Internements administratifs: La réhabilitation des personnes concernées ne fait que commencer

Berne, 02.09.2019 - Avec la publication de la synthèse de ses résultats de recherche, la Commission indépendante d’experts (CIE) arrive au terme de ses travaux. Cette étude historique approfondie contribue à la réhabilitation des personnes qui, en Suisse, ont été concernées par les internements administratifs. La CIE transmet par la même occasion ses recommandations au Conseil fédéral. Elle conseille de poursuivre, par de nouvelles mesures, le processus de réhabilitation qui a été initié. D’une part, elle recommande l’apport de soutiens financiers aux personnes concernées pour améliorer leurs conditions de vie précaires. D’autre part, elle propose la fondation d’une "Maison de l’autre Suisse". Ce lieu doit servir d’espace d’échange et de soutien pour les personnes concernées et réunir, sous un même toit, différentes mesures concrètes de réhabilitation.

Après plus de quatre années de travail, les résultats de l’étude historique sur les internements administratifs en Suisse sont disponibles. Les résultats scientifiques montrent que l’internement administratif, au vu de la durée de sa pratique et du grand nombre de personnes touchées, constitue un phénomène de grande ampleur. Au 20ème siècle, les autorités ont enfermé sans procès et sans lien avec un délit au moins 60 000 personnes dans pas moins de 648 institutions réparties dans toute la Suisse. Cette mesure coercitive a touché un large éventail de groupes d’individus considérés comme "fainéants", "débauchés" ou "alcooliques". Les personnes visées avaient en commun leur position en marge de la société et leur stigmatisation par les autorités, qui les considéraient comme "déviantes" par rapport aux normes qu’elles défendaient. Les recherches de la CIE montrent également que ces internements administratifs étaient peu formalisés, bien que disposant d’une base légale. Les décisions concernant les placements institutionnels et les recours étaient souvent prises par des particuliers, laissant une grande place à l’arbitraire.

La CIE a également montré que les autorités utilisaient les mesures de coercition à des fins d’assistance dans des établissements fermés pour faire face à des défis sociaux et politiques. Les internements administratifs ont été utilisés dans le cadre de la prise en charge de nombreux problèmes sociaux, comme volet coercitif de l’assistance aux pauvres, comme outil de lutte contre l’alcoolisme, comme mesure "policière" pour le maintien de l’ordre et de la morale publics ou comme mesure de "rééducation" d’enfants et de jeunes adultes considérés "moralement abandonnés". Dans les institutions, les personnes internées étaient à la merci des responsables d’établissements dans tous les aspects de leur vie quotidienne. Bien qu’elles n’aient commis aucun délit, elles étaient fréquemment emprisonnées avec des détenu‧e‧s de droit commun. La CIE a révélé différentes formes d’abus de pouvoir qui allaient de l’abus sexuel aux châtiments corporels confinant à la torture. La libération et les conditions de vie qui s’en suivaient étaient tributaires de la volonté de la direction des établissements. De nombreuses personnes concernées sont restées dans la ligne de mire des autorités après leur libération et ont ainsi dû lutter toute leur vie contre la stigmatisation que cela impliquait.

Le processus de réhabilitation ne fait que commencer

Par son analyse scientifique, la CIE prend part à la réhabilitation des personnes concernées, en Suisse, par les mesures de coercition à des fins d’assistance. Le processus de réhabilitation initié doit à son sens être poursuivi à plusieurs niveaux. Les mesures en cours, à savoir le versement par l’Office fédéral de la justice de contributions de solidarité aux personnes concernées et l’analyse scientifique d’autres aspects des pratiques d’assistance en Suisse dans le cadre du Programme national de recherche "Assistance et coercition – passé, présent et avenir" (PNR 76) ne représentent qu’un début. La CIE est d’avis que des mesures supplémentaires sont nécessaires pour la réhabilitation des personnes touchées par les mesures de coercition à des fins d’assistance. Elle recommande des mesures concrètes.

Des prestations financières supplémentaires aux personnes concernées

D’une part, la CIE recommande le versement aux personnes concernées par les mesures de coercition à des fins d’assistance de prestations financières supplémentaires – en complément de l’aide immédiate et des contributions de solidarité. De nombreuses personnes qui ont été victimes de mesures de coercition à des fins d’assistance vivent encore aujourd’hui dans des conditions financières et sanitaires précaires. Les travaux de la CIE mettent en évidence qu’il s’agit souvent des conséquences directes des mesures coercitives qu’elles ont subies. L’exclusion et la stigmatisation qui en ont découlé ont prétérité leur intégration sociale et professionnelle tout au long de leur vie. Nombre d’entre elles souffrent encore de problèmes psychiques et physiques liés aux mauvaises conditions de vie et aux expériences traumatisantes auxquelles elles ont été soumises. Des prestations financières supplémentaires et pérennes peuvent contribuer à améliorer la qualité de vie des personnes concernées de manière déterminante.

La Commission indépendante d’experts recommande la mise en œuvre de propositions qui n’ont jusque-là pas été prises en compte. Il s’agit notamment de la gratuité de l’abonnement général CFF pour les personnes concernées, de l’exonération fiscale cantonale pour les personnes dont les dettes d’impôt sont élevées en raison de conditions de vie précaires, de la création d’un fonds d’aide pour la couverture des frais médicaux non assurés, de même que le droit à une rente spéciale à vie. La CIE recommande également l’abandon de l’échéance pour le dépôt des demandes de contributions de solidarité.

Une "Maison de l’autre Suisse" comme lieu de réhabilitation

D’autre part, la CIE recommande des mesures à long terme qui favorisent la réhabilitation des personnes concernées sous diverses formes. Elle préconise la création d’un lieu destiné aux personnes victimes de mesures de coercition à des fin d’assistance: une "Maison de l’autre Suisse" rassemblant diverses fonctions sous un même toit. Par le biais d’expositions et d’événements, les personnes concernées pourraient y présenter la thématique à un large public de façon autonome et selon leur point de vue. Elles devraient également être soutenues dans l’exercice de leurs droits politiques afin de faire entendre leurs revendications. Une "Maison de l’autre Suisse" offrirait l’infrastructure nécessaire, ainsi qu’un espace de consultation et d’échange. En outre, la CIE recommande que ce lieu permette un accès gratuit à des offres de formation et à des activités culturelles. Une telle "Maison de l’autre Suisse" pourrait par ailleurs jouer le rôle de lieu de mémoire sur l’histoire des mesures de coercition à des fins d’assistance, et servir de point de départ pour de nouvelles initiatives de recherche participative qui permettraient de poursuivre le développement des connaissances de l’histoire des mesures de coercition à des fins d’assistance.

La CIE – une analyse scientifique sur l’internement administratif
La Commission indépendante (CIE) Internements administratifs est chargée depuis 2014 par le Conseil fédéral d’analyser scientifiquement la thématique de l’internement administratif en Suisse, c’est-à-dire les mesures coercitives qui ont mené au placement dans un établissement fermé avant 1981 en Suisse. Les internements administratifs étaient généralement ordonnés par les autorités administratives et les personnes concernées n’avaient commis aucun délit. Les personnes stigmatisées en raison de leurs comportements et de leur mode de vie qui ne correspondaient pas, pour diverses raisons, aux normes sociales de l’époque étaient particulièrement touchées. Environ 40 chercheuses et chercheurs ont travaillé durant quatre ans pour la CIE, la plupart à temps partiel. En 2019, la commission d’experts a publié ses résultats dans une série de dix volumes aux éditions Chronos, Alphil et Casagrande.


Adresse pour l'envoi de questions

Dr. Dr. h.c. Markus Notter, Président de la CIE, +41 79 623 18 53
Prof. Dr. Anne-Françoise Praz, Vice-Présidente de la CIE, +41 79 440 37 31
Prof. Dr. Martin Lengwiler, Vice-Président de la CIE, +41 77 206 84 78
Dr. Elie Burgos, Secrétaire général de la CIE, +41 78 613 76 66



Auteur

Commission indépendante d’experts Internements administratifs
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