Ainsi débute la vision

Villigen, 22.03.2023 - Des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer PSI ont décrypté le processus moléculaire à l’œuvre tout au début dans l’œil quand de la lumière atteint la rétine. Les processus qui se déroulent en une fraction d’un billionième de seconde sont une condition rendant la vision possible. L’étude a été publiée dans la revue spécialisée Nature.

Ce n’est qu’une minuscule modification d’une protéine dans notre rétine. Elle a lieu en un laps de temps incroyablement bref et est l’élément déclencheur qui nous permet de percevoir la lumière et de voir. C'est également la seule étape qui dépend de la lumière. Grâce au laser à rayons X à électrons libres SwissFEL au PSI, des chercheurs du PSI ont maintenant analysé ce qui se passait précisément après de ce tout premier billionième de seconde de la perception visuelle.

Au centre du phénomène se trouve notre récepteur de lumière, la protéine rhodopsine. Dans l’œil humain, elle est produite par des cellules sensorielles spécialisées, les cellules en bâtonnet, qui permettent de percevoir la lumière. Une petite molécule pliée est fixée au milieu de la rhodopsine: le rétinal, un dérivé de la vitamine A. Lorsque la lumière atteint la protéine, le rétinal absorbe une partie de l’énergie lumineuse. Il modifie alors sa structure tridimensionnelle de façon extrêmement rapide. Le commutateur dans l’œil passe ainsi de la position «arrêt» à la position «marche». Ce qui provoque une cascade de réactions et permet à terme la perception d’un éclair de lumière.

Lié et pourtant libre

Mais que se passe-t-il précisément lorsque le rétinal passe de ce qu’on appelle l'état 11-cis à l'état all-trans? «Le point de départ et le produit final de la modification du rétinal sont connus depuis longtemps, mais personne n’a encore observé en temps réel la manière dont se déroule précisément la modification dans le pigment visuel qu’est la rhodopsine», relève Valérie Panneels, scientifique travaillant au sein de la division de recherche Biologie et Chimie au PSI.

Valérie Panneels compare le phénomène à un chat qui tombe d’un arbre le dos en avant mais qui finit par retomber sur ses pattes sans dommage. «La question est alors la suivante: quels sont les états du chat pendant sa chute, c'est-à-dire lorsqu'il se retourne du dos sur le ventre?»

Les chercheurs du PSI ont découvert que le chat-rétinal commençait par opérer une rotation avec le milieu de son corps. Pour Valerie Panneels, le moment le plus décoiffant a été celui où elle a réalisé ce qui passait par ailleurs. La protéine prend une partie de l’énergie lumineuse pour se gonfler un minimum brièvement, «à la manière  de notre cage thoracique qui se tend pour inspirer avant de se rétracter à nouveau.»

Pendant cette «respiration», la protéine perd temporairement l’essentiel de son contact avec le rétinal qui se trouve en son centre. «Le rétinal est certes encore fixé à ses extrémités à la protéine par des liaisons chimiques, mais il a suffisamment de place pour tourner.» La molécule ressemble alors à un chien dont la laisse est distendue et qui peut ainsi faire un bond.

Peu de temps après, la protéine se contracte à nouveau et reprend son rétinal sous contrôle, mais maintenant sous une autre forme. «Le rétinal parvient ainsi à se tourner, sans être entravé par la protéine dans laquelle il se trouve.»

L’un des processus les plus rapides dans la nature

Le passage du rétinal de l’état 11-cis plié à l'état tout-trans allongé dure moins d’une picoseconde, soit un millionième d'un millionième de seconde. C’est l’un des processus les plus rapides dans la nature.

Des processus biologiques aussi rapides peuvent être enregistrés et analysés avec un laser à rayons X à électrons libres comme le SwissFEL. «Le SwissFEL nous permet d’étudier en détail des processus fondamentaux de notre corps, à l’image du processus de la vision», explique Gebhard Schertler, directeur de la division de recherche Biologie et Chimie du PSI et dernier auteur de l’étude avec Valérie Panneels.

Par analogie avec le chat, c’est comme si l’on filmait sa chute avec une caméra haute vitesse. Celle du SwissFEL filme toutefois des milliards de fois plus rapidement. Dans de grandes installations de recherche, il ne suffit par ailleurs pas d’appuyer sur le déclencheur de l’appareil. Le doctorant Thomas Gruhl, plus tard post-doctorant à l’Institute for Structural and Molecular Biology à Londres, a ainsi passé des années à développer une méthode pour obtenir des cristaux de rhodopsine de grande qualité livrant des données avec une haute résolution. Ce n’est qu’avec ces derniers qu’il a été possible d’effectuer les mesures nécessaires au SwissFEL et – avant sa construction− au laser à rayons X à électrons libres SACLA au Japon.

Cette expérience montre une nouvelle fois à quel point SwissFEL est important pour la recherche en Suisse. «Grâce à lui, nous allons sans doute répondre à encore beaucoup d’autres interrogations, fait valoir Gebhard Schertler. Nous développons notamment des méthodes afin d’analyser dans les protéines des processus dynamiques qui ne peuvent normalement pas être activés avec la lumière.» Les chercheurs rendent de telles molécules activables artificiellement. Ils modifient en conséquence les partenaires de liaison ou ils mélangent très rapidement les protéines avec les partenaires de liaison dans le cristal afin qu’elles puissent être analysées au SwissFEL. Dans tous les cas, les choses sont ici aussi plus compliquées que de simplement braquer la caméra sur un chat tombant d’un arbre.

Texte: Brigitte Osterath

  

À propos du PSI

L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l'énergie et l'environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 2200 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 400 millions. Le PSI fait partie du domaine des EPF, les autres membres étant l'ETH Zurich, l'EPF Lausanne, l'Eawag (Institut de Recherche de l'Eau), l'Empa (Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche) et le WSL (Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage).

 

 

Publication originale

Ultrafast structural changes direct the first molecular events of vision
Thomas Gruhl, Tobias Weinert, Matthew Rodrigues, Christopher J Milne, Giorgia Ortolani, Karol Nass, Eriko Nango, Saumik Sen, Philip J M Johnson, Claudio Cirelli, Antonia Furrer, Sandra Mous, Petr Skopintsev, Daniel James, Florian Dworkowski, Petra Baath, Demet Kekilli, Dmitry Ozerov, Rie Tanaka, Hannah Glover, Camila Bacellar, Steffen Brünle, Cecilia M Casadei, Azeglio D Diethelm, Dardan Gashi, Guillaume Gotthard, Ramon Guixà-González,   Yasumasa Joti, Gregor Knopp, Elena Lesca, Pikyee Ma, Isabelle Martiel, Jonas Mühle, Shigeki Owada, Filip Pamula, Daniel Sarabi, Oliver Tejero, Ching-Ju Tsai, Niranjan Varma, Anna Wach, Sébastien Boutet, Kensuke Tono, Przemyslaw Nogly, Xavier Deupi, So Iwata, Richard Neutze, Jörg Standfuss, Gebhard Schertler, Valerie Panneels
Nature, 22.03.2023 (en ligne)
DOI: 10.1038/s41586-023-05863-6

 

 


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Auteur

Institut Paul Scherrer


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