L’art de concilier les contraires

Davos, 20.01.2016 - Forum économique mondial 2016 – discours d’ouverture du président de la Confédération Johann N. Schneider-Ammann

Monsieur le Professeur Schwab,
Vos Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Dans un monde qui ne s'arrête jamais et qui exige sans cesse des décisions de grande portée, les moments consacrés à la réflexion et à la coopération sont essentiels.

« Echanges » et « ententes », voilà les deux raisons qui vous ont amenés au cœur des montagnes suisses. J'ai le plaisir de vous accueillir dans notre pays, soyez les bienvenus à Davos. La Suisse est fière d'être par tradition un lieu de dialogue. Qu'il s'agisse de dialoguer sur les plans politique ou humanitaire dans le cadre de conférences internationales. Ou qu'il s'agisse de contribuer à la paix en sa qualité de médiatrice. La Suisse des bons offices inspire la confiance - aujourd'hui et à l'avenir.

Ici à Davos, le dialogue économique est sur le devant de la scène. Les questions abordées ne connaissent pas de frontières. Votre programme est dense, les compétences réunies sont élevées. Je serai donc bref. Permettez-moi simplement d'évoquer trois points importants en guise d'introduction :

1. La situation actuelle dans le monde

2. La gestion du changement et

3. La conciliation des contraires.

1. La situation actuelle dans le monde :

Nous sommes réunis ici à Davos en des temps agités. Il est vrai que les périodes tranquilles n'existent pas. Pourtant, il y a encore une année seulement, les esprits étaient plus optimistes, tout paraissait plus stable. L'année 2015 a été rythmée presque sans relâche par les crises économiques, les attentats meurtriers et les flux migratoires. Des dettes écrasantes, des guerres sanglantes et des conflits dévastateurs ont également contribué à propager l'insécurité.

Mais se résigner au lieu de réagir avec détermination serait une erreur fatale. Car le monde, dans son ensemble, nous montre également des démocraties efficaces, des industries compétitives, de nouveaux marchés florissants, sans oublier la croissance. Rien ni personne ne peut freiner les progrès technologiques et, partant, le développement industriel. Nous sommes tous directement touchés par l'évolution des choses.

Le travail est synonyme de subsistance pour la plupart des gens au sein de nos sociétés modernes. Une économie saine dépend du libre-échange, de la souplesse du marché du travail et de la liberté économique. Elle dépend d'infrastructures modernes, d'un niveau de formation élevé et d'une sécurité sociale affichant un taux d'endettement faible ainsi qu'un esprit d'innovation infatigable. En d'autres termes, les entreprises dépendent d'Etats et d'institutions solides, mais aussi d'une politique qui se montre à nouveau plus libérale au lieu d'être toujours plus austère. De telles conditions sont essentielles pour pouvoir saisir les opportunités qui se présentent. La liberté a un prix : c'est la responsabilité. La clé du succès ne réside pas uniquement dans des accords bilatéraux qui ont fait leurs preuves, mais aussi dans des accords commerciaux mondiaux solides et durables.

Toutes ces conditions sont nécessaires à l'emploi, à la croissance et à la prospérité. Or à l'heure actuelle, le scepticisme freine le libre-échange. On se réfugie dans le protectionnisme, en oubliant que le revenu par personne ne peut à long terme augmenter que si les marchés sont ouverts.

2. La gestion du changement

L'appel lancé par le Forum consiste à gérer la quatrième révolution industrielle. C'est un appel à accepter, et donc à maîtriser, les changements.

Certains changements suscitent des peurs, principalement des peurs liées aux progrès technologiques. Ainsi lors de la première révolution industrielle, les travailleurs se sont sentis menacés par l'arrivée des machines. Même réaction lors des deuxième et troisième révolutions : le travail à la chaîne puis les ordinateurs ont suscité des peurs qui ont parfois donné lieu à des révoltes. Il est vrai que ces phases de transition ont été difficiles, défavorables et douloureuses pour beaucoup de gens. « Progression rime avec régression » : tel a souvent été le premier bilan.

L'histoire nous montre toutefois que la globalisation nous a tout compte fait apporté bien plus de bonnes choses que de mauvaises : pour ne citer qu'un exemple, la faim et la pauvreté de milliards d'êtres humains dans le monde ont considérablement diminué en l'espace d'une seule génération. Sans croissance globale de l'économie, il n'aurait jamais été possible de faire face à la croissance de la population mondiale. Sans les révolutions industrielles passées, nombreux sont ceux qui n'auraient pas eu accès à d'importants acquis sociaux ainsi qu'à la formation et à la prospérité. Comme l'a si bien dit Roy Amara, l'ancien président de l'Institut du futur de Palo Alto: « We tend to overestimate the effect of a technology in the short run und underestimate the effect in the long run ».

Lorsque nous parlons de la quatrième révolution industrielle, nous ne parlons pas uniquement de l'Internet des objets et de Big Data. Nous ne parlons pas seulement de crypto-monnaies numériques ou du rapport entre processus physiques et virtuels. Et nous ne parlons pas uniquement des possibilités et des failles de sécurité presque infinies que présentent les moyens informatiques. Mais nous parlons aussi d'êtres humains. Nous parlons de vies et de professions. De choses réalisables et de choses judicieuses. Nous parlons d'investissements énormes en termes d'équipement, de savoir et de savoir-faire. Et nous parlons aussi de contextes très différents sur cinq continents.

Les innovations qui font date et leurs répercussions sont difficilement prévisibles. Il en va de même pour la quatrième révolution industrielle. Beaucoup craignent la pression salariale et les inégalités, d'autres attendent le développement de nouvelles industries et de nouveaux emplois. Le changement n'est pas une option. Il se produit, que nous le voulions ou pas.

La numérisation marque de plus en plus le monde du travail et nécessite de nouvelles capacités. Voilà ce que nous devons assurer. La limite entre les ingénieurs et les programmateurs s'estompe. Les ateliers deviennent des postes informatiques. Malgré tout, beaucoup de choses sont actuellement incertaines, les prévisions et les réponses définitives n'existent pas.

Winston Churchill a résumé la situation ainsi : « It is always wise to look ahead, but difficult to look farther than you can see ». Si beaucoup de choses sont possibles, une chose est certaine : il est impératif d'investir dans la formation et dans la formation continue. Car qui dit formation dit qualification. Et la qualification est une condition sine qua non pour l'emploi. La politique doit préparer le terrain à cet effet. « Manquer le coche » ou « agir avec précipitation » : il n'y a souvent qu'un pas entre les deux. La capacité à gérer le changement consiste bien souvent à répondre aux révolutions par l'évolution.

J'en arrive au troisième et dernier point:

3. La conciliation des contraires

Mesdames et Messieurs, si le monde n'a jamais été aussi uni qu'il ne l'est aujourd'hui, il a dans le même temps rarement été aussi déchiré qu'il ne l'est aujourd'hui. Tandis que les cultures disparaissent, la haine et le fondamentalisme apparaissent.

L'humanité a de tout temps été tiraillée entre l'ouverture aux autres et les frontières. Dans l'Antiquité, les Romains ont construit le limes, un gigantesque mur de protection à travers l'Europe. Un mur bien trop long pour être surveillé. Notre génération a mis sur pied Internet, un gigantesque réseau qui est aux antipodes des frontières. Un réseau bien trop vaste pour pouvoir trouver une entente. Ce qui est extrême est toujours dénué de mesure.

Les contraires forment souvent un terreau propice à l'intransigeance. L'un des grands défis à relever consiste donc à concilier les contraires. Faire cohabiter les contraires n'est pas toujours possible dans tous les domaines, mais l'est souvent et notamment sur des points importants. L'ouverture aux autres et les frontières ne sont pas des notions absolues. Elles peuvent très bien exister simultanément. La liberté en même temps que la responsabilité. Une certaine vision du monde en même temps que le respect d'autres cultures. Des opportunités économiques en même temps que des risques économiques.

Faire des contraires des dogmes signifie renoncer à l'équilibre judicieux des intérêts. L'équilibre n'existe pas sans contrepoids. C'est ce que je veux dire lorsque je parle des opportunités.

Il est temps pour moi de conclure.

Je vous remercie d'être venus ici à Davos. Et d'être disposés à faire preuve d'une responsabilité allant bien au-delà de vos propres préoccupations immédiates. Je remercie également toutes celles et ceux qui entretiennent des relations étroites avec la Suisse, qui commercent avec nous, investissent dans notre pays et comptent sur la force de notre place économique. Je tiens à vous dire, au nom du Conseil fédéral, que vous pouvez compter sur nous - aujourd'hui et à l'avenir.

Résoudre les problèmes présuppose le dialogue. Les idées nouvelles naissent des échanges. Les vraies solutions ne naissent pas des rêveries du promeneur solitaire. Elles naissent lors de discussions. Cette rencontre annuelle nous offre justement une chance unique de discuter. Au nom du Conseil fédéral, je tiens à remercier chaleureusement le Professeur Klaus Schwab, grâce à qui tout cela est possible.

Saisissons cette chance qui s'offre à nous !

Seule la version orale fait foi !


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