Noir comme l'ébène

Dübendorf, St. Gallen und Thun, 24.10.2017 - À l'instar de nombreux autres bois tropicaux, l'ébène est une espèce menacée dont l'exploitation, notamment pour la fabrication d'instruments de musique, pose de nombreux défis. En dépit de règlements stricts sur le plan commercial, les stocks d'ébène sont en chute libre. Un substitut à cette ressource s'impose donc urgemment. C'est là qu'intervient « Swiss Wood Solutions », une entreprise dérivée de l'Empa. Son produit baptisé « Swiss Ebony », élaboré à partir d'érable sycomore suisse modifié, possède les mêmes propriétés que l'ébène, tout en offrant une solution durable et entièrement légale.

Un jeune violoniste atterrit à l'aéroport de Berlin, avec son délicat et coûteux instrument dans ses bagages, prêt à monter sur scène le lendemain soir. Arrêt au service de douane. Une heure plus tard, le voilà qui ressort de l'aéroport dépouillé de son violon, ce dernier ayant été confisqué. Explication : comme bon nombre de violons, l'instrument du jeune musicien est muni d'une pièce de raccordement et d'une touche en ébène, une essence de bois tropical inscrite sur la liste de la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction). En vertu de cette réglementation, l'importation d'ébène est interdite si la provenance licite du matériau ne peut être démontrée aux autorités douanières. Outre le matériau de base, certains pays parmi les 183 qui ont ratifié la convention CITES réglementent également les produits finis, dont les instruments de musique. En conséquence, nombre de musiciens sont désormais réticents à l'idée de voyager avec leurs instruments en raison du risque trop élevé de rencontrer des problèmes à la douane. Et si un grand nombre d'instruments a ainsi déjà été saisi, voyager n'est pas le seul problème : toute personne qui pratique le commerce de tels instruments est en effet elle aussi passible de poursuites si elle échoue à prouver la provenance licite de la matière première. La simple mise en vente de ces produits sur une plateforme Internet peut déjà suffire à déclencher un signalement aux autorités.

Les alternatives à l'ébène

Revenons à notre jeune violoniste : il aimerait bien pouvoir poursuivre sa tournée avec son instrument de haute qualité. Et bien entendu, il préférerait largement pouvoir passer la douane sans encombres. Qui plus est, il veut avoir l'assurance de pouvoir revendre son précieux instrument en toute légalité si besoin est. Problème : aucun certificat n'atteste la provenance du bois à partir duquel son violon est confectionné. Son luthier lui explique qu'il lui est impossible de renoncer à l'ébène : les excellentes propriétés de dureté, d'ouvrabilité et de qualité acoustique de ce bois tropical sont incontournables dans la fabrication d'instruments à cordes. À ces qualités physiques s'ajoute l'attrait visuel de sa teinte sombre, un atout que le hêtre et l'érable suisse sont loin de posséder. Quoique... Les chercheurs de l'Empa et de l'ETH de Zurich, cofondateurs de la start-up « Swiss Wood Solutions », ont découvert un moyen de modifier les essences de bois suisses de sorte qu'elles présentent les même propriétés que certaines espèces de bois tropicaux en voie de disparition, comme l'ébène ou le grenadille. Ce dernier est principalement utilisé pour la fabrication de clarinettes et de hautbois. Pour les besoins de ce procédé, l'érable suisse issu de la foresterie durable est découpé et trempé dans une solution aqueuse. Le bois est ensuite soumis à un procédé de dessiccation et de compression au moyen d'une presse chauffante, qui confère au bois ses propriétés si essentielles dans le domaine de la lutherie. Dans le cas d'une clarinette, par exemple, la densité de bois requise est légèrement inférieure à celle d'un manche de violon. Les caractéristiques de teinte et de conduction acoustique diffèrent elles aussi, comme l'explique Oliver Kläusler, président de Swiss Wood Solutions : « Notre procédé nous permet de déterminer nous-mêmes ces paramètres. Dès lors, le fabricant de violons peut affiner l'instrument avec une grande précision ».

Encore meilleur que l'original

Swiss Wood Solutions n'est pas la première entreprise à se spécialiser dans les solutions alternatives à l'emploi de bois tropicaux. Certains matériaux similaires, comme les bois composites synthétiques ou la fibre de carbone, existent déjà. Au printemps 2017, Oliver Kläusler a donc procédé à des essais sonores, en confiant à des musiciens professionnels et apprentis le soin de comparer directement ces matériaux. Verdict encourageant : le « Swiss Ebony » arrive à quasi-égalité avec l'ébène véritable.
Le luthier Boris Haug, de Suhr, a fait entrer le matériau dans la fabrication de cordiers destinés à des instruments professionnels, lesquels ont ensuite été mis à l'épreuve du jeu durant plusieurs semaines. « L'une des musiciennes ne voulait plus nous rendre notre prototype pour violoncelle et nous a proposé de l'échanger avec son cordier en ébène de très haut de gamme », confie M. Kläusler. Motif : son violoncelle sonnait « plus sexy » que jamais avec le Swiss Ebony. En termes de coût, également, le substitut de l'ébène rivalise déjà avec son homologue naturel. Mais Kläusler et son équipe cherchent à réduire encore davantage les coûts de production, et s'attachent tout particulièrement à rendre le procédé de fabrication plus écologique et durable.
Pour l'heure, « Swiss Wood Solutions » se met en quête d'investisseurs désireux de lancer le produit sur le marché. Jusqu'à présent, la mise au point a été financée par deux subventions versées par la fondation Gebert Rüf. En outre, la société dérivée a reçu le soutien de différents acteurs commerciaux du secteur, dont des experts de la Commission pour la Technologie et l'Innovation (CTI), de l'incubateur glaTec de l'Empa, ainsi que de Venture Kick.

Au-delà de la musique

L'ébène suisse pourrait, à l'avenir, voir son usage s'étendre à la fabrication d'autres produits de la vie courante tels que les composants d'horlogerie, les queues de billard ou les manches de couteaux. Comme l'ont révélé les entretiens avec les clients potentiels, ces secteurs d'activité sont confrontés à des défis très similaires à ceux du marché des instruments de musique. Parallèlement, la société dérivée travaille à l'élaboration d'une nouvelle méthode de coloration de ses produits en bois qui devrait, elle aussi, ouvrir de nouvelles applications potentielles supplémentaires pour ce matériau. « Pour l'instant, cela reste toutefois un projet chimérique, avoue M. Kläusler. L'objectif immédiat est d'équiper les musiciens avec des instruments de qualité supérieure. De façon durable et écologique ». Quant aux orchestres, ils pourraient enfin reprendre le chemin des tournées mondiales accompagnés de leurs instruments de maître... l'esprit délesté de tous leurs soucis actuels. 

 


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