"Cultiver nos valeurs, et les défendre !"

Berne, 01.08.2022 - Discours, 1er août 2022: Moléson; Conseillère fédérale Karin Keller-Sutter - la parole prononcée fait foi

Mesdames et messieurs,

Je dois vous faire un aveu en ce premier août. Je dois même vous faire part d’une certaine déception : depuis le Moléson, on n’y voit pas ma maison.

Je m’étais bien imaginée qu’il serait difficile d’avoir un panorama qui s’ouvre jusqu’à Wil. Mais à chaque fois que je viens dans cette magnifique région, j’ai le secret espoir d’y voir, un jour, la "porte du Toggenburg".

Je me consolerai donc en fin de journée. Depuis ma maison, on y voit le Säntis, notre Moléson à nous…il est même un peu plus haut d’environ 500 mètres...

Depuis le Moléson on n’y voit peut-être pas ma maison, mais on y voit mon pays… Aujourd’hui c’est bien ce pays tout entier que nous célébrons ensemble. Et ce sommet de 2000 mètres a des choses à nous dire, il a des choses à nous raconter. Il incarne ce "pays réel" si cher à Charles Ferdinand Ramuz. C’est aussi une terre de légende. Je pense à la "Pierre à Catillon", que seule la main du Seigneur serait parvenue à arrêter. C’est aussi cette montagne qu’on a longtemps crainte, admirée et qui est devenue un pôle touristique.

Permettez-moi d’évoquer, en ce jour de fête, une des forces de la Suisse : l’attachement de ses habitants au "pays réel". Personne ne l’a aussi bien décrit que Charles Ferdinand Ramuz. Vaudois et Romand à la portée universelle, dans "La pensée remonte les fleuves" il évoque magnifiquement ce "pays réel".

Je cite : "Et tout à coup j’ai vu qu’il y a des choses qui existent à l’état brut, c’est-à-dire non interprétées, vivantes sous nos yeux vivants. Il y a eu tout à coup pour moi un pays, et j’entends un pays réel".

Au-delà des clivages idéologiques ou des différences culturelles, Charles Ferdinand Ramuz résume à merveille ce sentiment qui nous habite aujourd’hui : "Je suis patriote parce que j’aime mon pays au sens géographique du mot, j’aime une certaine terre, un certain climat, un certain ciel ; je les aime de nécessité. J’aime cette terre parce que j’en sors, ce climat et ce ciel parce que j’en ai toujours été entouré." Fin de citation.

Quel contraste avec certains slogans de la fin des années 60 ! "Rasez les Alpes qu’on voie la mer" scandaient les mouvements contestataires. La Suisse, à l’étroit dans ses montagnes, serait incapable de s’ouvrir sur de plus larges horizons.

Inutile de vous dire que je n’ai jamais adhéré à ce slogan, et cela même dans les années où Les Clash ou d’autres groupes de punck-rock berçaient mes soirées… Ces montagnes sont au contraire autant de points d’ancrage. Du Moléson on voit le Massif alpin, le Jura, la région des trois lacs, le Pays gruérien, la Suisse romande, le Mont blanc, l’Arc lémanique...cet Arc lémanique qui nous fait basculer vers le bassin méditerranéen.

Du Säntis, en Suisse orientale, un panorama unique s’ouvre sur nos cinq pays voisins.
Du lac de Constance jusqu’au Vorarlberg et aux Alpes autrichiennes.
Des Alpes grisonnes, jusqu’à la Bernina et l’Italie.
Du Plateau jusqu’au Jura, la Forêt Noire, les Vosges.
Vous admettrez que pour voir au loin, il n’y pas besoin de raser nos Alpes…

En ce premier août on peut le dire : le pays se porte bien, bien au point d’être couvert de lauriers par une publication de référence outre-manche. Le magazine britannique The Economist s’interrogeait récemment sur La recette pour la surperformance des entreprises en Suisse.

Diagnostic : ce qui fait la force de la Suisse c’est notamment le bon sens, la fiscalité attractive, un système politique unique, le fédéralisme, la concurrence fiscale et dans l’éducation… et je ne devrais pas le dire comme conseillère fédérale, un gouvernement central faible...
Lire cela dans un magazine anglo-saxon a de quoi étonner. Ils sont d’habitude plutôt adeptes des salves tirées sur notre place financière…concurrentes de premier plan de la leur…

Soyons fiers, mais soyons prudents mesdames et messieurs. Ne succombons pas aux passions. Celle, contestataire, qui se perd dans l’auto-flagellation et qui veut raser les Alpes. Mais aussi celle du "Y’ en a point comme nous".

Ces passions sont mauvaises conseillère. Ce qui a fait et fera encore la force de notre pays, c’est un mélange de bon sens, de rigueur, d’ouverture. A la manière des montagnards, on se fixe des objectifs ambitieux, mais réaliste. Pour gravir un sommet, il faut faire un pas après l’autre, en regardant où l’on marche. Avec prudence et détermination.

Nous aurons besoin de ces valeurs et de ce "bon sens". En quelques mois, nous avons réalisé que le nouveau courant normal, c’est que l’impensable devient possible. Plus qu’une succession de crises, on assiste à une superposition des crises.

Nous pensions être bientôt sortis d’une crise sanitaire sans précédent, voici que la Russie agresse l’Ukraine sous nos yeux incrédules. Du jour au lendemain, le retour des chars d’assaut dans une ville européenne, l’occupation d’un pays, la destruction de quartiers d’habitation à coup de missile et de mortiers.

L’enjeu, désormais, ce sont nos valeurs. Qui aurait imaginé il y a encore quelques mois que la défense de notre sécurité et de nos libertés se retrouveraient au sommet de l’agenda politique ?

Vous me permettrez de résumer les défis qui nous attendent avec les propos clairvoyants de l’intellectuel français Raymond Aron en 1969 :

"Je crois que les valeurs auxquelles je suis profondément attaché, comme les valeurs de liberté, sont toujours précaires, toujours menacées, qu’il n’y a pas de régime parfait…"

Raymond Aron poursuit sur la nécessité de s’engager sans cesse :

"Je crois que tout est toujours en question, que tout est toujours à sauver. Que rien n’est définitivement acquis, et qu’il n’y aura jamais de repos sur la terre pour les hommes de bonne volonté", fin de citation.

Mes chers compatriotes, chers habitantes et habitants de ce pays, chers visiteurs, ce qui semblait acquis ne l’est plus : nos libertés, notre sécurité, nos institutions, notre culture politique doivent être défendues. Dans la Berne fédérale, mais aussi chacun à son niveau. Le pays se porte bien, mais comme le disait très sagement Raymond Aron, "les valeurs de liberté, sont toujours précaires, toujours menacées".

Je vous souhaite une magnifique journée de ballade, de plaisirs du palais et de fête. Je me suis laissé dire que selon un dicton populaire gruérien "de Fribourg ne viennent que la bise et les impôts". Vous comprendrez que comme conseillère fédérale déjà en charge de la question jurassienne, je ne souhaite pas provoquer de nouvelle tensions territoriales. Je constate que le soleil est de la partie, qu’il n’y pas de trace de bise. La paix confédérale est donc assurée…

Je vous remercie pour votre attention. Vive le Moléson ! Vive la Suisse !


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