« Le journalisme scientifique : plus nécessaire que jamais »

Berne, 01.07.2019 - Allocution de Madame la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga à l’occasion de la cérémonie d’ouverture du Congrès mondial des journalistes scientifiques, Lausanne, le 1er juillet 2019

Seules les paroles prononcées font foi

Au nom du Conseil fédéral et en mon nom personnel, je vous souhaite, à toutes et à tous, la plus cordiale bienvenue en Suisse, à Lausanne.

C’est la seconde fois que cette conférence se déroule dans un pays francophone. Merci d’avoir choisi notre pays.

La Suisse a très peu de ressources naturelles. Certes nous avons le fromage et…Rodgeur Federer. Vous connaissez tous notre star, j’espère que vous aurez le temps d’apprécier aussi nos fromages…

La Suisse mise sur la science et la recherche

En l’absence de ressources naturelles, nous misons donc beaucoup sur la science, sur la recherche et sur l’innovation. Nous consacrons plus de 22 milliards de francs à la recherche. Ces dépenses représentent 3,4% du produit intérieur brut, un ratio très élevé en comparaison internationale. Selon les chiffres de l’OCDE, la Suisse arrive ainsi en 3ème position derrière la Corée du Sud et Israël. Et plus de 40% de ces dépenses sont consacrées à la recherche fondamentale.

Il y a donc de la matière pour le journalisme scientifique et nous avons besoin de vous.

Davantage d’intérêt pour la science que pour le sport !

Car les sondages le montrent : la population suisse s’informe le plus souvent sur la science et la recherche via des quotidiens, des hebdomadaires et des magazines. Internet et la télévision sont également d’importantes sources d’informations. La majorité de la population suisse veut que les scientifiques informent le public de leur travail. Au niveau européen, le désir est le même. On peine à le croire, mais en Europe, l’intérêt du public pour la recherche scientifique et les développements technologiques est supérieur … à l’intérêt pour le sport ! (J’espère que Federer nous pardonnera !)

Grâce à Internet, le savoir est accessible à tous, partout et en tout temps.

Or, cette masse de connaissances a plus que jamais besoin de personnes qualifiées qui l’organisent,

  • établissent une hiérarchie,
  • mettent les résultats en perspective,
  • osent un oeil critique.

La science dit les faits et tire la sonnette d’alarme

Comment le profane peut-il distinguer une bonne étude d’une étude dont les résultats ne seraient ni fiables, ni vérifiés ?

C’est d’autant plus important que c’est la science qui établit les faits. C’est aussi la science qui tire la sonnette d’alarme.

Prenez le réchauffement climatique : cela fait des années que le GIEC nous avertit, nous prévient des conséquences du phénomène. Et si aujourd’hui le monde a pris conscience de l’importance de ce message, c’est en grande partie grâce à vous, grâce à votre travail.

La démocratie a besoin des journalistes scientifiques

Car, comment exercer ses droits de citoyen en toute connaissance de cause lorsqu’il est question d’organismes génétiquement modifiés, de technologie nucléaire, de l’introduction de la 5G ou de la nécessité des vaccins ?

L’exercice de la démocratie est aussi tributaire du travail des journalistes scientifiques. Davantage encore lorsqu’un président d’une grande puissance qualifie de « fake news » tout ce qui ne lui convient pas.

Votre rôle est donc plus nécessaire que jamais. Pour expliquer les enjeux de la recherche, pour démêler le vrai du faux, pour apporter une lecture critique qui irait au-delà d’un clic sur un moteur de recherche.

Nécessaire aussi pour nous, les politiciens, qui devons prendre des décisions, proposer des solutions.

Nécessaire encore pour le consommateur qui pourra adapter son comportement, modifier ses habitudes.

Or, votre capacité à remplir ce rôle est étroitement liée au débat en cours sur le rôle et le financement de la presse.

J’ose dire qu’en Suisse, nous aimons la presse. Notre pays compte plus de 350 programmes de radios et de télévisions et plus de 2000 titres de presse écrite au sens large. En français, en allemand, en italien, en romanche. C’est autant une richesse qu’une nécessité. Notre système de démocratie directe a besoin d’une presse forte, diversifiée, d’une presse de qualité. C’est un défi.

La presse suisse en plein bouleversement

Car la Suisse n’est pas une île. Elle n’échappe pas aux grands bouleversements qui touchent votre profession. Chez nous aussi, la presse souffre de la diminution des recettes publicitaires et de la concurrence des géants du Net.

Les habitudes des lecteurs changent, les jeunes regardent ailleurs et les rédactions rétrécissent. Le modèle d’affaires appelé à succéder à celui que nous avons connu reste à inventer. La gratuité des contenus s’est imposée et certains s’étonnent de devoir payer pour ce qu’ils pensent relever du libre-service.

Ces évolutions m’inquiètent. En tant que ministre mais aussi en tant que simple citoyenne. 

J’ai passé 8 ans au ministère de la Justice. J'ai toujours défendu le principe de l’Etat de droit.  Parce que sans l'État de droit, il ne peut y avoir de liberté de parole, de liberté des médias. Il ne peut y avoir de démocratie.

Depuis le début de cette année, je suis la ministre des infrastructures. 

Lesquelles doivent fonctionner. C’est mon job. Je parle des trains, des réseaux électriques, de la poste. C’est indispensable à la bonne marche d’un pays. Et pour moi, le paysage médiatique fait partie de ces infrastructures. Il doit fournir des informations fiables à la population. Pour que les gens puissent prendre des décisions en connaissance de cause. D’autant plus dans notre pays où les citoyens sont appelés plusieurs fois par an à voter.

Préserver les fondements du débat démocratique

Or sans information et sans faits, il n'y a pas de débat - et pas de démocratie. Et c'est ainsi que mon ancienne tâche est liée à la nouvelle. Il s'agit de préserver les fondements d'un débat démocratique. 

Les médias sont l'assurance-vie d'une démocratie moderne.

Les géants du Net ne sont pas en mesure de remplir correctement cette fonction, malgré des milliards d'utilisateurs. Et ils ne le veulent pas non plus. Bien qu'ils soient financièrement puissants, ils n'investissent pas dans des nouvelles pertinentes, ils ne contribuent pas activement à un discours éclairé. Ils poursuivent leur propre programme. Ils ne tiennent pas compte non plus des particularités culturelles ou linguistiques d'un pays. C'est leur droit de poursuivre leur propre modèle d'affaires ; mais ne le confondons pas avec ce que nous entendons par journalisme.

Pour moi, le constat est clair : la démocratie a besoin de médias de qualité.

Un appel aux éditeurs

Mesdames, Messieurs,

Je sais vos préoccupations. Elles sont pour une bonne part liées aux évolutions que nous venons d’évoquer.

J’ai souligné l’importance fondamentale de votre rôle.

Aussi je lance un appel aux éditeurs et aux responsables des différents organes de presse : le journalisme scientifique ne doit pas être le parent pauvre des rédactions. Les articles scientifiques ne doivent pas être publiés, faute de mieux.

Bien au contraire. A l’heure où chacun croit tout savoir sur tout,

  • il est plus nécessaire que jamais d’apprendre aux lecteurs à « lire » la science
  • il est plus nécessaire que jamais d’expliquer aux citoyens les enjeux des évolutions technologiques.
  • il est plus nécessaire que jamais de pouvoir distinguer le vrai du faux.

Je vous remercie donc de votre engagement et vous souhaite de fructueux débats.


Adresse pour l'envoi de questions

Communication DETEC, tél. +41 58 462 55 11


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