Festival du film et forum international sur les droits humains

Genève, 11.03.2023 - Discours du Président de la Confédération Alain Berset à l’occasion du FIFDH 2023 le 10 mars 2023 à Genève. Seules les paroles prononcées font foi.

«Raison. Bonheur. Gentillesse. Humanité. Beauté. Imagination. Bonté. Progrès. Tolérance. Liberté. Aventure. Amour. Science. Démocratie.» Ce sont parmi les premiers mots dictés, le 5 juin 1940, par Charlie Chaplin qui réfléchissait alors au fameux discours qu’il ferait prononcer à son personnage à la fin du Dictateur, mots qui auraient sans doute mérité, quelques années plus tard, de figurer tous ensemble au préambule de la Déclaration universelle des droits humains. Le 10 décembre 1948, celle-ci était signée à Paris, au Palais de Chaillot.

Les cinéphiles connaissent fort bien le Palais de Chaillot car il a abrité la Cinémathèque française et, quelques années plus tard, le Musée du Cinéma. Les organisateurs du Festival du film et forum international sur les droits humains sont ainsi parfaitement légitimés à soutenir qu’il existe un cousinage au moins géographique entre les droits humains et le cinéma. Situé Place du Trocadéro, le Palais de Chaillot avait été inauguré en 1937, dans le cadre de l’Exposition universelle qui eut lieu cette année-là. Il remplaçait l’ancien Palais du Trocadéro, construit pour sa part à l’occasion de l’Exposition universelle de 1878 et qui contenait en ses murs l’une des plus grandes salles de spectacle d’inspiration néo-byzantine, équipée pour accueillir 4600 personnes.

Si votre Festival disposait d’une telle salle, il bouclerait une édition en 9 séances et il pourrait donc se terminer déjà demain soir, ce qui laisserait 7 jours de repos bien mérité, le repos devant être considéré comme un droit fondamental des organisateurs de manifestations culturelles.

Quand cinéma et droits humains cheminent ensemble

Le cinéma et les droits humains semblent cheminer ensemble. Pour le meilleur. Le cinéma est un art et en tant que tel: il développe l’imaginaire, la créativité, le sens du partage et de la découverte de l’autre, susceptibles de révéler l’empathie du public et de l’amener à penser en humaniste. Mais cinéma et droits humaines cheminent aussi pour le moins bon. La Déclaration universelle des droits humains est une proclamation d’intention difficile à mettre en pratique. Car entre la déclaration et la mise en œuvre, il y a autant d’obstacles qu’entre la première version d’un scénario et le film montré sur l’écran, après réécritures et projections test au cours desquelles il aura fallu tenir compte de sensibilités culturelles peu conciliables. Et pour que le film ne soit même jamais diffusé, il suffit d’un spectateur fâché parmi les cinq assis au premier rang. Celui-ci quittant alors la salle pendant la projection test en exerçant le droit de se lever tôt.

Ces derniers temps, l’analogie entre le cinéma et les droits humains ne prête malheureusement plus trop à sourire, l’Ukraine étant devenue un décor tragique de morts et de violences. Une situation dramatique pour l’Humanité tout entière, que de voir les droits humains ainsi bafoués. Et qui va naturellement continuer d’occuper le Conseil des droits humains, actuellement en session à Genève.

En 1951, Alain Tanner, en compagnie de Claude Goretta et de Jean Mohr, fondait le Ciné-club universitaire de Genève. L’un des premiers films qu’ils ont programmés était contemporain de la Déclaration universelle des droits humains: il s’agissait du Sang des bêtes, réalisé en 1948 par Georges Franju, qui fut l’un des pères de la Cinémathèque française et qui deviendra également le parrain du Ciné-club universitaire de Genève.

Disparu voici quelques mois en même temps que Jean-Luc Godard, Alain Tanner avait un lien avec le Ciné-club universitaire de Genève, donc avec la Cinémathèque française, donc avec le Palais de Chaillot, donc, vous me suivez, avec la Déclaration des droits humains. CQFD. Il s’agit là, je le concède, d’une démonstration scientifique à la Carl Vogt. Ce dernier un peu moins connu des milieux du 7e art puisque les autorités de la Ville de Genève n’ont jamais songé à donner son nom à une salle de cinéma. Et c’est bien dommage car cela nous prive d’enrichissants débats.

Il n’en demeure pas moins que si l’on se penche sur l’œuvre d’Alain Tanner, on ne peut avoir aucun doute quant au caractère éminemment humaniste de celle-ci. Alain Tanner a en effet réinventé le cinéma suisse, lui insufflant des envies nouvelles de liberté et de progrès, consacrant le droit des hommes et surtout des femmes, à penser, à chanter, à danser, à rêver, à se perdre pour mieux se retrouver, à s’aimer, bref, à vivre comme ils l’entendaient, loin des conventions cimentées par l’ordre et la morale.

Un devoir de mémoire

Dans une allocution prononcée en vidéoconférence lors de la cérémonie d’ouverture du dernier Festival de Cannes, le Président ukrainien Volodymyr Zelensky se référait au Dictateur de Charlie Chaplin, sommet d’humour et d’humanisme. Il proposait que l’on rediffuse son discours final. Alors, réécoutons le vagabond philosophe: «Le malheur qui est sur nous n’est que le produit éphémère de l’avidité, de l’amertume de ceux qui ont peur des progrès qu’accomplit l’Humanité.» Le cinéma nous rappelle ici que c’est pour permettre à l’Humanité de progresser qu’on lui a conféré des droits, inscrits dans une Déclaration universelle. Et, comme le prophétisait Charlie Chaplin, même menacés, les droits humains finissent toujours par triompher et les dictatures par chuter.

Dans Jonas, qui aura 25 ans en l’an 2000, voici ce qu’Alain Tanner faisait pour sa part dire au professeur d’histoire: «Si le passé pouvait un jour rattraper les conquérants, il leur montrerait certainement aussi peu de pitié qu’ils n’en avaient montré eux.» Promouvoir des droits menacés et entretenir un patrimoine cinématographique, c’est aussi un devoir de mémoire. Cette tâche essentielle, votre Festival l’accomplit chaque année.


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