«Le niveau des rentes doit être garanti»

Allocution du Conseiller fédéral Alain Berset à l’occasion du débat du Conseil des Etats sur la réforme de la prévoyance vieillesse 2020 (14 septembre 2015)

Cela fait presque vingt ans que notre système de prévoyance vieillesse n'a pas été adapté de manière importante aux défis économiques et démographiques qui se posent à nous. Il existe je crois un consensus assez large sur le fait que nous vivons une période inédite dans notre histoire. D'une part, l'évolution démographique fait que, dans les années 2020 et 2030, une génération baby-boom qui aujourd'hui travaille et cotise atteindra l'âge de la retraite et aura droit à une rente. D'autre part, nous vivons dans une période marquée par des rendements faibles sur les marchés financiers. Nous n'avions pas connu depuis très longtemps des rendements aussi faibles, en témoigne le débat portant actuellement, en Suisse, sur les taux négatifs et les conséquences que cela peut avoir sur les placements des caisses de pension à long terme.

Une réforme importante

Dans ce contexte, il est nécessaire d'envisager une réforme importante du système de prévoyance vieillesse. La dernière réforme d'envergure remonte à 1997 et a connu, avec l'introduction du «splitting», une évolution importante. Avant cela, la précédente grande réforme remonte probablement à l'introduction de l'indice mixte en 1979. Ainsi, on constate qu'un grand débat a lieu tous les vingt ans environ - ce qui est dans le fond logique - et que cela nécessite de revoir le système de prévoyance vieillesse.

Il n'y a pas que le cadre politique, économique et démographique qui est nouveau, la situation des assurances est également nouvelle. Pour la première fois, nous pouvons traiter ensemble, en même temps, le premier et le deuxième pilier, ce dernier étant obligatoire depuis 1985.

Le vrai problème démographique

Si l'on considère l'aspect démographique, il n'est pas exact de dire que le principal problème auquel nous sommes confrontés est l'augmentation de l'espérance de vie. Les plus grandes évolutions de l'espérance de vie dans notre pays se sont produites entre la fin des années 1940 et aujourd'hui. Cela a donc suivi toute l'évolution de l'AVS et cela n'a jamais posé de difficultés particulières. La raison est que, parallèlement aux gains de productivité et à la progression économique, il a toujours été possible d'accompagner l'AVS de manière très large et bénéfique. Ainsi, l'AVS a connu un développement important marqué notamment par une augmentation de rentes au cours du XXe siècle.

Non, le problème démographique que nous avons aujourd'hui n'est pas prioritairement celui de l'espérance de vie. C'est un effet de masse, un effet démographique qui va amener en quelques années une génération entière à la retraite et qui nous oblige donc aujourd'hui à adapter la prévoyance vieillesse. (...)

Pas de réforme à n'importe quel prix

Quels sont les objectifs de cette réforme (...)? Un des objectifs de cette réforme est, tout d'abord, de maintenir le niveau des prestations de vieillesse. On ne peut pas faire une réforme à n'importe quel prix, il est important que les citoyennes et les citoyens aient confiance dans le système de prévoyance vieillesse. Nous savons, vous l'avez déjà dit à plusieurs reprises, que ce système de prévoyance vieillesse joue un rôle essentiel dans la stabilité économique et politique de notre pays.

Nous savons également qu'à la fin il y aura de toute façon une votation populaire. Vive la démocratie directe! Heureusement qu'il y aura une votation populaire, cela nous permettra de mener un débat très large et d'être sûrs, à la fin, si nous avons une réforme qui obtient la majorité et qui peut être appliquée, qu'elle a l'appui de la population suisse.
Le premier objectif de cette réforme est donc de garantir le niveau des prestations.

Le deuxième objectif est d'assurer l'équilibre financier du premier pilier et du deuxième pilier, de manière à stabiliser la prévoyance vieillesse. L'échéance pour atteindre cet objectif est fixée à 2030, pas au-delà, parce que nous ne savons pas exactement dans quelle situation nous nous trouverons en 2030, en 2035 ou en 2040. On peut faire des hypothèses aujourd'hui. Vous avez parfois dit: «2030, ce n'est pas si loin, c'est dans quinze ans!». Oui, c'est dans quinze, mais si nous pensons à quoi ressemblait le monde il y a quinze ans, on se rend compte de tout ce qui s'est passé, et tout ce qui s'est passé d'imprévu, depuis. Gageons que cela pourrait se reproduire, que des événements imprévus pourraient encore arriver. Notre responsabilité, la vôtre et celle du Conseil fédéral, c'est de répondre aujourd'hui à la situation que nous connaissons, et d'essayer de le faire dans une perspective raisonnable, que nous avons fixée à 2030.

Toutes les cartes sont sur la table

Sur un plan technique et mathématique, il est possible de continuer ces tableaux jusqu'en 2060 ou 2080 si vous le souhaitez. Mais plus on s'éloigne, moins ils n'auront de valeur; nous devons donc viser les prochaines années.

En ce qui concerne la méthode, c'est celle d'une approche globale, visant à rechercher des équilibres en réformant en même temps le premier et le deuxième pilier. Cela permet d'obtenir une réforme équilibrée. Cela permet aussi d'apporter de la transparence dans le processus: toutes les cartes sont sur la table, rien n'est caché. Cette transparence permet d'avoir confiance dans le processus de réforme. Et cette confiance apporte une certaine sérénité, une certaine sécurité sur le développement de ce processus. Et cette confiance et cette sécurité créent les bases nécessaires pour avoir à la fin une majorité qui soutienne cette réforme. Depuis que le deuxième pilier est obligatoire soit depuis trente ans, il n'y a pas vraiment d'autre méthode pour réformer la prévoyance vieillesse. C'était prévisible depuis 1985, il fallait simplement attendre le moment à partir duquel le deuxième pilier pouvait également tourner à plein.

Les mesures...

Quelles sont les principales mesures? (...) C'est l'augmentation de l'âge de la retraite des femmes pour fixer l'âge de la retraite pour les hommes et pour les femmes à 65 ans. C'est la diminution du taux de conversion, de 6,8 à 6 pour cent, avec évidemment, ici encore, l'objectif de maintenir le niveau des rentes. C'est l'augmentation de la quote-part minimale LPP, avec la proposition de la relever de 90 à 92 pour cent. En échange, si j'ose dire, la méthode appliquée reste celle basée sur le rendement au détriment de celle basée sur le résultat. Ce sont d'autres mesures encore, qui touchent les prestations, qui concernent les rentes de veuves, qui concernent les cotisations pour les indépendants. Et puis il y a bien sûr aussi un financement additionnel, que le Conseil fédéral a proposé d'envisager par la TVA, avec 1,5 pour cent de TVA supplémentaire: 1 pour cent à l'entrée en vigueur de la réforme et 0,5 pour cent, probablement aux environs de 2026-2028, lorsque cela sera rendu nécessaire par la situation financière de l'AVS. En parallèle à cette augmentation de TVA, le Conseil fédéral a proposé de toucher aussi à la part de financement de la Confédération pour l'AVS, en la réduisant de 19,55 à 18 pour cent.

...et les conséquences financières

Quelles sont les conséquences financières? Nous connaissons en définitive le niveau des prestations; nous savons ce qui est garanti aujourd'hui par la loi, en termes de premier pilier, également dans le deuxième pilier, avec un taux de conversion à 6,8 pour cent; et nous voyons que si rien ne se passe, la situation va s'aggraver, par rapport au déficit actuel dans le résultat de répartition dans le premier pilier et au financement du deuxième pilier. Dans le premier pilier on s'attend à un déficit annuel qui pourrait être de 7, 8 ou 9 milliard de francs - par année! - en 2030. Si rien ne se passe aujourd'hui on peut décemment s'attendre à un fonds AVS qui soit vide en 2030. Vide! Et puis ensuite - 2031, 2032, 2033 - ce seraient quelques milliards de francs, voire jusqu'à une dizaine de milliards de francs par année de dettes qui seraient accumulées. Cela peut donc aller extrêmement rapidement.

Ce projet a été traité par votre commission de manière très approfondie. Sur les éléments essentiels de la réforme - du moins, c'est ce que nous avons analysé -, elle s'est ralliée au Conseil fédéral, notamment concernant la réforme du premier pilier et du deuxième pilier en même temps, la garantie de la transparence, et tout particulièrement concernant la garantie du niveau des rentes. Personne ici, si j'ai bien entendu, n'a vraiment dit le contraire; le niveau des rentes doit être garanti dans le premier pilier et dans la part obligatoire du deuxième pilier. Après, la question est de savoir comment on le réalise. C'est cependant un objectif très important qui a également été soutenu par la commission.

Elle a aussi soutenu les principales mesures, comme l'harmonisation de l'âge de la retraite à 65 ans, la flexibilisation de la retraite, l'abaissement du taux de conversion et le principe d'un financement additionnel par la TVA. Sur tous ces éléments, il y a dans le fond une unité de vues entre le Conseil fédéral et la commission.

Comment garantir le niveau des rentes?

Par contre, il y a des différences qui se sont faites jour, notamment sur la compensation. Où faut-il effectuer la compensation pour garantir le niveau des rentes? Le Conseil fédéral avait proposé une compensation quasiment exclusivement dans le deuxième pilier qui aurait représenté, d'après nos estimations, environ 0,8 pour cent de cotisation salariale. Votre commission a choisi de compenser une partie dans le premier pilier, 0,3 pour cent de cotisation salariale, en laissant 0,4 pour cent dans le deuxième pilier.

Sur le principe, il n'y a pas d'immenses différences. C'est par contre un chemin très différent qui a été choisi. J'ai dû constater au sein de la commission que, sur ce point-là, le projet du Conseil fédéral n'a été soutenu par personne - il faut le dire ici clairement. J'en ai pris note et je peux vivre avec ce genre de chose. Mais, je veux souligner par-là que la proposition de la minorité, ce n'est pas le projet du Conseil fédéral; c'est encore autre chose. C'est un projet dans lequel on garderait 0,4 pour cent de correction dans le deuxième pilier, mais rien dans le premier pilier, en tout cas au sens où la commission l'entend. C'est donc un troisième concept.

Il y a le concept de la majorité de la commission, qui essaye de garantir le niveau des rentes. Il y a le concept de la minorité de la commission qui, selon notre analyse, contrairement au projet du Conseil fédéral, aboutirait à une certaine diminution du niveau des rentes. Et il y a le projet du Conseil fédéral, que je soutiens ici un peu esseulé, qui maintiendrait le niveau des rentes, mais en passant uniquement par le deuxième pilier. (...)

Une forte volonté de trouver une solution

Ayant écouté avec beaucoup d'attention le débat, je sens une forte volonté de trouver un projet qui adapte l'assurance et la prévoyance vieillesse aux besoins du temps, qui garantit un financement équilibré pour la prévoyance vieillesse et qui puisse réunir une majorité. Et pas n'importe quelle majorité: une double majorité, celle du peuple et des cantons.

Les choses sérieuses ont maintenant commencé au Parlement, le débat a lieu au premier conseil, et je suis très heureux d'entendre qu'à l'instar du Conseil fédéral, vous constatez que le projet n'aura une chance que si on le pense jusqu'à la fin. Il ne suffit pas de dire aujourd'hui que l'on a essayé. On peut certes le faire, mais cela ne nous mènera nulle part. Il faut non seulement dire que l'on a essayé, mais il faut également préparer un projet qui nous permette d'avoir une réforme qui soit vraiment en mesure d'entrer en vigueur dans quelques années. Il ne suffit pas simplement d'avoir essayé.

J'ai ressenti ainsi les travaux de votre commission. On ressent la même volonté dans le débat d'entrée en matière. J'en suis très heureux. Je me réjouis de mener la discussion par article avec vous.

Au nom du Conseil fédéral, je vous invite donc à entrer en matière sur le projet.

(Version légèrement abrégée, le titre et les sous-titres ont été ajoutés par la rédaction admin.ch. Source: Bulletin officiel du Parlement)

 


La réforme de la prévoyance vieillesse débattue au Conseil national

Le conseiller fédérale Alain Berset s’est exprimée au Conseil national sur la prévoyance vieillesse 2020. (26 septembre 2016) 

Dernière modification 17.03.2017

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