Surmonter la crise du multilatéralisme – répondre aux nouveaux défis

Berne, 19.11.2020 - Allocution de M. le conseiller fédéral Guy Parmelin, Vice-Président de la Confédération, 25e anniversaire de l’OMC

Seule la version orale fait foi !


Mesdames et Messieurs les Ministres,

Messieurs les Directeurs-Généraux adjoints,

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Mesdames, Messieurs,

Au nom du Conseil fédéral suisse, j’ai l’honneur d’ouvrir la commémoration du 25ème anniversaire de la création de l’Organisation mondiale du commerce.

Nous fêtons aujourd’hui une organisation qui nous tient particulièrement à cœur, à nous les Suisses. L’OMC est un pilier de ce que nous appelons la « Genève internationale », ce pôle unique pour la gouvernance économique mondiale, et les diplomates et les collaborateurs qui travaillent ici font partie de notre population. L’OMC a aussi une importance primordiale pour le fonctionnement de notre économie, qui est fortement tourné vers l’extérieur. Et n’oublions pas que le peuple genevois a voté il y a quelques années sur la présence de cette organisation à Genève, et l’a plébiscité à une large majorité !

Je regrette que cet événement doive avoir lieu en mode virtuel. J’espère vivement que les conditions nous permettront bientôt de nous réunir en personne pour progresser vers nos objectifs communs.

Avant toute chose, il me tient à cœur de remercier le personnel de l’Organisation pour son dévouement exemplaire et la qualité des prestations qu’il fournit aux Membres.

Mesdames et Messieurs,

La crise du COVID-19 a plongé le monde dans la tourmente. Des millions de citoyens pourraient se trouver au chômage. Beaucoup de familles et d’entreprises ne savent plus comment joindre les deux bouts. Certaines frontières internationales, qui n’étaient plus qu’un vague souvenir il n’y a pas si longtemps, se sont imposées à nouveau dans notre vie quotidienne. Les voyages internationaux – les forces motrices du commerce et de la diplomatie – sont devenus plus onéreux. Les défis sont immenses et nous concernent tous.

Permettez-moi de vous adresser quelques mots de plus sur cette crise historique :

Certaines voix s’élèvent pour dire que le système ne serait pas adapté pour répondre à une pandémie, que les interdépendances créeraient trop de vulnérabilités. Ces arguments ne sont pas nouveaux. Ces dernières années, le scepticisme envers l’ouverture économique n’a cessé de croître, certains y voyant une menace pour leur bien-être. Nous vivons une crise de confiance à l’égard de l’économie mondialisée.

Aux sceptiques, je souhaite rappeler que le commerce international fait partie de la solution et non du problème. En effet, aucun pays n’est en mesure de produire seul les biens et les services dont il a besoin pour affronter une telle pandémie. Bien au contraire, les restrictions commerciales imposées au début de la crise sanitaire ont contribué à aggraver la situation. Les chaînes d’approvisionnement internationales ont pour leur part bien résisté face à des chamboulements énormes. Elles se sont montrées indispensables pour acheminer rapidement les biens nécessaires à la lutte contre la pandémie. Ceci est le cas pour les équipements de protection et les médicaments, mais également pour les denrées alimentaires.

Il faut toutefois s’assurer que nous soyons mieux préparés à faire face à de futures crises sanitaires. Commerce et santé peuvent et doivent s’épauler mutuellement. L’OMC a un rôle central à jouer pour renforcer les synergies entre les deux domaines.

Dans une perspective plus large, les règles de l’OMC garantissent l’ouverture des marchés indispensable à une reprise économique rapide et durable. Ces règles sont la meilleure défense contre le protectionnisme et la loi du plus fort. Elles n’ont donc rarement été aussi importantes qu’à l’heure actuelle, car nous avons besoin de l’ouverture des marchés pour sortir de cette crise. Que ce soit à court ou à long terme, les échanges internationaux sont un facteur de croissance et de prospérité.

S’il est crucial de maintenir l’acquis, nous devons aussi développer de nouvelles règles pour que l’OMC reste pertinente et relève les défis auxquels nous faisons face.

Avant d’évoquer ces défis, prenons un moment pour réfléchir aux origines de l’OMC. Le système commercial multilatéral est issu du pire mouvement de protectionnisme que le monde ait connu. C’est celui qui a précédé la deuxième guerre mondiale.

Les puissances commerciales de l’époque ont en effet augmenté massivement leurs droits de douane et le commerce mondial s’est effondré, aggravant ainsi la « Grande Dépression ».

À l’époque, le tissu de règles internationales contre le protectionnisme n’existait pas encore. Ce n’est qu’avec la création du GATT en 1947 et ses multiples cycles de réductions tarifaires que les dommages causés dans les années 1930 ont pu être réparés.

Il a fallu toutefois attendre 1994 et l’issue du cycle d’Uruguay pour que le GATT passe du statut d’accord provisoire à celui d’une organisation internationale à part entière : l’OMC. Grâce à un corps de règles plus étendu, l’OMC offrait désormais un forum sans précédent pour définir les règles du commerce et régler d’éventuels différends.

C’était une victoire pour le multilatéralisme, célébrée ici même il y a 25 ans.

L’OMC et le GATT dont elle est issue ont été mis en place pour surmonter la logique du chacun pour soi et faire face aux défis communs. Il faut souligner que ce succès n’aurait pas été possible sans le « Leadership » des grandes puissances de l’époque.

La création de l’OMC représentait également une victoire pour le droit international. Ses règles ont été créées d’un commun accord et elles s’appliquent à tous les Membres, indépendamment de leur taille ou de leur niveau de développement. Un système basé sur le droit reste la meilleure garantie contre la loi du plus fort. Et c’est précisément dans un contexte politique international incertain que ces règles révèlent toute leur importance. La prévisibilité et la transparence que ces institutions ont introduites sont indissociables de l’évolution de l’économie internationale depuis lors.

Il y a donc maintenant 25 ans que le GATT est devenu l’OMC. Arrêtons-nous brièvement pour faire le bilan de cette jeune dame qui est l’OMC, à peine issue de ses années formatrices.

Depuis 1995, l’organisation a pris une dimension réellement globale, avec l’adhésion de 36 nouveaux Membres comptant 1.7 milliard d’habitants. Ce succès témoigne de l’attractivité de l’OMC. On peut même dire que c’est grâce à ces accessions que l’OMC est devenue une authentique organisation multilatérale, à l’image de la galaxie des Nations Unies.

Au cours des 25 dernières années, l’OMC a traversé de nombreuses crises économiques, dont la crise de la dette en Asie à la fin des années 1990, la crise financière de 2007-08 et aujourd’hui la crise causée par la pandémie de COVID-19. Les règles de l’organisation ont fait preuve d’une stabilité remarquable au milieu des turbulences. Ces règles ont guidé dans une large mesure les décisions prises par les Etats. Nous sommes convaincus qu’en l’absence de règles communes, fortes et juridiquement contraignantes, le recours aux mesures protectionnistes aurait été bien plus fréquent pendant ces crises.

Depuis la création de l’OMC, les flux commerciaux mondiaux ont continué d’augmenter. Les crises ont certes généré beaucoup de volatilité, et la croissance du commerce a ralenti pendant la dernière décennie. Mais les échanges n’ont pas cessé de croître et, avec eux, la création de richesse, contribuant à hisser des centaines de millions de personnes hors de la pauvreté.

Bien qu’il s’agisse aujourd’hui de célébrer un anniversaire, on ne peut taire les difficultés que connait l’OMC. Malgré des efforts importants, un grad accord global de libéralisation n’a pu être conclu. En outre, l’intégrité de la fonction de règlement des différends est actuellement remise en question.

La crise de confiance qui affecte le commerce mondial se superpose à des tensions préexistantes dans la politique internationale. Mais surtout, elle vient s’ajouter à une crise plus générale des institutions multilatérales.

Face à ces difficultés, réfléchissons à ce qui n’a pas fonctionné, et à comment surmonter les blocages, et à engager les réformes qui s’imposent.

Cette démarche est d’autant plus importante que les défis auxquels l’organisation doit répondre sont nombreux. Comment pouvons-nous assurer que l’OMC et les règles du commerce international continuent à guider et à stabiliser nos relations ? Comment pouvons-nous assurer et faire évoluer l’ouverture des marchés, si importante pour le développement de nos économies?

Dans un monde globalisé, nous n’avons pas d’autre choix que de trouver ensemble des solutions aux défis communs. Tous les Membres de l’OMC ont intérêt à définir un terrain d’entente. La crise de confiance affectant le commerce international ne fait que renforcer cet impératif.

  • Tout d’abord, nous devons continuer à œuvrer au développement durable et à la réduction de la pauvreté. La pandémie et la crise économique ne doivent pas compromettre les succès que nous avons pu atteindre dans ce domaine. L’action multilatérale et coordonnée reste le moyen le plus efficace pour avancer vers les objectifs de développement durable.
  • La reprise économique que nous attendons tant doit être durable et respecter les ressources de notre planète. Il est grand temps de nous mettre au travail pour discuter comment l’OMC peut contribuer aux objectifs environnementaux et soutenir la mise en œuvre de l’accord de Paris. La conclusion rapide de l’accord sur les subventions à la pêche est également cruciale pour la sauvegarde des ressources halieutiques et de la biodiversité marine.
  • Les questions d’équité sont un autre sujet important. Lorsque les règles ne sont plus adéquates - ou ne sont plus perçues comme telles - les joueurs arrêtent de jouer. Nos citoyens et nos entreprises font-ils encore confiance à l’OMC ? Nous devons nous interroger sur les règles qui sont nécessaires pour le 21e siècle. Quel est le rôle adéquat de l’Etat dans l’économie ? Et comment pouvons-nous concilier différents systèmes?
  • Dans la même veine, rendre sa fonctionnalité au système de règlement des différends doit être un objectif prioritaire, et j’espère que nous y parviendrons lors de la prochaine conférence ministérielle.
  • Nous sommes aussi appelés à assurer que le développement technologique soit bénéfique pour chacun. Nous devons continuer à stimuler l’innovation, qui est un vecteur de progrès pour l’humanité. Nous devons également faire en sorte que le vaccin et les traitements contre le COVID-19 soient accessibles à tous. La Suisse a entamé avec plusieurs autres Membres une réflexion comment l’OMC pourrait mieux nous aider à faire face à la prochaine pandémie.
  • Enfin, la digitalisation présente un énorme potentiel pour la participation au commerce mondial. Des approches trop fragmentées risquent toutefois de saper ce potentiel. Ici également, l’OMC a un rôle à jouer pour permettre à ses Membres de définir un cadre commun.

Mesdames, messieurs,

La crise actuelle a démontré une fois de plus notre interdépendance, et l’importance de coopérer pour trouver des solutions aux problèmes contemporains. Le droit international public et les règles multilatérales de l’OMC se sont révélés des guides essentiels, aujourd’hui comme par le passé. L’héritage des leaders de l’après-guerre, qui étaient dotés d’une prévoyance extraordinaire, est donc bien vivant. Pour affronter les défis qui nous font face, il faut que nous trouvions ce même Leadership. Profitons de cette crise pour remettre l’organisation en forme pour le reste du 21e siècle !

La Suisse est convaincue que la nouvelle Directrice-Générale, une fois qu’elle sera en fonction, nous soutiendra dans cette entreprise, en aidant les Membres à élaborer des solutions concrètes. Elle pourra compter sur notre soutien plein et entier dans sa tâche.

En guise de conclusion, laissez-moi souligner que l’OMC est un bien commun global. Tirons le meilleur parti des possibilités qu’offre l’OMC, et définissons les pierres angulaires de la gouvernance du commerce mondial pour les 25 prochaines années.

Nous, Suisses, espérons pouvoir fêter encore souvent l’anniversaire de cette organisation et qu’elle aura une longue vie ici même, sur les rives du Lac Léman.

Je vous remercie pour votre attention et vous souhaite une bonne continuation des festivités.


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