Résister et s'adapter pour survivre

Neuchâtel, 02.07.2021 - Discours du conseiller fédéral Alain Berset à l'occasion de la 20e édition du Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF). Seules les paroles prononcées font foi.

Je crois être relativement tolérant, mais s’il y a une chose que je ne supporte pas, c’est que l’on se moque du Spiderman philippin. Je veux parler de Gagamboy, le film d’Erik Matti sorti en 2004, qui a marqué, sinon le cinéma mondial, du moins en tous les cas le NIFFF, où il avait été montré.

Pour les quelques non-initiés ici présents qui l’ignoreraient, « Gagamboy » raconte l’histoire peu banale d’un vendeur de glaces à la crème qui a avalé une araignée (« Gagamba » en langage philippin, le tagalog pour être précis). Mais attention, pas n’importe quelle araignée : une araignée contaminée qui va lui conférer des supers pouvoirs. Il va alors revêtir son plus beau costume d’homme-insecte pour aller affronter, dans un combat mortel, un collègue et rival ayant subi à peu près la même mésaventure que lui, mais en ingurgitant pour sa part un cafard (« Ipis », en tagalog). « Gagamboy » est une fable environnementale au message puissant, suscitant chez le spectateur une prise de conscience des dangers potentiellement induits par la chimie et les glaces à la vanille de Manille.

En 2004, la presse neuchâteloise était malheureusement complètement passée à côté de ce message, préférant railler les effets spéciaux à petit budget de ce chef-d’œuvre entomologique. Vous pourrez d'ailleurs redécouvrir cet article dans le livre anniversaire retraçant les 20 ans du NIFFF, pertinemment intitulé « Répertoires d’imaginaires ».

Ambassade des imaginaires et des univers parallèles

Car le NIFFF est bel et bien devenu l’ambassade des imaginaires et des univers parallèles. Des univers portés par un cinéma de genre, le fantastique, qui, sous couvert d’offrir au public de purs moments de divertissement ou de délire, ne manque jamais de l’inciter à réfléchir sur les mutations de notre monde avant même que celles-ci ne se concrétisent. L’on se souviendra ainsi qu’il n’aura guère fallu plus de trois éditions au NIFFF pour déjà récompenser, en 2003, 28 jours plus tard, un film évoquant une pandémie mondiale et dont on ne pouvait alors soupçonner les vertus documentaires.

Quand le futur devient réalité, ce sont malheureusement les festivals qui souffrent. Les restrictions sanitaires imposées par l’apparition du COVID ont entraîné l’annulation des grands rassemblements populaires, parmi lesquels de nombreuses manifestations culturelles. Certains festivals ont néanmoins su résister, comme le NIFFF, habitué à baigner dans l’anticipation. Il a ainsi mis sur pied l’année dernière, en seulement quelques mois, une édition hors-série en ligne, trouvant un accord avec une plateforme de streaming pour proposer 21 films et une sélection de courts-métrages, cela sans transiger sur la qualité ou la variété de sa programmation. Le festival a également complété cette programmation avec 2 offres inédites : une application mobile et la chaîne NIFFF TV, proposant aux cinéphiles des rendez-vous quotidiens pour prolonger le débat en marge des projections.

Relations entre l’homme et l’animal à l’aune de la catastrophe climatique

Le NIFFF a donc été contraint de s’adapter pour survivre et l’on peut y voir le signe d’une évolution darwinienne. Il n’est donc pas étonnant qu’il aborde cette année, en partenariat avec le Muséum d’histoire naturelle de Neuchâtel, une thématique écologique portant précisément sur les relations entre l’homme et l’animal à l’aune de la catastrophe climatique, dans le cadre d’une exposition intitulée « Sauvage » qui n’aurait sans doute pas déplu à l’auteur de l’Origine des espèces.

La pandémie épizootique que nous avons endurée nous a naturellement amenés à nous questionner sur notre rapport aux animaux, comme bien avant elle le cinéma fantastique, si l’on songe à La Féline, à La Mouche ou à La Planète des Singes, des longs-métrages qui constituent autant de traités sur la cohabitation entre les êtres vivants, dont l’équilibre paraît aujourd’hui entièrement bouleversé. L’intérêt porté par le NIFFF à la cause animale n’est d’ailleurs pas nouveau. On le constate à la lecture de son palmarès : en 20 éditions, un seul réalisateur a été primé à deux reprises et celui-ci, cela ne peut pas être un hasard, se nomme Gaspard… Noé.

C’est déjà un sérieux indice. Mais ça n’est pas le seul. Dans le cadre d’un autre partenariat avec la Cinémathèque suisse, le NIFFF rediffuse un certain nombre des films qui ont marqué son histoire, parmi lesquels Old Boy, sans doute le premier à avoir offert un rôle marquant à un poulpe : celui d’être dévoré vivant par le personnage principal. Et l’on notera enfin l’audacieuse scénographie élaborée cette année dans le cadre du projet DEEP, qui a consisté à illuminer une partie du fond du lac de Neuchâtel pour permettre aux perches et aux truites locales d’évoluer un instant sous les feux de la rampe.

A nos yeux d’humains aussi, le NIFFF est un festival très important, qui est parvenu, en à peine deux décades, à élever le genre fantastique au rang de classique. Son immense mérite, durant ces derniers mois, c’est d’avoir su se réinventer alors même que la majorité de son équipe dirigeante se renouvelait, au terme d’un processus comparable à une métamorphose ovidienne.

Je parlais tout à l’heure de Darwin, mais il serait sans doute plus exact d’évoquer le poète mythologique Ovide pour saluer les évolutions permanentes d’un petit festival devenu grand, et qui attribue chaque année, cela ne peut pas non plus être un hasard, un « Narcisse » au film qu’il choisit de primer. Quoi qu’il en soit, merci au NIFFF qui nous aura fait parler d’Ovide et oublier le Covid.


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