personnes, dont je suis, se sont donné pour tâche d’en faire un objectif contraignant. On l’appelle « la société à 2000 watts », et c’est un projet de l’Ecole polytechnique de Zurich. Il est né dans l’esprit des chercheurs.

Notre responsabilité politique est de mettre en œuvre ces idées. Nous voulons réduire de deux tiers la consommation d’énergie de chaque citoyen. 2000 watts, c’est la consommation moyenne d’énergie d’un habitant de notre planète. Notre intention est d’y arriver d’ici en 2100.

Aujourd’hui, nous consommons 6000 watts par personne dans les pays industrialisés d’Europe, pour 500 watts seulement en Ethiopie, 12'000 watts aux USA.

Au vu de ces chiffres, on pourrait qualifier la société à 2000 watts d’utopie.

Et pourtant la technologie existe là. J’ai visité récemment le nouveau bâtiment d’un centre de recherche qui fonctionne presque sans aucun apport externe d’énergie, une construction qui a valeur de prototype. Cela ne se voit pas, car on a utilisé des matériaux conventionnels. La température y est seulement un peu fraîche pendant les vacances de fin d’année quand les bureaux sont vides, parce que l’essentiel du chauffage est assuré par la présence du personnel et par le fonctionnement des lampes et des ordinateurs (un manque de chaleur largement compensé bien sûr par le message de Noël et le rayonnement des cœurs qui en résulte.) La construction n’a du reste pas coûté particulièrement cher, pas plus qu’une autre.

Cet exemple le montre: nous pouvons réaliser la société à 2000 watts, et cela sans perte ni de mobilité ni de confort,

  • si nous n’utilisons que les appareils les moins gourmands en énergie,
  • si nous construisons en privilégiant systématiquement les solutions qui consomment le moins d’énergie et
  • si nous choisissons les meilleures technologies dans les transports.

Certes, ces standards sont difficiles à appliquer, mais la faute n’en est pas aux technologies, car elles existent et elles sont commercialisables. Mais elles sont bien souvent plus chères que les produits conventionnels. Voilà le problème, dans un système économique qui repose sur l’échange de produits.
  • Si nous voulons prescrire ces standards en Suisse, les milieux économiques se plaindront d’être discriminés par rapport à l’UE.
  • Si l’UE de son côté parle d’adopter des prescriptions, son économie s’affirmera défavorisée par rapport à celle des USA.
  • Quant aux USA, ils doivent affronter la concurrence des pays d’Asie ou d’Amérique latine.


On connaît le refrain. « Je voudrais bien, mais la concurrence m’oblige malheureusement … »

Cette cascade d’excuses est inadmissible. Certes, nous dépendons tous les uns des autres, c’est incontestable. Mais rien ne nous oblige à suivre un mouvement qui (comme l’eau) se dirige toujours vers le plus bas niveau. Nous ne pouvons pas nous satisfaire du plus petit dénominateur commun. Nous devons au contraire aspirer à la plus haute responsabilité commune.

Cela nous amène à reconnaître une chose importante : les buts communs ne suffisent pas, il nous faut aussi prendre ensemble le chemin pour y arriver.

(Ce qui vient d’être dit est certes surprenant de la part d’un pays non membre de l’UE …mais il y a aussi des Suisses qui m’écoutent).

Une taxe CO2 à l’échelon mondial

En quoi consiste cette responsabilité commune à laquelle nous devons aspirer?

Pour réaliser la vision d’une société à 2000 watts, des approches très diverses sont nécessaires:

  • Il est nécessaire que la consommation d’énergie s’affiche, qu’elle soit visible. Seul le consommateur qui sait combien d’énergie consomment les appareils, les véhicules, les appartements et les bâtiments, peut vraiment choisir.
  • Ensuite, nous voulons des standards pour les maisons à basse consommation d’énergie ou les maisons à zéro consommation d’énergie et nous voulons la déclaration obligatoire de tous les produits.
  • Et puis il faut la volonté politique de ne pas laisser cette vision s’évanouir en utopie, il faut la volonté de creuser les planches épaisses de la politique, de les travailler, c’est-à-dire de réaliser
  • des plans de mise en œuvre,
  • des programmes énergétiques,
  • la maison à basse consommation d’énergie,
  • la pompe à chaleur, le biogaz,
  • l’automobile à 3 litres aux cent,
  • les véhicules à propulsion hybride.


Notre économie est parfaitement en mesure de relever ce défi. Si elle ne le fait pas de manière volontaire, la loi interviendra.

Tout cela ne suffit pourtant pas. On sait que le succès n’est assuré que si les économies d’énergie sont rentables ; il faut que l’économie y trouve son profit, faute de quoi le marché sera toujours dominé par ceux que la consommation enrichit. Le CO2 a bien un prix, mais ce prix n’est pas assez élevé.

Seule une impulsion nouvelle nous permettra d’atteindre nos objectifs. Une taxe mondiale sur le CO2, prélevée dans le monde entier, serait une telle impulsion. En renchérissant partout l’énergie fossile, elle inciterait partout aux économies d’énergie. Et elle frapperait tous les agents économiques de manière égale.

Introduire une taxe CO2 dans le monde entier ne sera pas simple. Je viens d’en faire l’expérience en Suisse. Il nous a fallu des années pour parcourir le chemin qui va de l’objectif d’adopter une telle taxe jusqu’à son introduction réelle, et ce n’est encore qu’une taxe sur les combustibles, et non pas sur les carburants, qui produisent pourtant le plus de CO2.

Le projet d’une taxe mondiale sur le CO2 suscitera des objections, nombreuses comme les étoiles au firmament. Mais le réchauffement climatique, de son côté, va nous coûter des sommes astronomiques dans les décennies à venir. Une taxe CO2 aurait un double effet. Elle permettrait à la fois de freiner le réchauffement climatique, de payer les dégâts qu’il entraîne et de financer des mesures de préventions. Nous savons que si le niveau de la mer s’élève, de vastes zones côtières disparaîtront, cela surtout dans le sud, lésant les régions qui ont le moins contribué au réchauffement climatique.

Nous dépendons tous les uns des autres. Il ne suffit pas d’avoir des buts communs, que ce soit la société à 2000 watts ou les objectifs de l’UE ou ceux de Kyoto, nous devons trouver aussi un chemin à suivre tous ensemble, et nous devons nous forcer à faire tout notre possible, voire l’impossible, que nous ne connaissons pas encore.

Nous ne pouvons plus nous permettre de nous demander longuement : est-ce vraiment réaliste ? Constatant qu’un objectif doit être atteint, nous n’avons qu’une seule issue : nous pourrons l’atteindre parce qu’il le faut.

Ensemble nous pouvons y parvenir, à l’exemple de l’UE. Cinquante ans après le traité de Rome, elle a rendu possible l’impossible.

Aujourd’hui, le défi que nous affrontons n’est pas moins grand. Aujourd’hui, il y va de la Terre entière.


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