Laudatio du Prof. Jacques Dubochet

Berna, 05.02.2018 - Allocution de M. le Conseiller fédéral Guy Parmelin Chef du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) à l’occasion de la célébration de la remise du Prix Nobel au Prof. Jacques Dubochet Lausanne, le lundi 5 février 2018.

Seul fait foi le texte effectivement prononcé 

Monsieur le Professeur,
Mesdames et Messieurs les représentantes et représentants des autorités cantonales et communales,
Madame la Rectrice,
Monsieur le Doyen,
Mesdames et Messieurs les membres du rectorat et du corps enseignant de l’Université de Lausanne,
Chers invités en vos titres et qualités,

Le cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako, premier Africain à avoir reçu le César du meilleur réalisateur, a dit (je cite) : « Un film n’est pas fait pour un palmarès ; un film est fait pour toucher les gens. »
Peut-être pourrait-on déceler dans ce postulat une analogie entre le septième art et la science. Ainsi je ne doute pas, cher Jacques Dubochet, que vous n’avez pas exploré ces savantes matières en vue de l’obtention d’un prix – fût-il aussi prestigieux que le Nobel –, mais probablement parce que la science sert un objectif d’un ordre supérieur, idéal.

Le biologiste et biochimiste français Jacques Monod, qui lui-même fut co-lauréat en 1965 du Prix Nobel de physiologie ou médecine, comme il s’intitulait à l’époque, a confié son propre point de vue sur la finalité de la recherche : « Le seul but, la valeur suprême, le ‘souverain bien’ dans l’éthique de la connaissance, déclarait-il lors de sa leçon inaugurale au Collège de France une année plus tôt, ce n’est pas, avouons-le, le bonheur de l’humanité, moins encore sa puissance temporelle et son confort, ni même le ‘connais-toi toi-même’ socratique, c’est la connaissance objective elle-même. » Une appréciation qui s’inscrit curieusement en léger porte-à-faux avec la devise du Nobel : « For the greatest benefit to mankind ».

En suivant son raisonnement, austère en apparence, mais surtout passionnément scientifique, nous devrions arriver à la conclusion logique et imparable que cette vie de recherche qu’a menée lui aussi le Professeur Dubochet avec ses équipes, et sa carrière académique tout entière ont servi cette seule cause essentielle : repousser les limites de la connaissance en apportant un rai de lumière sur une matière éventuellement promise à l’obscurité éternelle.

Il faut bien admettre que la vie des grands chercheurs est un apostolat de fort longue haleine, une entreprise exclusive, absolue, jalouse, réservée à des personnalités d’exception. Vous êtes assurément l’une d’entre elles, Jacques Dubochet, mais sans jamais que l’homme ne se soit effacé derrière le chercheur.

Quelle qu’aient été vos motivations personnelles, que j’ignore, la science persiste à donner lieu à des classements. Parce que c’est dans la nature des hommes que de se mesurer aux autres hommes dès lors que la chance, le succès, le talent, le don ne sont pas prodigués en toute équité. Aussi, j’observe que le site internet du Prix Nobel, aux termes d’une analyse dont les critères me sont inconnus, vous place au nombre des trois lauréats du Nobel de chimie les plus populaires, juste derrière Ernest Rutherford, père de la physique nucléaire, et Marie Curie, première femme récipiendaire du prix. L’explication ne se trouve-t-elle pas dans votre heureuse nature, dans cette soif communicative de chercher, dans ce plaisir jubilatoire de découvrir, dans cette passion joyeuse de transmettre ? Chacun de ceux qui ont partagé le bonheur et la fierté de vous voir élevé sur le pavois scientifique ont ainsi senti vibrer leur corde patriotique en même temps qu’ils constataient qu’un chercheur de haute volée pouvait aussi être modeste, accessible et jovial. J’ose pour ma part attribuer ce classement, indépendamment de son objectivité, au fait qu’avant d’être un brillant scientifique, vous êtes d’abord un subtil composé de génie et de simplicité.

Il ressort de la statistique que notre pays a obtenu à ce jour 22 Prix Nobel décernés à titre individuel : deux de littérature, trois de la paix, quatre de physique, six de médecine et sept de chimie. Là encore, je ferai offense au réalisateur mauritanien, mais pour une juste cause : l’honneur qui vous est décerné, cher Jacques Dubochet, et que vous avez pleinement mérité, permet en effet d’éclairer d’une lumière vive la qualité de la formation et de la recherche en Suisse. Notre pays s’oblige à les soutenir et à les encourager, confiant dans l’avenir qu’elles contribuent à assurer à notre société aussi bien que dans le progrès auquel cette dernière peut légitimement aspirer. Plus fondamentalement, et je cite ici – non sans un clin d’œil à Jacques Dubochet – le philosophe américain John Dewey, connu pour l’humanisme de ses travaux : « L’éducation, écrivait-il, est un progrès social. L’éducation est non pas une préparation à la vie, l’éducation est la vie même. »

La Confédération en est bien consciente, qui lui consacre d’ailleurs un budget 2018 de 60% supérieur à celui de la défense. Sans la moindre arrière-pensée de ma part, il m’apparaît néanmoins intéressant de mettre en balance la réalité des chiffres, bien que je puisse m’imaginer que la sécurité de notre pays, garante à plus d’un titre de la qualité de l’environnement favorable dans lequel peuvent évoluer en Suisse chercheurs et étudiants, nous tient tous à cœur.

Monsieur le Professeur, cher Jacques Dubochet, nous sommes évidemment éblouis que vos recherches – et surtout vos découvertes – vous aient permis de décrocher un prix aussi convoité que le Nobel, dont nous nous sentons tous un peu, du fait de votre nature, de votre authenticité, les bénéficiaires. Je ne voudrais pas cependant que l’on oublie la portée de ces recherches, en dépit de leur déconcertante complexité. Ainsi, grâce à la méthode de cryo-microscopie conjointement développée par Jacques Dubochet, Joachim Frank et Richard Henderson, le monde nanoscopique des biomolécules cellulaires s’offrira désormais plus stable et moins déformé à nos yeux, ce qui ouvre des perspectives proprement phénoménales pour notre compréhension de la chimie de la vie.

Enfin, j’observerai un parallèle inattendu entre votre activité de chercheur et celle du politique, dont les idées peuvent souvent être en avance sur leur temps. Le procès de Galilée ayant la vie dure, un magazine scientifique vous avait à son tour refusé l’accès à ses colonnes sous prétexte que (je cite) « l’on ne peut tordre la nature » et que votre découverte allait au-delà des lois physiques. A l’évidence, elle y est effectivement allée, mais pas toute seule : l’effort, la persévérance, le savoir, l’expérience, le doute aussi peut-être, et la chance avec elle l’y ont accompagnée.

Merci à vous, Jacques Dubochet, d’avoir défriché, par votre parcours scientifique exceptionnel, un nouveau et important chemin de connaissance, et merci d’inspirer, par votre parcours de vie, des milliers d’autres promesses de brillantes carrières au sein de nos hautes écoles.

La Confédération vous exprime par ma voix son admiration et sa reconnaissance unanimes.


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