La taille du noyau d’hélium a été mesurée avec une précision inégalée

Villigen, 27.01.2021 - Dans le cadre d’expériences conduites à l’Institut Paul Scherrer PSI, une collaboration internationale de recherche a mesuré le rayon du noyau atomique d’hélium de manière cinq fois plus précise que tous les chercheurs avant elle. Ce nouveau résultat permet de tester certaines théories fondamentales en physique et de déterminer des constantes fondamentales avec encore plus de précision. Pour réaliser leurs mesures, les chercheurs avaient besoin de muons: ces particules ressemblent aux électrons, mais sont 200 fois plus lourdes. Le PSI est le seul site de recherche au monde qui produise suffisamment de muons dits de basse énergie pour de telles expériences. Les chercheurs publient aujourd’hui leurs résultats dans la revue spécialisée Nature.

Parmi les éléments les plus fréquents dans l'univers, l'hélium arrive en deuxième position derrière l'hydrogène. Environ un quart des noyaux atomiques qui sont apparus après le Big Bang étaient des noyaux d'hélium. Ces derniers sont constitués de quatre composants: deux protons et deux neutrons. En physique fondamentale, connaître les propriété du noyau d'hélium est décisif, notamment si l'on veut comprendre les processus qui se jouent dans d'autres noyaux atomiques plus lourds que celui de l'hélium. «Le noyau d'hélium est un noyau tout à fait fondamental, que l'on pourrait qualifier de magique», explique Aldo Antognini, physicien au PSI et à l'ETH Zurich. Son collègue et co-auteur Randolf Pohl, de l'Université Johannes-Gutenberg de Mayence, en Allemagne, ajoute: «Les connaissances que nous avions jusque-là sur l'atome d'hélium résultaient d'expériences conduites avec des électrons. Mais au PSI, nous avons développé pour la première fois une méthode de mesure novatrice qui permet une bien meilleure précision.»

La collaboration internationale de recherche a ainsi réussi à déterminer la taille du noyau d'hélium de manière cinq fois plus précise que tous les chercheurs avant elle lors d'autres mesures. Le groupe publie aujourd'hui ses résultats dans la prestigieuse revue spécialisée Nature. Selon leur article, ce qu'on appelle le rayon moyen de charge du noyau d'hélium mesure 1,67824 femtomètres (il faut 1 million de milliards de femtomètres pour faire 1 mètre).

«L'idée derrière nos expériences est simple», relève Aldo Antognini. Normalement, les électrons chargés négativement gravitent autour du noyau d'hélium chargé positivement. «Nous ne travaillons pas avec des atomes conventionnels, mais avec des atomes exotiques, en remplaçant les deux électrons par un seul muon», détaille le physicien. Le muon est en quelque sorte le grand frère pesant de l'électron: il lui ressemble, mais il est environ 200 fois plus lourd. Un muon est beaucoup plus étroitement lié qu'un électron au noyau atomique et gravite autour de ce dernier sur des orbites beaucoup plus serrées. Dans le cas du muon, la probabilité d'être directement capturé par le noyau est également beaucoup plus importante que dans le cas de l'électron. «Recourir à l'hélium muonique nous permet de tirer des conclusions sur la structure du noyau atomique et de mesurer ses propriétés», résume Aldo Antognini.

Des muons lents et un système laser complexe

Les muons sont produits au PSI à l'aide d'un accélérateur de particules. Spécialité de cette installation: elle produit des muons de basse énergie. Ces particules sont lentes et peuvent être stoppées dans les appareillages utilisés lors des expériences. Cette condition est indispensable pour obtenir des atomes exotiques où un muon éjecte un électron de son orbite et le remplace. Des muons rapides, eux, fileraient à travers l'appareillage. Parmi toutes les installations comparables dans le monde, l'accélérateur du PSI est celui qui fournit le plus de muons de basse énergie. «C'est pour cela que l'expérience avec l'hélium muonique ne peut être conduite qu'ici», souligne Franz Kottmann, qui fait avancer depuis 40 ans les pré-études et les développements techniques nécessaires pour cette expérience.

Les muons sont envoyés dans une petite chambre remplie d'hélium gazeux. Si les conditions sont bonnes, on assiste à l'apparition d'hélium muonique où l'état énergétique du muon est tel qu'il est plus souvent capturé par le noyau atomique. «C'est là qu'intervient un deuxième composant important pour l'expérience», explique Randolf Pohl. Le système complexe canarde l'hélium gazeux avec une impulsion laser. Si cette impulsion laser a la bonne fréquence, le muon est excité et amené à un état énergétique supérieur où son orbite passe pratiquement toujours hors du noyau atomique. Lorsqu'il retombe de cet état initial, le muon émet de la lumière de type rayons X. Des détecteurs enregistrent ces rayons X.

Lors de l'expérience, la fréquence laser est variée jusqu'à réception de nombreux rayons X. Les physiciens parlent alors de fréquence de résonance. Celle-ci permet de déterminer la différence entre les deux états énergétiques du muon dans l'atome. D'après la théorie, la différence d'énergie mesurée dépend de la taille du noyau atomique. Les équations théoriques permettent donc de déterminer le rayon. Cette analyse a été conduite dans le groupe de recherche emmené par Randolf Pohl à Mayence.

L'énigme du rayon du proton s'estompe

En 2010 déjà, les chercheurs du PSI avaient mesuré le rayon du proton de la même manière. Or, à l'époque, le résultat qu'ils avaient obtenu ne coïncidait pas avec celui produit au moyen d'autres méthodes de mesure. Il était question d'une énigme du rayon du proton et certains avançaient qu'une nouvelle physique pouvait en être la cause, sous la forme d'une interaction entre muon et proton inconnue jusque-là. Cette fois-ci, il n'y a pas de contradiction entre le nouveau résultat plus précis et les mesures réalisées avec d'autres méthodes. «Il est peu probable qu'on cherche à expliquer ces résultats avec une nouvelle physique au-delà du modèle standard», relève Franz Kottmann. Avant de préciser qu'au cours des dernières années, la valeur du rayon du proton obtenue avec d'autres méthodes s'est d'ailleurs rapprochée du chiffre plus précis du PSI. «L'énigme du rayon du proton existe donc toujours, mais elle s'estompe», conclut le chercheur.

«Notre mesure peut être exploitée de différentes manières, explique Julian Krauth, premier auteur de l'étude. Le rayon du noyau d'hélium constitue une importante pierre de touche en physique nucléaire.» La cohésion des noyaux atomiques est assurée parce qu'on appelle l'interaction nucléaire forte, l'une des quatre forces fondamentales de la physique. Avec la théorie de l'interaction forte, appelée chromodynamique quantique, les physiciens aimeraient pouvoir prédire le rayon du noyau d'hélium et celui d'autres noyaux atomiques légers avec peu de protons et de neutrons. La valeur mesurée de manière extrêmement précise du rayon du noyau d'hélium met ces prédictions à l'épreuve. Elle permet aussi de tester de nouveaux modèles théoriques de la structure du noyau et ainsi de comprendre encore mieux les noyaux atomiques.

Mais les mesures réalisées sur l'hélium muonique peuvent aussi être comparées avec des expériences menées sur des atomes et des ions d'hélium conventionnels. Dans le cas de ces derniers également, il est possible d'utiliser des systèmes laser pour déclencher et mesurer des transitions d'énergie. Mais des transitions d'énergie électroniques, cette fois, et non pas muoniques. Les mesure sur de l'hélium électronique sont actuellement en cours. La comparaison des résultats des deux mesures permettra de tirer des conclusions sur certaines constantes naturelles fondamentales, comme la constante de Rydberg qui joue un rôle en mécanique quantique.

Collaboration de longue date

Alors que la mesure du rayon du proton n'avait abouti qu'au terme de fastidieux essais, l'expérience sur le noyau d'hélium a fonctionné d'emblée. «Nous avons eu de la chance que tout se déroule sans accroc, raconte Aldo Antognini. Car avec notre système laser, nous évoluons aux limites de la technologies et des pannes sont vite arrivées.»

«Les choses seront encore plus compliquées avec notre nouveau projet, où nous nous consacrons au rayon magnétique du proton et où les impulsions laser doivent être encore dix fois plus riches en énergie!», relève Karsten Schuhmann, de l'ETH Zurich.

Le résultat actuel est l'aboutissement de 20 ans d'une fructueuse collaboration qui réunit des instituts renommés comme le PSI, l'ETH Zurich, l'Institut Max-Planck d'optique quantique à Garching près de Munich, l'Institut für Strahlwerkzeuge de l'Université de Stuttgart, le cluster d'excellence PRISMA+ de l'Université Johannes-Gutenberg à Mayence, le Laboratoire Kastler Brossel/CNRS/Sorbonne Univ/ENS Paris/Collège de France à Paris, les universités de Coimbra et de Lisbonne au Portugal et la National Tsing Hua University à Taïwan. Ces travaux ont été financés, entre autres, par le Conseil européen de la recherche, le Fonds national suisse et la Fondation allemande pour la recherche.

Texte: Barbara Vonarburg

 

À propos du PSI

L'Institut Paul Scherrer PSI développe, construit et exploite des grandes installations de recherche complexes et les met à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale. Les domaines de recherche de l'institut sont centrés sur la matière et les matériaux, l'énergie et l'environnement ainsi que la santé humaine. La formation des générations futures est un souci central du PSI. Pour cette raison, environ un quart de nos collaborateurs sont des postdocs, des doctorants ou des apprentis. Au total, le PSI emploie 2100 personnes, étant ainsi le plus grand institut de recherche de Suisse. Le budget annuel est d'environ CHF 400 millions. Le PSI fait partie du domaine des EPF, les autres membres étant l'ETH Zurich, l'EPF Lausanne, l'Eawag (Institut de Recherche de l'Eau), l'Empa (Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche) et le WSL (Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage).

 

Publication originale

The alpha particle charge radius from laser spectroscopy of the muonic helium-4 ion
Julian J. Krauth et al., Nature, 27.01.2021
DOI: 10.1038/s41586-021-03183-1


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Auteur

Institut Paul Scherrer


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