Dans un environnement tourmenté, une Suisse résiliente

Berne, 25.09.2019 - Allocution de M. le Conseiller fédéral Guy Parmelin, Chef du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR) à l’occasion de la conférence annuelle de l’association EXPERTsuisse.

Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur,
Mesdames et Messieurs les membres d’EXPERTsuisse et de son conseil politique,

Chers invités en vos titres et fonctions,

Je vous remercie tout d’abord de m’avoir associé à votre conférence annuelle et je me fais un plaisir à ce titre d’apporter à votre nombreuse assemblée les salutations de mon département.

Nous avons vous et moi un point commun qui est d’importance : notre activité professionnelle nous conduit à nous intéresser de près à l’évolution de la conjoncture et à l’état de santé de notre économie. Aussi, c’est très volontiers que, sur votre demande, je vais vous livrer mon appréciation personnelle sur ce point ainsi que sur les conditions-cadres qui l’influencent, enfin sur les derniers développements de la loi sur le travail, conformément aux souhaits que vous avez exprimés.

Notre économie nationale affiche un portrait contrasté selon les secteurs. Très généralement, le produit intérieur brut de notre pays a augmenté de 0,3 % au 2e trimestre 2019, après une hausse de 0,4 % au trimestre précédent. La croissance au premier semestre a ainsi été légèrement inférieure à la moyenne de long terme et elle se situe dans la moyenne au niveau international.

A l’instar d’autres pays européens, les demandes intérieure et extérieure ont été faibles. Cela a eu un impact particulièrement négatif sur le secteur des services. Cependant, contrairement aux autres pays européens, l’industrie a contribué de manière significative à la croissance du PIB au deuxième trimestre.

Le secteur de la chimie-pharma, en particulier, a poursuivi sa progression. En revanche, d’autres secteurs industriels, en particulier celui des machines et des métaux, ont enregistré une baisse de leurs chiffres d’affaire et ont ainsi suivi la tendance internationale.

Quant au marché du travail, il apparaît en bonne santé. Le chômage est faible – le taux de chômage en août était de 2,3 % –, tandis que l’emploi est en hausse.

Quoi qu’il en soit, les indicateurs de confiance se sont détériorés depuis le début de l’année, tant à l’étranger qu’en Suisse, et ils continuent de pointer vers une faible demande extérieure. A cela s’ajoute l’appréciation récente du franc suisse, laquelle est consécutive à la grande incertitude économique qui règne à l’échelle mondiale. Ces deux facteurs impactent fortement notre industrie, épargnant, du moins pour le moment, le secteur des services.

Les perspectives économiques, comme vous pouvez l’imaginer, soit loin d’être enthousiasmantes.

Au cours de l’année 2019, l’environnement international s’est dégradé, et avec lui une partie de l’optimisme envisagé pour notre économie. Le groupe d’experts de la Confédération s’attend ainsi à une croissance du PIB de 0,8 % pour 2019, alors que les prévisions étaient initialement de 1,2 % pour cette année. En revanche, elle resterait stable, à 1,7 %, pour 2020.

Le ralentissement observé en 2019 et l’augmentation de la croissance du PIB en 2020 sont en partie dus aux grands événements sportifs, qui ont au demeurant peu de pertinence au niveau conjoncturel. Corrigée de ces effets, la croissance sera par conséquent tout aussi modérée en 2020.

Pour l’économie mondiale, les risques à la baisse prédominent clairement. Avec l’introduction par les États-Unis de nouveaux tarifs douaniers sur les biens de consommation chinois, le conflit commercial international s’est à nouveau intensifié. Si la situation devait encore se détériorer, l’économie s’affaiblirait plus fortement que prévu.

Politiquement d’ailleurs, l’incertitude est générale. Elle reste élevée, tant en ce qui concerne les relations de la Suisse avec l’UE autour de l’accord-cadre que les conditions de réalisation du Brexit. Un Brexit dur représenterait un frein considérable pour l’économie européenne dans son ensemble et donc indirectement pour la Suisse aussi. En effet, une détérioration des relations européennes de notre pays pourrait nuire à son attrait en tant que place économique et réduire les intentions d’investissements dans notre pays. Comme vous le savez toutes et tous, notre économie traverse une phase de digitalisation intensive. Considérons-là comme une opportunité, mais gardons également un œil sur les conditions-cadres qui peuvent faciliter cette transition et donc favoriser l’essor de notre pays.

La numérisation transforme fortement l’économie et le monde du travail. Elle les révolutionne, en quelque sorte, sans qu’aucun secteur ou presque y échappe. Elle est depuis quelques années l’un des principaux vecteurs du profond changement structurel que connaît la Suisse aujourd’hui. Pour un pays pauvre en ressources naturelles comme elle l’est, la digitalisation constitue par conséquent une véritable chance et non une menace.

En comparaison internationale, notre pays apparaît comme l’un des acteurs les plus chevronnés de ce processus. La Suisse est ainsi très bien placée dans les classements internationaux portant sur l’aptitude numérique : 4e dans le ranking du WEF et 5e dans celui de l’IMD. A cela s’ajoute qu’au cours des vingt dernières années, 860'000 emplois nets ont été créés en Suisse, et cela malgré le bouleversement structurel qu’a subi notre société.

Les nouveaux développements technologiques, comme l’informatique en nuage – le « cloud computing » –, les données massives – le « big data » –, l’internet des objets, les chaînes de blocs – le « blockchain » – ou encore l’intelligence artificielle favorisent l’émergence de nouveaux produits, services et modèles d’affaires.

Pour les entreprises, la numérisation ouvre de nombreuses perspectives : une meilleure intégration dans les chaînes de valeur mondiales, un accès plus facile à de nouveaux marchés et des gains de productivité significatifs, par exemple grâce à une automatisation plus poussée des processus de gestion. La digitalisation jette également les bases d’une nouvelle communication entre entreprises et clients.

Notre monde connaît des mutations extrêmement rapides et gagne en complexité. Comme l’évolution numérique est difficilement prévisible, il faut garder à l’esprit le risque de mettre en place des réglementations inadaptées. Dans ce contexte dynamique et incertain, les programmes de politique industrielle, comme la promotion ciblée de certains secteurs, branches ou entreprises, la promotion de leurs technologies aussi, ne sont pas adéquats. L’essentiel à mon sens reste de créer des conditions-cadres favorables pour l’économie, mais aussi pour les entrepreneurs, et de les réexaminer en continu.

La liberté, en l’occurrence la marge de manœuvre entrepreneuriale, est la condition sine qua non pour que les entreprises puissent tirer parti de la numérisation. Le potentiel économique est en effet plus facile à exploiter lorsque le secteur privé est libre de saisir les opportunités qui s’offrent à lui.

Les autres facteurs clés permettant de gérer le plus efficacement le changement structurel sont l’attrait de la place économique suisse, la stabilité des conditions économiques générales, la qualité des infrastructures et une main-d’œuvre qualifiée. A cela s’ajoutent une politique monétaire axée sur la stabilité et la faculté d’adaptation du marché de l’emploi, soutenue par un partenariat social bien rodé et une politique active du marché du travail. La grande capacité d’innovation des entreprises suisses en comparaison internationale représente également un atout majeur. Dans ce contexte, il convient également de souligner la qualité et le degré de perméabilité élevés du système suisse de formation.

Ces conditions-cadres doivent être sans cesse améliorées pour qu’elles puissent s’inscrire dans la durée. Ainsi, le Conseil fédéral a approuvé plusieurs analyses sur le sujet, notamment concernant la réglementation de l’économie numérique, le marché du travail et les conditions de travail, l’emploi, la formation ou encore la recherche et l’innovation. Sur la base de ces analyses, le Conseil fédéral a œuvré à la mise en place d’un certain nombre de mesures visant à améliorer les conditions-cadres applicables à l’économie numérique.

La Suisse est jusqu’à maintenant toujours parvenue à tirer profit du changement structurel. Pour qu’il en soit de même à l’avenir, elle devra continuer d’optimiser ses conditions-cadres dans ce sens pour que notre pays préserve ses points forts en la matière et qu’il les complète au besoin par des mesures ciblées.

J’aimerais vous dire enfin quelques mots sur la position du Conseil fédéral, et singulièrement de mon département, au sujet de la loi sur le travail et du modèle de travail actuel.

La loi sur le travail vise avant tout à protéger la santé des travailleurs. A ce titre, elle fixe un cadre en matière de durée du travail et de repos. Ce cadre offre toutefois une grande souplesse en prévoyant notamment de nombreux aménagements tenant compte des besoins spécifiques des branches. On peut relever que la loi permet, à certaines conditions, des durées hebdomadaires de travail pouvant aller jusqu’à une soixantaine d’heures et que la plage ouverte, à l’exception du dimanche, va de 6 heures du matin à 23 heures le soir.

Si le cadre légal n’a pas sensiblement évolué depuis son entrée en vigueur en 1966, quelques révisions législatives ponctuelles ont accru la souplesse de ce dispositif. C’est notamment le cas en ce qui concerne le travail du soir et le régime des magasins et entreprises de service situées dans les aéroports et les gares à forte fréquentation.

Par ailleurs, les aménagements ont été constamment adaptés à l’évolution du monde du travail au fil de nombreuses révisions d’ordonnances. Ce processus dynamique se poursuivra évidemment pour tenir compte des changements à venir. Les besoins que ces changements induisent font régulièrement l’objet de discussions au sein de la Commission fédérale du travail où siègent des représentant des partenaires sociaux, des cantons et de la science.

Le fait que le cadre légal ait été fixé il y a plus de cinquante ans n’enlève rien à la pertinence de l’objectif de protection : le lien entre la durée excessive du travail et certains problèmes de santé étant scientifiquement établi.

Protéger la santé des travailleurs est non seulement dans l’intérêt de la collectivité, mais aussi dans celui des entreprises qui préservent ainsi leur capital humain.

Une modernisation globale de l’instrument serait certainement indiquée à terme mais elle suppose que les partenaires sociaux s’entendent sur le principe d’une révision totale, ce qui n’a pas été le cas jusqu’ici.

Le partenariat social étant un principe cardinal de notre modèle de travail, il n’est pas prévu que le Conseil fédéral aborde la question d’une révision à ce stade. Toutefois, le DEFR suivra l’évolution de la discussion et accompagnera les partenaires sociaux dans leurs réflexions. Il tiendra également compte des suites données par le Parlement aux initiatives parlementaires actuellement en discussion. En attendant, les mécanismes d’adaptation actuels permettent de faire face aux évolutions du marché du travail et de répondre aux besoins de l’économie.

Mesdames et Messieurs,

Comme vous le constatez vous aussi, sans doute, notre pays peut construire son avenir sur des bases solides et éprouvées. Il est cependant appelé à le faire dans un monde désormais globalisé, dans un système en accélération constante, et sur des marchés de plus en plus compétitifs. Tout le défi est là. Si je suis optimiste quant à la capacité de la Suisse à le relever tout en restant un acteur clé dans cet environnement, en particulier grâce à nos hautes écoles et à nos chefs d’entreprise, je tiens à souligner combien l’action politique est importante pour que notre économie demeure performante et que nous restions ainsi maîtres de notre destin. C’est en tous les cas sous cet angle que je conçois l’action que j’ai l’avantage de conduire à la tête de mon département.

Je vous remercie de votre attention et vous souhaite une excellente suite de journée.


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