Les petits font de grandes choses dans les lacs

Dubendorf, 05.10.2017 - Dans les lacs, les bactéries unicellulaires peuvent provoquer un brassage des couches d'eau. Ce n'est pas en faisant tourbillonner l'eau de leurs flagelles qu'elles réalisent ce tour de force mais en se rassemblant et en modifiant ainsi la densité de l'eau. En descendant, l'eau alourdie provoque alors un tourbillonnement. Ce processus vient maintenant d'être mis en évidence non seulement au laboratoire mais également dans la nature au lac tessinois de Cadagno.

Les micro-organismes sont-ils capables de brasser les eaux d'un lac ? Jusqu'à présent, toutes les études l'infirmaient, les minuscules tourbillons formés lors de leurs déplacements étant beaucoup trop faibles. Selon elles, ils ne parviendraient pas à déstabiliser la forte stratification causée, par exemple, par les différences de température ou de salinité.

Une nouvelle étude montre maintenant que les micro-organismes peuvent fort bien déplacer de grandes masses d'eau mais qu'ils ne le font pas directement par leur activité natatoire mais de manière indirecte. En étant plus lourds que l'eau, ils peuvent en effet augmenter sa densité par leur présence. S'ils se rassemblent localement en très grand nombre, l'augmentation de densité peut être telle que l'eau alourdie s'abaisse avec sa charge. Ce phénomène induit un brassage des masses d'eau qui s'accompagne d'échanges physico-chimiques. Pour entretenir ce processus, les micro-organismes doivent remonter activement vers les couches supérieures. Les scientifiques appellent ce phénomène la bioconvection.

L'équipe internationale de recherche dirigée par l'Eawag a maintenant démontré l'existence de la bioconvection non seulement en laboratoire mais également dans la nature, au lac tessinois de Cadagno. À cet endroit, les bactéries de l'espèce Chromatium okenii sont en mesure de mélanger des couches d'eau pouvant atteindre deux mètres d'épaisseur. Elles sont principalement présentes dans les profondeurs lacustres dépourvues d'oxygène et c'est à environ 12 mètres de profondeur qu'elles forment une couche bactérienne épaisse dans le lac de Cadagno. En utilisant des techniques automatisées empruntées à la microbiologie de l'eau potable, les scientifiques y ont mesuré plus de dix mille de ces bactéries à flagelles par millilitre, soit plus de 10 milliards par mètre cube. Les bactéries remontent en nageant vers la lumière et s'arrêtent à la limite des eaux oxygénées. En dessous de cette limite, les organismes unicellulaires se rassemblent et font augmenter la densité de l'eau de plusieurs pour mille. Ceci suffit pour faire descendre l'eau alourdie et lancer le processus de brassage (cf. simulation du graphique 1). Dans le lac, ce phénomène explique qu'en plein été, des grandeurs telles que la température ou la salinité se stabilisent soudain entre 11 et 13 mètres de profondeur au lieu de continuer à augmenter ou à baisser avec la profondeur (Graphique 2).

L'environnementaliste Tobias Sommer, premier auteur de l'étude, est fasciné par les résultats : «En plus des bactéries que nous avons étudiées, de nombreux autres organismes peuvent provoquer une bioconvection. Nous supposons donc que ce phénomène jusqu'alors sous-estimé est assez répandu et qu'il joue également un rôle au niveau écologique, notamment dans les blooms algaux.»

Article original : Sommer, T., et al. (2017), Bacteria induced mixing in natural waters, Geophys. Res. Lett., 44, https:\\dx.doi.org\10.1002/2017GL074868;

Institutions ayant participé à l'étude : Eawag, SUPSI Bellinzona, ETH Zürich, EPF Lausanne, MPI Bremen, University of Iowa (USA) Middle East Technical University Ankara (Turquie). Les travaux ont été financés par l'Eawag, l'ENAC Professors Visiting Program de l'EPFL et le FNS.


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Auteur

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