Familles et justice – Justice et familles
Fribourg, 27.11.2023 - Discours, 27 novembre 2023: Conférence de l'Office fédéral de la justice, Université de Fribourg
Votre nombreuse participation ce jour m'impressionne et tout aussitôt, je souhaite vous exprimer ma reconnaissance ; le programme de ce jour est en écho avec une véritable thématique de société qui nécessite une expertise, une responsabilité institutionnelle, une écoute des besoins des personnes concernées, mais aussi des professionnelles qui interviennent ; bref une approche collective.
La liste des personnes inscrites à cette journée, atteste le fait que les thèmes abordés aujourd'hui ne concernent pas exclusivement les familles - parents et enfants - confrontées à une séparation, mais aussi l'ensemble des professionnel-le-s impliqué-e-s dans les différentes étapes d'une séparation.
On ne saurait négliger le fait que de décider de "saisir la justice", c'est-à-dire de s'adresser à une avocate, d'entrer dans une salle de tribunal ou de rencontrer l'autorité de protection de l'enfant n'a rien d'anodin dans le parcours de vie d'une personne, d'un couple ou encore d'une famille.
Vous êtes nombreux à travailler dans un tribunal, au sein d'une autorité de protection de l'enfant, ou en qualité d'avocat. Vous êtes les professionnels de la justice. Des professionnels face, ou aux côtés des familles - parents et enfants - en phase de séparation, de changement de paradigme dans l'organisation de leur vie, voire de personnes en conflit, de femmes et d'hommes qui se demandent si - et comment - les professionnels peuvent les aider au mieux.
Soutenir, accompagner, conseiller, représenter sont autant d'attitudes professionnelles qui constituent la colonne vertébrale d'une approche transdisciplinaire une approche adaptée aux différentes situations. Indépendamment de votre profession, votre rôle consiste à être à la hauteur des attentes des familles, ce qui ne signifie assurément pas de répondre à toutes leurs demandes, mais de garder comme finalité une décision qui leur sera utile. Vos expériences, vos critiques contribuent à l'évolution de la justice.
Vous l'aurez saisi, en fait, le titre en miroir de cette journée : "Familles et Justice" - "Justice et Familles"me semble particulièrement approprié.
Familles et justice
Selon les chiffres de l'office fédérale de la statistique de 2022, 40% des mariages se terminent par un divorce. Dans 49% de ces divorces, des enfants mineurs étaient impliqués. Cela signifie que, même si les partenaires ont décidé de mettre fin à leur vie de couple, la famille qu'ils forment avec leurs enfants va se poursuivre.... et ce pour toujours. Cette nouvelle perspective implique qu'il faut la repenser et la réorganiser.
Certains couples réussissent - seuls ou avec l'aide d'un professionnel - à se mettre d'accord, ou plus ou moins d'accord sur cette réorganisation familiale, et à se présenter devant les autorités avec un accord prêt à être ratifié.
Je tiens à relever à quel point cet exercice est exigeant et qu'il est un terreau fertile pour la suite des relations, ce pour autant que chaque partenaire se soit senti dans une relation de confiance pour mener une négociation pertinente et équilibrée en termes de renonciations notamment.
D'autres couples prennent un chemin plus long, et c'est surtout de ces couples - et de leurs enfants - que nous souhaitons parler aujourd'hui. Il s'agit des situations dans lesquelles un accord n'a pas pu être trouvé, les incompréhensions, la souffrance, voire le conflit figent, ralentissent ou complexifient un processus de séparation ; les parents ne se parlent peut-être plus que par l'intermédiaire de leurs avocats. Et la décision sur la réorganisation familiale revient finalement aux autorités.
C'est donc vous, les autorités, qui allez devoir décider où vivront les enfants, à combien se montent les frais nécessaires pour couvrir leurs besoins et qui va les prendre en charge.
Est-ce réaliste ?
En effet, ces décisions sont d'autant plus difficiles à prendre que vous ne connaissez pas le fonctionnement des familles, les parents, les enfants avant la crise. Et pourtant c'est à vous qu'il reviendra de les entendre, d'écouter les arguments des uns et des autres pour décider, souvent rapidement, ce qui est le mieux pour eux ...
Comme vous le savez, le Parlement vient de mettre sous toit une réforme du code de procédure civile, qui a déjà abordé certains aspects de la procédure en droit de la famille. En assistant à ces discussions, je me suis rendue compte de l'importance cruciale de la dimension du temps dans ce genre de procédures.
En étant à Fribourg, je pourrais être tentée de reprendre la célèbre formule de notre président Berset : agir aussi vite que possible, mais aussi lentement que nécessaire. Je préfère mettre l'accent sur la nécessité de clarté dans la décision et le fait que cette dernière soit acceptée et respectée.
Comment atteindre ce but? Comment désamorcer le conflit entre les parents pour que les autorités puissent rendre une décision qui tienne dûment compte de l'intérêt supérieur des enfants concernés?
J'ai hâte d'entendre les oratrices et orateurs de ce matin, qui œuvrent déjà à cette fin et que je remercie d'avoir accepté de venir partager avec nous leurs expériences.
A la fin de cette matinée, après avoir entendu aussi les réactions des participantes et participants à la table ronde et de la salle, nous aurons certainement des pistes sur comment encore améliorer les procédures dans les affaires familiales.
Justice et familles
Mais qu'en est-il des autorités qui mènent ces procédures ? Sont-elles outillées pour appréhender les conflits familiaux ? C'est l'objet de la deuxième partie de la conférence : Justice et familles.
Force est de constater qu'une famille en conflit se retrouve tôt ou tard devant le juge ; la séance ou les séances concernées s'inscrivent dans un processus qui aura souvent déjà impliqué d'autres professionnels qui auront aussi pris des décisions visant à favoriser une séparation la plus sereine possible. On peut se demander si compte tenu des différentes dimensions touchées par la fin du projet familial - juridiques oui, mais aussi éducatives, émotionnelles - la compétence d'un juge unique est la meilleure solution ?
Je pense à la famille concernée, je pense aussi à la ou au juge ? C'est une grande responsabilité. Est-il opportun de formuler l'hypothèse de la pertinence d'inviter les juges à se former dans d'autres domaines que le droit - par exemple la médiation. Je pense que oui ...
Les autorités de protection de l'enfant, qui sont également régulièrement confrontées à des familles en phase de séparation, sont organisées de manière différente, de manière interdisciplinaire. Face à la complexité des dossiers, aux différents enjeux à prendre en considération, cette approche semble intéressante et prometteuse et pourrait possiblement intéresser les tribunaux.
Un tribunal qui opère de manière interdisciplinaire existe déjà. Le fonctionnement du Tribunal de la famille en Argovie, le seul Tribunal de la famille en Suisse, sera présenté en détail. Il sera intéressant de comprendre pour quelle raison seul le Canton d'Argovie s'est doté d'un tribunal de la famille? Est-ce que d'autres cantons ont envisagé cette option ? Si oui : pour quelles raisons ont-ils renoncé ou échoué ? J'espère que la discussion de cet après-midi pourra apporter des réponses à ces questions.
Cela permettra aussi d'évaluer les chances de succès de la proposition d'une commission de conciliation interdisciplinaire pour la famille, à laquelle les familles pourraient, voire devraient s'adresser, avant d'aller devant le juge.
L'après-midi s'annonce dès lors tout aussi intéressant que la matinée, et je regrette vivement de ne pas pouvoir assister aux discussions qui s'annoncent riches en perspectives.
Avant de volontiers passer la parole aux experts en la matière, je ne saurais manquer de relever mon respect inconditionnel aux absents de cette journée, à savoir les enfants. Je souhaite que nous gardions tous à l'esprit que c'est surtout d'eux directement ou indirectement dont il s'agit.
En réfléchissant à comment soutenir les parents en séparation, nous soutenons également leurs enfants. Il est alors important qu'ils puissent se projeter dans des lendemains qui laissent entrevoir qu'on peut se séparer sans se déchirer* et que les autorités les aideront si cela devait arriver. Ils ne seront pas seuls.
*) JOCELYNE DAHAN/EVALNGELINE DE SCHONEN-DESARNAUTS, Se séparer sans se déchirer - La médiation familiale: renouer le dialogue, protéger les enfants, dépasser la crise, 2000
ANNE REISER, Au nom de l'enfant. Se séparer sans se déchirer - Divorce, autorité parentale, famille recomposée, 2012
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