De l’hydrogène bleu peut protéger le climat

Villigen, 02.12.2021 - Un groupe international de chercheurs, sous la direction de l'Institut Paul Scherrer PSI et de l'Université Heriot-Watt, a analysé en détail l’impact climatique de ce qu’on appelle l’hydrogène bleu. Ce dernier est produit à partir de gaz naturel; lors de ce processus, les émissions de CO2 générées sont séparées et séquestrées. L’étude, publiée dans la revue spécialisée Sustainable Energy & Fuels de la Royal Society of Chemistry, montre que, sous certaines conditions, l’hydrogène bleu peut jouer un rôle positif dans le tournant énergétique.

L’hydrogène est considéré comme un vecteur énergétique d’avenir, car son utilisation – que ce soit pour propulser une voiture ou produire de la chaleur dans les ménages et l’industrie – ne génère que l’eau. Mais la question de savoir si l’hydrogène est vraiment respectueux du climat dépend de la manière dont il est produit. L’hydrogène dit vert représente le cas de figure idéal. Il est produit par électrolyse de l’eau avec du courant issu exclusivement d’énergies renouvelables comme l’hydraulique, l’éolien et le solaire. Son bilan climatique est donc largement neutre. Mais actuellement, l’hydrogène produit de cette manière est cher et n’est pas disponible partout – car l'électricité renouvelable et les capacités d'électrolyse font défaut.

«La demande d'hydrogène, qui augmente rapidement, ne pourra probablement pas être satisfaite dans un avenir prévisible», indique l'étude internationale actuelle. La majeure partie de l’hydrogène est donc aujourd’hui produite à partir de gaz naturel et d’autres combustibles fossiles. On parle alors d’«hydrogène gris». Ce dernier n’apporte pas d’avantages dans le bilan écologique, car sa production est délétère pour le climat et sa conversion induit des pertes d’énergie.

L’hydrogène dit bleu représente une sorte de compromis. Son rôle éventuel pour le tournant énergétique fait l’objet de discussions animées entre experts et politiciens depuis des mois. Il est certes produit à partir de gaz naturel, comme l’hydrogène gris: le gaz naturel est chauffé, puis scindé en hydrogène et en dioxyde de carbone par ce qu’on appelle le vaporeformage. A la différence que, dans le cas de l’hydrogène bleu, on ne se contente pas de laisser le dioxyde de carbone s’échapper dans l’atmosphère: on en sépare une partie et on la séquestre de manière durable en sous-sol pour limiter l’effet de serre. Ce procédé, appelé Carbon Capture and Storage ou CCS, améliore le bilan climatique.

Les fuites ternissent le bilan climatique

Une étude des universités Cornell et Stanford, publiée en août, a toutefois conclu que pour la production de chaleur, malgré le CSS, l’hydrogène bleu n’était pas meilleur pour le climat que le gaz naturel. Son bilan était même 20% moins bon que celui du gaz naturel qui, lui, est directement utilisé comme vecteur énergétique. D’après les auteurs, cela vient du fait que sur toute la chaîne d’approvisionnement du gaz naturel – de son extraction au forage jusqu’à la production d’hydrogène, en passant par son transport par gazoduc ou par bateau –, du gaz s’échappe dans l’atmosphère par des fuites. Or comme le méthane, principal composant du gaz naturel, est un gaz dont l’effet de serre est environ 30 fois plus important que celui du CO2, des fuites, même de quelques pourcents, suffisent à ternir énormément le bilan climatique de l’hydrogène produit à partir du gaz naturel. A cela viennent s’ajouter les émissions de CO2 lors du reformage du gaz, si la totalité du dioxyde de carbone n’est pas séparée et se retrouve dans l’atmosphère au lieu d’être enfouie dans le sol.

«Cette étude nous a incités à analyser encore plus précisément l’effet de l’hydrogène bleu sur le climat», explique Christian Bauer, du Laboratoire d’analyses des systèmes énergétiques du PSI et auteur principal de l’étude. En collaboration avec Mijndert van der Spek, professeur au centre de recherche sur les solutions carbone de l'université Heriot-Watt, Christian Bauer a rapidement mis en place une coopération internationale de chercheurs issus des instituts les plus divers afin de doter la nouvelle étude d’une large assise. La collaboration a été particulièrement étroite avec ses collègues de l’ETH Zurich, qui disposent de modèles spéciaux permettant de simuler de manière détaillée des processus tels que la séparation du CO2. «Ils ont fait passer la production d’hydrogène bleu par leur logiciel de stimulation et, nous, au PSI, nous avons alimenté nos modèles de bilan écologique avec leurs résultats, rapporte Christian Bauer. Ces modèles reproduisent l’ensemble de la chaîne de production, de l’extraction du gaz naturel à la séquestration du CO2.»

Les résultats du bilan écologique donnent une image différenciée: les avantages de l’hydrogène bleu pour le climat dépendent largement de la quantité de méthane perdue en cours de route, entre l’extraction du gaz et la production de l’hydrogène, ainsi que de l’efficacité de la séparation du CO2 lors du reformage du gaz naturel. «Les émissions de méthane sont très diffuses, car elles peuvent se produire à de nombreux points différents de la chaîne de production, relève Christian Bauer. Suivant la technique d’extraction et le pays d’origine du gaz naturel, elles oscillent entre quelques dixièmes de pourcent et quelques pourcents.» Et en ce qui concerne la séparation du CO2, il existe des méthodes qui permettent de capter et de séquestrer la quasi-totalité du CO2 produit, alors que d’autres n’en captent et n’en séquestrent que la moitié. «Les technologies modernes de capture du CO2 permettent de séparer pratiquement tout le CO2 généré par la production d'hydrogène», explique van der Spek. L'hydrogène bleu pourrait ainsi jouer un rôle clé dans la transition vers une société neutre en carbone.

La clé: une norme technologique exigeante

La clé pour un hydrogène bleu qui représente vraiment un avantage pour le climat est donc la suivante: fixer des normes élevées pour la technologie: «Les Pays-Bas et la Norvège peuvent servir d’exemple», affirme Christina Bauer. Ces pays extraient et transportent du gaz naturel pratiquement sans perte, moyennant des émissions de moins de 0,5%. Si lors du reformage du gaz naturel, la quasi-totalité du CO2 est séparée et séquestrée, par exemple dans d’anciens champs gaziers en Mer du Nord – une solution efficace et sûre qui a fait ses preuves depuis de nombreuses années –, alors cet hydrogène bleu s’avère presque aussi respectueux du climat que l’hydrogène vert.

Le chercheur du PSI souligne que ses collègues des Etats-Unis ne se sont pas trompés dans leurs calculs: «Ils ont seulement considéré de manière assez unilatérale le côté négatif du spectre des possibilités de production d’hydrogène bleu. Nous, en revanche, nous montrons que si l’on fait les choses correctement, cet hydrogène apporte certainement une précieuse contribution au tournant énergétique.» Il pourrait en tout cas représenter une sorte de solution de transition, jusqu’à ce que l’hydrogène vert soit disponible partout et à bas prix. «La demande croissante rendra peut-être nécessaire d’utiliser les deux formes de manière complémentaire sur une longue période», précise Christian Bauer.

L’industrie gazière a déjà compris qu’une production générant le moins d’émissions possible pouvait assurer sa pérennité. Elle s’est donnée comme objectif d’amener la technologie mondiale à une norme qui autorise un maximum de 0,2% d’émissions de méthane. Au niveau politique également, les valeurs seuils, en dessous desquelles l’hydrogène bleu pourrait être considéré comme un produit à faible teneur en carbone et donc respectueux du climat, font l’objet de discussions. «Il est important que ce genre de valeur seuil tienne vraiment compte des émissions tout au long de la chaîne d’approvisionnement», souligne Christian Bauer. Des facteurs décisifs ne doivent pas être occultés lors de l'établissement du bilan.

Texte: Jan Berndorff

 

 

Nomenclature de l’hydrogène
Suivant la manière dont il est produit, l’hydrogène porte différents noms dans le secteur énergétique. Voici le «code couleur» en vigueur:

  • Hydrogène vert: produit avec du courant issu d’énergies renouvelables
  • Hydrogène turquoise: produit par ce qu’on appelle la pyrolyse du méthane. Le gaz naturel est scindé thermiquement en hydrogène et en en carbone solide.
  • Hydrogène jaune: produit à partir de matière organique comme la biomasse, le biogaz et le biométhane
  • Hydrogène rose: produit avec du courant issu de l’énergie nucléaire
  • Hydrogène bleu: produit à partir du biogaz en séparant le dioxyde de carbone
  • Hydrogène blanc: hydrogène à l’état naturel
  • Hydrogène gris: produit à partir de gaz naturel (tous les vecteurs énergétiques fossiles sont souvent réunis sous la dénomination «gris»)
  • Hydrogène brun: issu de lignite
  • Hydrogène noir: issu du charbon (houille)
  

À propos du PSI

L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l'énergie et l'environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 2100 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 400 millions. Le PSI fait partie du domaine des EPF, les autres membres étant l'ETH Zurich, l'EPF Lausanne, l'Eawag (Institut de Recherche de l'Eau), l'Empa (Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche) et le WSL (Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage).

 

 

Publication originale

On the climate impacts of blue hydrogen production
Christian Bauer, Karin Treyer, Cristina Antonini, Joule Bergerson, Matteo Gazzani, Emre Gencer, Jon Gibbins, Marco Mazzotti, Sean T. McCoy, Russell McKenna, Robert Pietzcker, Arvind P. Ravikumar, Matteo C. Romano, Falko Ueckerdt, Jaap Vente, Mijndert van der Spek
Sustainable Energy & Fuels, 19.11.2021
DOI: https://dx.doi.org/10.1039/D1SE01508G


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Auteur

Institut Paul Scherrer


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