L’aviation civile, point d’appui et catalyseur du développement de la place économique suisse

Payerne, 09.05.2019 - Conférence de M. le Conseiller fédéral Guy Parmelin Chef du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR) à l’occasion du rendez-vous économique « Aviation & Economie »

Seul fait foi le texte prononcé

Monsieur le Conseiller d’Etat,
Madame la Syndique,
Mesdames et Messieurs les invités du Centre Patronal vaudois,
Chers acteurs de l’économie broyarde en vos titres et fonctions,

Lorsque vous m’avez fait l’honneur de me convier à cet événement, j’étais encore chef du Département fédéral de la défense. A ce titre, j’aurais pu aujourd’hui vous livrer en primeur quelques considérations d’actualité au sujet de l’avenir de nos Forces aériennes, sur le positionnement de Payerne et de l’industrie aéronautique suisse dans ce contexte, et sur ma philosophie en matière d’affaires compensatoires.

J’aurais pu, car en politique comme dans les secteurs économiques de pointe, les choses changent vite, et le changement dicte sa loi. C’est donc aujourd’hui exclusivement en ma qualité de ministre de l’économie que j’ai le plaisir de m’exprimer devant vous, sans pouvoir préjuger évidemment des décisions que le Conseil fédéral prendra prochainement en matière de défense de notre espace aérien et au profit, le cas échéant, de la région qui nous accueille.

Les choses changent vite, en effet, puisque j’observe que même s’il a fallu presque 20 années pour concrétiser le projet d’un aéropôle ici à Payerne, cette implantation témoigne d’une accélération fulgurante des développements de l’aviation civile en Suisse. Il suffit pour s’en convaincre de se souvenir que le premier vol de ville à ville effectué en Suisse – en l’occurrence entre Avenches et Payerne – s’est déroulé il y a à peine 110 ans. Aujourd’hui, l’aviation civile suisse, c’est 3300 aéronefs, 1,4 million de décollages et près de 57 millions de passagers pour un taux d’accident objectivement infime. C’est aussi, sur le plan économique, une activité de première importance qui nous permet d’aller à la découverte du monde et qui permet au monde de venir à notre rencontre.

Le mouvement répond, il est vrai, à un besoin physiologique de l’être humain. Le déplacement est certes un des vecteurs du plaisir, mais c’est aussi, par les échanges qu’il facilite, la clef d’enrichissements de tous ordres. Aujourd’hui, compte tenu des avancées réalisées dans le domaine de la haute technologie, nous devons considérer les moyens de locomotion comme autant de débouchés pour la science et pour la recherche, deux secteurs très en vue dans notre pays comme ils le sont également dans mon département.

Ce dernier point trouve une résonance particulière dans une période de moins en moins encline aux concessions sur le plan environnemental. En effet, que Greta Thunberg privilégie le train pour effectuer le trajet Stockholm-Davos, et c’est toute une génération qui se prend soudain à remettre en question son rapport à l’aviation et ses prochaines destinations de vacances.

L’aviation désormais à la portée de tous, la voici devenue bouc émissaire de notre époque, victime de son succès, au même titre que l’automobile. Et il y a fort à parier que le « flygskam », ainsi que les Suédois désignent le sentiment de culpabilité né de l’idée de se faire complice de la pollution aérienne, a encore de beaux jours devant lui.

Je retiens pour ma part, au-delà des clichés du prêt-à-penser, que le transport aérien est un maillon stratégique de la chaîne économique d’un pays, au même titre que la route, le rail ou les ondes. Il n’existe pour l’heure aucun autre moyen de délivrer des prestations aussi rapidement, aussi loin et de façon aussi sûre que l’avion. La chose était probablement anodine il y a encore vingt ou trente ans, mais elle prend tout son sens dans un contexte international totalement globalisé et furieusement concurrentiel où il est d’autant plus ardu de répondre à l’obligation de créer de la valeur ajoutée. La vitesse et la réactivité sont dorénavant nos principaux atouts dans cette redoutable entreprise.

Au-delà de la mode de l’airplane bashing, mais sans pour autant sous-estimer les enjeux environnementaux, je constate que le transport aérien nous permet précisément de relever les défis économiques que je viens d’évoquer, tout en respectant des standards de qualité et des exigences de sécurité particulièrement élevés.

Puissant instrument de mobilité, l’aviation civile est à la fois le point d’appui et le catalyseur du développement de notre place économique au sens large, puisque j’y inclus évidemment celui de nos régions périphériques, ce que la Broye entendra certainement avec plaisir.

Réduire 57 millions de passagers à un volume de carburant ou de CO2 est un raccourci simpliste, car on ne voyage pas que pour l’agrément : on se déplace aussi par obligation, parce que c’est ce que réclame le partage du travail dans un processus mondialisé de création de richesse. Cette réalité est d’ailleurs particulièrement prégnante dans un pays géographiquement centré comme l’est le nôtre.

Le mouvement est donc devenu un gage de succès pour une économie dont le progrès et la stabilité dépendent de sa capacité à avancer. La contribution de l’aviation civile à son développement a d’ailleurs été soulignée dans le rapport 2016 du Conseil fédéral sur la politique aéronautique. Le gouvernement y rappelait que le transport terrestre et le transport aérien généraient conjointement une valeur totalisant environ 12 milliards de francs et qu’ils offraient quelque 70'000 places de travail en Suisse. Ce qui n’est pas tout à fait rien…

La voie des airs est une infrastructure pour ainsi dire immatérielle, mais elle a de solides points d’appui au sol à partir desquels notre économie, comme je le disais précédemment, peut s’élancer à la conquête d’autres marchés ou permettre à ceux-ci de venir à notre rencontre.

A l’ère d’internet, du smartphone et de la démocratisation du transport aérien, la compétitivité se mesure plus que jamais – et pratiquement sans délai – à une échelle internationale. C’est la raison pour laquelle nous mettons un soin particulier à la réduction des barrières commerciales et à l’amélioration de notre accès aux marchés étrangers. Actuellement, nous disposons ainsi d’un réseau de 30 accords de libre-échange signés avec une quarantaine de partenaires, principalement dans le cadre de l’Association européenne de libre-échange. Cette réalité nécessite résolument de la mobilité, parce que l’accessibilité est l’une des conditions du succès dans le cas d’une petite économie ouverte comme l’est la nôtre. C’est à ce titre qu’elle est l’une de nos priorités.

Dépourvue d’accès à la mer, la Suisse assure cette accessibilité à partir des têtes de pont que sont nos aéroports internationaux. Grâce à eux, notre pays peut s’envoler en direction de 106 destinations intercontinentales et garantir plus de 200 liaisons directes à travers le monde. Grâce à eux, notre économie peut atteindre 44% du PIB européen à moins de 4 heures de vol de Zurich, contre 11% seulement si nous n’avions pas cet aéroport.

L’industrie pharmaceutique, l’industrie de précision, l’horlogerie et les secteurs de production de machines ou de biens d’équipement sont quelques-unes des principales branches exportatrices suisses et vaudoises. Ces secteurs ont par conséquent un besoin vital de pouvoir atteindre leur clientèle de façon sûre, fiable et rapide. Ce sont là d’ailleurs les caractéristiques du Swiss made, des caractéristiques partagées par l’aviation qui fait voyager 40% de nos exportations tout en permettant de réduire le temps d’immobilisation du capital.

Par ailleurs, la Région lémanique est l’une des principales destinations touristiques de Suisse, la 5e en nombre de nuitées si je suis bien informé. L’apport de l’aviation à la santé de cette branche n’est plus à démontrer : un tiers de nos visiteurs étrangers nous rejoignent par la voie des airs, 70% pour ce qui concerne nos hôtes en provenance de nos marché clés les plus éloignés.

Nombre d’entre eux viennent en Suisse pour assister à des conférences internationales, comme les 220'000 délégués qui atterrissent chaque année à Genève en provenance des cinq continents. D’autres participent à des échanges scientifiques de haut niveau comme des milliers de professeurs, de chercheurs ou de doctorants.

Là où certains préféreront comptabiliser les barils de kérosène, il serait assurément préférable de réfléchir sur le positionnement de notre pays en tant que centre de gouvernance mondiale le plus actif au monde, et en tant que pôle académique d’envergure internationale. Je me félicite dans ces conditions que la navigation aérienne soit au service de ce statut qui bénéficie au rayonnement de la Suisse et qui profite en définitive à chacun d’entre nous.

Mesdames et Messieurs,

Lorsque j’étais à la tête du DDPS, j’avais coutume de dire que la sécurité n’est pas un bien durable, du moins pas un état définitivement stable. Il en va de même pour la santé de l’économie, laquelle est directement exposée aux changements, qu’ils aillent dans le sens d’une évolution positive ou d’une dégradation. L’aviation n’échappe pas à cette règle et elle devrait idéalement être en mesure de l’anticiper, à tout le moins de s’y adapter. Elle n’atteindra ce degré de résilience qu’en prenant en compte un certain nombre de facteurs que j’aimerais énumérer ici.

Tout d’abord, l’innovation.

L’innovation est le fer de lance de notre économie. Il est dès lors impératif qu’elle serve également les intérêts de la mobilité : non seulement ceux des vélos électriques, mais aussi ceux d’une aviation en quête, si je puis dire, de nouvelles pistes lui permettant d’absorber nos besoins accrus de mobilité de façon optimale. L’objectif est en l’occurrence de permettre aux passagers et au fret de continuer de naviguer dans les meilleures conditions possible. Pour se concrétiser, cette ambition doit reposer sur une collaboration serrée entre Confédération, cantons, Skyguide et l’ensemble des acteurs du secteur.

Deuxièmement, la position centrale de la Suisse.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, un pays central comme le nôtre a besoin d’une desserte aérienne efficace. Ce résultat s’obtiendra prioritairement à partir de la plateforme de Zurich, mais les six autres régions économiques de notre pays ont aussi besoin, pour assurer leur développement et garantir leur dynamisme sur le long terme, de dessertes privilégiées, que ce soit via Genève ou Bâle, ou que ce soit par l’aviation d’affaires et les aéroports régionaux, tels que celui qui nous accueille.

Troisièmement, il faut savoir tenir compte des réalités politiques.

Nous ne sommes pas ici, ou plus tout à fait, dans le domaine de la froide raison, mais bien dans celui de l’opinion. Il est de fait que l’aviation bénéficie de nombreux et de solides soutiens dans notre pays, mais elle a aussi de farouches détracteurs, notamment dans les milieux sensibles à l’environnement. 2019, en tant qu’année électorale, n’en sera que plus révélatrice de ce clivage. Or, si la politique est l’art du possible, elle est aussi un défi de confiance. L’objectif des acteurs de la branche doit dès lors être de susciter de l’adhésion, notamment en cherchant des solutions globales, à l’échelle internationale. L’aviation civile ne s’assurera des itinéraires d’avenir qu’à la seule condition de suivre les voies du pragmatisme, dans une logique de synergie.

Quatrièmement, la quête de la sécurité et de la qualité.

Notre société a des attentes fortes en matière de responsabilité, parfois irréalistes tellement elles sont élevées. Quoi qu’il en soit, la sécurité et la qualité figurent bien au centre de ces attentes, qu’il s’agisse d’aviation civile comme d’à peu près tous les secteurs de l’économie où il faut bien admettre que le droit à l’erreur n’existe pratiquement plus.

Afin de satisfaire ces attentes de façon sereine, tout employeur devrait pouvoir s’appuyer sur des collaboratrices et des collaborateurs de première force, et cela à n’importe quel stade de leur carrière. Il doit au surplus s’imposer le respect de normes ambitieuses, voire les dépasser, a fortiori dans un domaine où la sécurité est primordiale. De cet engagement dépendra l’aptitude des milieux aéronautiques et apparentés à rivaliser avec leurs concurrents internationaux.

Enfin, je vous invite à ne pas perdre de vue la dimension numérique des choses, et les atouts comme les dangers qu’elle recèle.

L’ancien responsable de la défense que je suis ne peut en effet que vous encourager à optimiser sans cesse la sécurité de vos systèmes et de vos réseaux. Même si le sujet fait un peu moins les grands titres, les « cybermenaces » représentent un écueil permanent. Fort de ce constat, je peux dire que l’avenir de notre économie ne se dessinera pas en l’absence d’une sécurité renforcée.

Mesdames et Messieurs,

L’évolution du secteur de l’aviation est confrontée à des défis passionnants, considérables, comme au demeurant à peu près tous les domaines que recouvrent nos politiques publiques. Cette tension s’explique par l’instantanéité, la globalité et la technicité d’un grand nombre de nos activités humaines désormais.

A cet égard, je tiens à vous redire ici que la Confédération croit en l’aviation, et qu’elle y voit une solide rampe de lancement pour les biens qui ont établi la réputation de notre pays.

Dans des conditions rendues toujours plus ardues par la concurrence, les contraintes du développement durable, les limitations capacitaires de nos infrastructures nationales, aéroportuaires notamment, et un seuil d’acceptabilité populaire qui va s’abaissant, il sera toujours plus difficile de répondre aux besoins légitimes de mobilité de notre société et de notre économie.

C’est là un défi majeur pour les années à venir. Pour le relever, je conseille aux entrepreneurs de continuer de miser sur la sécurité, la fiabilité et la confiance, préalable à tout soutien populaire, préalable à tout soutien public.

Je ne voudrais pas conclure sans saluer la qualité du partenariat qui fonde les relations entre autorités et entreprises en Suisse, un partenariat bien entendu facilité par les effets de la proximité, renforcé par ceux de la confiance, mais dans lequel doivent toujours prévaloir l’esprit d’examen et le sens des responsabilités. Ce constat vaut d’ailleurs tout aussi bien pour les représentants du secteur aéronautique que pour l’ensemble des acteurs de l’économie suisse.

Le rôle de l’Etat dans ce contexte consiste à travailler sans relâche pour améliorer les conditions-cadres, tirer parti du changement, accompagner les entreprises, faciliter leurs tâches, notamment par l’allègement de certains dispositifs trop tatillons. Ces efforts doivent être poursuivis dans la durée pour que nous puissions disposer longtemps encore d’une économie moderne et performante.

C’est notamment dans cet esprit que le projet de réforme fiscale et de financement de l’AVS sera soumis au peuple dans dix jours. Il vise à établir un système d’imposition des entreprises qui soit conforme aux exigences internationales tout en demeurant attrayant. Il vise à renforcer l’AVS par l’encaissement de recettes supplémentaires, ce qui est aujourd’hui absolument indispensable. Il vise enfin à maintenir la compétitivité de la place économique suisse en matière d’implantation d’entreprises. Je salue le fait que le gouvernement vaudois considère comme essentielle l’acceptation de ce projet. C’est une marque de clairvoyance, et je ne puis que vous encourager à concevoir l’enjeu que sous-tend cet objet d’une façon identique.

Je vous remercie une fois encore de votre invitation et de votre chaleureux accueil. J’adresse à la commune de Payerne et à toute la région broyarde mes vœux de succès et de prospérité.

Merci de votre attention.


Adresse pour l'envoi de questions

Communication DEFR, 058 462 20 07


Auteur

Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche
http://www.wbf.admin.ch

https://www.admin.ch/content/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-74989.html