Laudatio Erik Truffaz
Berne, 08.09.2023 - Discours du Président de la Confédération Alain Berset le 8 septembre 2023, à l’occasion de la remise des Prix suisses de musique à Berne. Seules les paroles prononcées font foi.
Ami-e-s du jazz et du beau,
Ami-e-s de la trompette et de l’électro,
Nous célébrons donc le jazz, dont Frank Zappa considérait qu’il n’était «pas mort, mais qu’il avait juste une drôle d’odeur». Le jazz dont je vais vous parler est au contraire vivant et coloré. Il prend sa source dans les eaux cristallines couleur « genre de bleu ». «Kind of blue», diront les amateurs de trompette jouée dos au public. Il a par la suite baigné, sans heurts ni décharges, dans le courant cool de l’électro, sous les rayons d’une Lune rouge. Et il a rejoint le fleuve des musiques du monde, en passant par Paris, Bénarès, Mexico, remontant à 1000 kilomètres au nord de Moscou, vers Arkhangelsk, aux confins de la Mer Blanche. Il aura ainsi transité des sons du bleu aux silences du blanc, en quête de cette pureté que les grands artistes souvent recherchent.
Un immense artiste et emprunteur
Car ce soir, nous célébrons un de ceux-là. Le problème, c’est que ce grand artiste est aussi un immense emprunteur. Il a emprunté la totalité de son prénom à Satie, ERIK Satie. Erik avec un k comme dans Mr K., morceau de 2012 qui sonnerait comme une dédicace à Fela Kuti plutôt qu’à Arnold Koller. Il a également emprunté la presque-totalité de son nom à François TRUFFAUT. Pas étonnant qu’il ait récemment rendu hommage aux musiques de films, dans un merveilleux album intitulé Rollin’.
Un titre, vous aurez compris le principe, emprunté cette fois-ci à une commune vaudoise, celle de ROLLE, en hommage, sans doute, à Jean-Luc Godard. Et comme si cela ne suffisait pas, il lui arrive encore de calquer sa tenue sur celle de certains responsables politiques, puisqu’il porte, sur scène ou sur les pochettes, un chapeau. Le boa à plumes ne devrait pas tarder à suivre. Mais par contre, la qualité et la constance de son souffle nous permettent de penser qu’Erik Truffaz ne deviendra jamais amateur de cigare.
François Truffaut a dit un jour: «La musique est une question de grammaire.» Erik Truffaz a quant à lui composé un morceau intitulé Le complément du verbe. Je vois là une invitation à procéder, une fois n’est pas coutume, à une analyse grammaticale de l’œuvre.
Le sujet
Tout d’abord, vient le sujet: Erik Truffaz, trompettiste. Référence incontournable du jazz cool métissé. Récipiendaire d’une Victoire de la musique, ce qui tendrait à prouver que ce n’est que devant le talent que la musique consent à s’incliner. Compositeur inspiré et avant-gardiste.
Son esprit précurseur s’est révélé en 2000, année où il a sorti une compilation intitulée The Mask. Exactement 20 ans avant la grande compilation mondiale des masques. Seul bémol – c’est le comble pour un musicien –, son audace peut l’inciter à excéder les bornes de la cohérence. Ainsi, en 2014, avec cet album intitulé Being Human Being. Totalement inconvenant venant de quelqu’un dont les initiales sont celles d’un extra-terrestre: E.T.
Le verbe
Après le sujet, c’est au tour du verbe. Là, c’est plus simple: ce serait bien sûr le verbe «jazzer». Qui devrait s’entendre dans son champ lexical: jouer, souffler, trompeter, vibrer, improviser, échanger, et, finalement, émouvoir.
Les compléments
Viennent, enfin, les compléments, essentiels si l’on veut donner sens à la phrase musicale. Avec un tel sujet et après un tel verbe, ils ne peuvent être que nombreux:
Sandrine Bonnaire, Sophie Hunger, Camélia Jordana, Christophe, Oxmo Puccino, Nya, Sly Johnson, Malcom Braf, Murcof et tant d’autres que l’on ne saurait citer sans réécrire le bottin du jazz. Erik Truffaz est un réseau social à lui tout seul. Il avait d’ailleurs, en mars 2007 – 9 ans et 6 mois avant la Chine! – anticipé la création d’un réseau du même nom en composant Tic Toc. L’existence ancienne de ce morceau démontre, là encore, un bel esprit d’avant-garde.
«La véritable musique est le silence. Et toutes les notes ne font qu’encadrer ce silence.» Comment ne pas citer, au moment de se taire, Miles Davis, empereur de la sourdine. Qui reprenait ici les mots de Mozart en leur insufflant du rythme. Deux génies. Notre compatriote jazzman Erik Truffaz n’est au fond pas si loin d’eux. Il pourrait même être fait citoyen d’honneur de Cully sans avoir à passer le test. En attendant, il mérite amplement ce prix que l’OFC lui décerne!
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