La Suisse et l’innovation : les recettes du succès

Neuchâtel, 17.03.2014 - Intervention du Conseiller fédéral Johann N. Schneider-Ammann, Chef du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR) | Journée de l’innovation et des PME 2014 | Microcity, IMT-EPFL, Neuchâtel

Mesdames et Messieurs,

Vous êtes tous passionnés d'innovation. Sinon vous ne seriez pas ici, à Neuchâtel, pour en discuter durant cette « Journée de l'innovation et des PME ». Je ne vais pas vous révéler de grand secret : - moi aussi, je suis passionné par l'innovation.

Je vous remercie donc très chaleureusement pour cette invitation à parler devant vous, ici , à Microcity, haut-lieu de l'innovation en microtechnique du futur.

Nous, les passionnés d'innovation, nous avons un défaut majeur: nous sommes perpétuellement insatisfaits. L'innovation d'aujourd'hui est pour nous déjà celle de hier. Nos regards sont constamment fixés sur l'horizon,- en quête de nouvelles améliorations possibles dans tous les domaines. Mais qu'est-ce que concrètement l'innovation ? Trois exemples - romands - viennent à l'esprit :

l'aventure Swatch - une montre en plastique et une vision - qui ont ressuscité une industrie horlogère mourante.

l'expérience Nespresso démontre que l'innovation n'est pas seulement technique. Une révolution du marketing a permis de sortir la vente de café en capsules des chiffres rouges et de la transformer en « success story ».

l'esprit Logitech améliore depuis des années l'interaction homme-machine grâce à son orientation sans compromis sur le développement et la recherche.

Et il y en aurait sans doute des dizaines d'autres à citer. Les résultats concrets sont donc au rendez-vous. Et - nice to have - les classements aussi. Dernier en date : L'Innovation Union Scoreboard 2014 qui vient d'être publié. La Suisse y est une nouvelle fois en tête.

Mais vous connaissez tous la vieille boutade : parvenir au sommet, c'est facile. C'est y rester qui constitue le vrai défi. La question que vous me posez - « Quelles sont les recettes du succès » - est donc de toute première importance. Vous n'êtes d'ailleurs pas les seuls à la poser. Elle revient sans cesse, lors de toutes mes rencontres, en Suisse ou ailleurs. Je me sens parfois comme un de ces trois Appenzellois dans cette célèbre publicité, auxquels différents curieux tentent d'arracher la recette secrète de leur fromage...

Si une telle recette existait vraiment, aurais-je le droit de vous la livrer ? Ou dois-je maintenant immédiatement adopter le mutisme féroce de nos trois Appenzellois ?

Plaisanterie mis à part, je crois qu'il n'y a pas de grand secret de la capacité suisse pour l'innovation. La simplicité et - paradoxalement - une bonne dose de conservatisme sont sans doute les clés de notre réussite.

Simplicité :

à la base de notre succès, il n'y a qu'un nombre très restreint de facteurs et le respect de quelques principes élémentaires.

Conservatisme :

notre réussite est aussi fait de ce que nous refusons de faire.

Attention : il s'agit d'un conservatisme critique. Nous ne devons pas renoncer à nous développer et cesser de nous poser des questions. Après la votation du 9 novembre, - vous le savez - c'est plus indispensable que jamais...

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi maintenant d'aller plus en avant et vous détailler les différentes composantes de la recette suisse de l'innovation. Et tant pis pour nos trois Appenzellois et leur culte du secret !

Je vous ai parlé de quelques facteurs de base. Quels sont-ils ? L'énumération est peut-être un peu fastidieuse, mais permettez-moi tout de même de les mentionner rapidement. J'en vois dix qui se répartissent en deux catégories.

Il y a d'abord ceux qui sont spécifiques au domaine de la formation-recherche-innovation.

J'en compte six :

Tout d'abord nous bénéficions d'un système de formation et d'éducation de toute première force, mondialement reconnu.
Tant dans le domaine académique que professionnel, nous avons un système flexible qui garantit un très faible niveau de chômage des jeunes et permet un transfert aisé du savoir et du savoir-faire.

Deuxième facteur : une place de recherche de premier ordre. Notre pays compte quelques-uns des instituts de recherche les plus performants du monde - qu'ils soient publics - je pense à l'EPFZ, à l'EPFL, le CERN, l'Institut Paul Scherrer, l'EMPA, les Universités, le CHUV - ou privés : par exemple : Nestlé Research Center ou les centres de recherche de la pharma.

Troisième point : nous sommes parfaitement intégrés dans la communauté internationale de la recherche et de la science. Nous sommes partie prenante de tous les programmes les plus importants. Les difficultés suscitées par la votation du 9 février démontrent de façon éclatante l'importance de ce facteur et la nécessité de nous battre afin que cela reste ainsi. Pour ma part, je me bats et je me battrai pour préserver cela !

Quatrième facteur : Nous avons un paysage de l'innovation extrêmement diversifié. Ceci est vrai tant du point de vue thématique que des acteurs. 99,6% des entreprises suisses sont des PME et les 0,4% restants, des multinationales très innovatrices, - véritables moteurs de l'inventivité.

Le cinquième facteur de base est paradoxal, mais essentiel : la petitesse de notre pays est un avantage. Les distances entre points d'appui de notre recherche sont faibles, les acteurs se connaissent et se rencontrent fréquemment, des réseaux formels et informels s'établissent et s'entretiennent facilement.

Sixième et dernier point : la formation, la recherche et l'innovation font partie des priorités du monde politique suisse. Ce domaine a connu une croissance des moyens supérieure à tous les autres domaines d'action publique dans notre pays. Rien que pour la Confédération, ils ont augmenté de 3,8 milliards de francs entre 2004 et 2011, soit une croissance de 22,4% ! Et cela continue... !

Voilà pour les facteurs de base spécifiques au triptyque formation-recherche-innovation. Ils se sont constitués dans la durée, - avec le temps. Tout ceci n'aurait toutefois pas été possible sans quatre autres facteurs de base, plus généraux, - en fait des conditions cadres - , dans lesquels les facteurs formation-recherche-innovation viennent s'inscrire et porter leurs fruits.

Il s'agit tout d'abord d'un marché du travail libéral et flexible qui s'appuie sur le partenariat social. Cette combinaison idéale permet à l'innovation de trouver sa place dans l'économie et évite une hostilité inutile au progrès technologique.

En deuxième lieu, une charge fiscale qui ne pénalise pas les entreprises et leur permette d'investir dans l'avenir.

Troisième condition, un esprit d'ouverture et une vision qui dépasse les frontières nationales. Cela permet de se mesurer aux meilleurs et encourage la performance.

Enfin une diversité culturelle et de langues transcendée par un sens de l'identité nationale qui permet le dialogue, la recherche commune de solutions et un consensus enrichis par des expériences multiples et diverses.

Voilà donc nos dix facteurs de base - six spécifiques à la formation, recherche et innovation - et quatre conditions cadres plus générales. Tout cela forme le terreau sur lequel l'innovation peut pousser. Mais il faut encore respecter les règles élémentaires du bon jardinage. Dans l'innovation comme dans le jardinage, il y a des choses à faire et des choses à éviter.

Pour cultiver l'innovation, mon département et son Secrétariat d'Etat de la formation, de la recherche et de l'innovation suivent trois principes.

Le principe de la compétition :

les moyens dont nous disposons sont distribué sur la base de concours aux meilleures idées et aux meilleurs cerveaux. L'excellence doit être le guide pour décider ce que nous faisons, ce que nous nous explorons, ce que nous finançons. Ce qui doit absolument primer, c'est la qualité de chaque projet soumis au Fonds national ou à la CTI. Autrement dit : pas de quotas, pas de clé de distribution, pas d'arrosage !

Petite confidence :

je peux vous dire qu'à l'étranger, on nous envie pour notre application conséquente de ce premier principe.

Deuxième principe : la coopération.

C'est un phénomène réjouissant que nous observons régulièrement : des projets semblables qui étaient en concurrence directe pour les mêmes moyens trouvent souvent moyen de coopérer une fois l'attribution faite. C'est un trait particulièrement louable de la Suisse : après avoir lutté avec énergie pour les mêmes ressources, on oublie les rivalités. On collabore comme si cela allait de soi. C'est une particularité fantastique que nous devons entretenir et promouvoir.

Troisième principe : efficacité.

La loi sur l'encouragement de la recherche et de l'innovation a été simplifiée, rendue plus cohérente et est entrée en vigueur au début de cette année dans sa nouvelle version. Les agences de soutien sont efficaces ou en cours de réformes, le principe de délégation aux institutions est largement appliqué. Les instituts de recherche et nos agences de soutien - Fonds national et CTI - bénéficient d'une grande autonomie. C'est essentiel. C'est en effet les chercheurs et les experts qui doivent pouvoir décider de ce qui mérite soutien et non la politique.

Maintenant que j'ai énuméré ces trois principes, vous vous dites sans doute que tout cela est bien trop simple. Mais ce sont justement des ingrédients simples qui font les bonnes recettes. Je suis d'ailleurs persuadé que nos trois Appenzellois savent pertinemment que leur fameux secret ne vaut sans doute pas tout le fromage qu'ils en font.

Ceci étant dit et pour ceux qui aiment les choses compliquées, je peux tout de même ajouter une dimension supplémentaire à notre recette pour l'innovation en vous expliquant ce qu'il convient - comme dans le jardinage - d'éviter à tout prix. Trop arroser par exemple.

On nous reproche souvent d'être trop « passifs » dans notre politique de l'innovation. On nous reproche des omissions. Or, il s'agit de décisions. Et décider de ne rien faire est dans certains cas - foi de Bernois - stratégiquement plus décisif que l'activisme tous azimuts.

Premier principe négatif et profession de foi pour le libéral que je suis : pas d'argent public pour le secteur privé. La CTI ne soutient que les projets qui bénéficient au moins d'un soutien de 50% du secteur privé.

Cela implique que nous ne finançons pas les entrepreneurs et entrepreneuses, même dans leur phase de démarrage. Oui, je sais : cela nous vaut des reproches parce que ce principe rend la vie des start-up difficiles. Mais je suis parvenu à convaincre le Conseil fédéral qu'il y a d'autres possibilités que l'argent pour soutenir les start-up. Il a ainsi accepté le postulat Derder (13.4237) qui demande un rapport sur les jeunes entreprises innovantes. Nous y analyserons leurs besoins et les moyens de soutien aux jeunes entreprises.

On peut toujours faire plus. Je note tout de même dans le sondage que vous avez effectué à l'occasion de cette journée auprès d'une soixantaine de start-ups que presque 7 sur 10 redémarreraient leur entreprise en Suisse. Moins de trois sur dix choisiraient l'Amérique du Nord si elles devaient recommencer.

Mesdames et Messieurs,

« Aucun plan ne résiste au contact de l'ennemi », a dit le général prussien Helmuth von Moltke, le vainqueur de la guerre franco-prussienne de 1870. J'ai envie de dire : aucune stratégie de soutien à l'innovation ne résiste au contact de l'imagination. Avec cela, j'en viens au deuxième principe négatif qui nous guide : pas de grandes stratégies. On me demande souvent si la Suisse a une stratégie de l'innovation. Mais je ne suis pas en mesure de sortir du tac au tac une brochure sur papier glacé qui l'expliquerait dans ses moindres détails. Jusqu'à présent, les tentatives de commander l'innovation via Gosplan ont fait long feu. Je ne crois pas qu'il soit possible de réunir les différentes activités de la Confédération sous un seul toit stratégique. Ce qui est cependant essentiel, c'est de maintenir une « unité de doctrine », même si les points de départ et les objectifs restent divers et ancrés dans différents départements. Je pense notamment à la recherche sur l'énergie.

Troisième et dernier principe négatif : pas de politique des clusters. La Suisse dispose de quelques clusters qui se sont développés au cours de son histoire. Mentionnons ici la pharma, la technologie médicale, la microtechnique ou encore l'horlogerie. Mais ils ne sont pas le fruit d'une politique d'Etat. A noter que nous avons aussi perdu un « cluster » : l'industrie textile. Ce sont cependant les aléas de la libre entreprise et d'un système « bottom up ».

Tout cela - tous ces facteurs de bases, ces principes d'action ou d'inaction - débouchent en fin de compte sur le résultat que je vous ai mentionné au tout début de mon exposé : nos excellents classements non seulement dans l'Innovation Union Scoreboard, mais aussi dans le Gobal Innovation Index ou encore dans le Global Competitiveness Report.

Réjouissons-nous de notre place tout en haut du podium.

Mais rappelons-nous - je l'ai déjà dit - que le plus dur est toujours à faire : y rester. En dépit de notre succès, nous devons être prêts à nous adapter et à nous améliorer en faisant preuve de pondération et de sens de la mesure.

Après la votation du 9 février, cela signifie : ne pas paniquer, poursuivre le dialogue, trouver ensemble les meilleures solutions possibles.

En tant que ministre de la recherche, je vous le recommande avec la plus grande insistance : ceux qui remplissent les critères de participation prévus pour un pays tiers, continuez à soumettre des projets pour participer à des programmes européens. Démontrez à vos collègues que la Suisse reste un partenaire indispensable dans la communauté internationale de la science et de la recherche. Pour les autres, - qui ne sont plus éligibles -, le Conseil fédéral a chargé mon département le 7 mars dernier d'élaborer une solution transitoire. Nous la trouverons. Mais notre objectif principal reste clair : restaurer notre participation de plein droit. Ne vous laissez donc pas marginaliser. Même si la situation est pour l'heure incertaine, vous devez agir selon la devise : « Maintenant ou jamais ! » Pour ma part, je vais contribuer par le biais des projets politiques et de réforme de mon département pour maintenir et améliorer les capacités d'innovation de notre pays. Je pense à la réforme de la CTI, je pense aux parcs d'innovation, je pense au Geneva Biotech Campus !

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi de me résumer. Notre succès est le fruit de la conjonction quelques facteurs essentiels, de quelques principes d'action absolument centraux et de quelques voies que nous évitons délibérément. S'écarter de cette ligne comporte toujours un risque pour notre succès.

Ce succès ne doit cependant pas nous rendre complaisants et nous faire commettre des erreurs. Nous ne pouvons être certains que les choses seront les mêmes aujourd'hui et demain. La votation du 9 février l'a prouvé de façon éclatante. Oui, je l'avoue : j'ai mésestimé ce risque.

Ce qui est désormais au centre de mon action et de mon engagement au Conseil fédéral est sans nul doute le plus important de tout : la gestion de l'immigration que nous demande le peuple ne doit pas porter à conséquence pour la recherche et l'innovation dans notre pays. Si c'est ça le prix à payer, il est beaucoup trop élevé.

Les défis auxquels nous devons faire face doivent nous inciter à agir partout là où nous pouvons renforcer notre capacité d'innovation. D'abord dans les entreprises, dans la collaboration entre les hautes-écoles et le secteur privé, dans la formation et la recherche, dans les start-ups. En disant cela, je ne mets pas mes principes à disposition et nous ne ferons pas demain ce que nous avons refusé - pour de très bonnes raisons - de faire jusqu'à présent.

Mais nous devrons nous montrer plus créatifs pour gérer ces défis, tous les défis. Pour cela nous avons aussi besoin, comme par le passé, d'une bonne portion de la chance. Je vous souhaite donc bonne chance, bonne chance à nous tous.

Et merci de votre attention.


Seule la version orale fait foi !


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