Sécurité de la Suisse : les nouvelles menaces et comment s’y préparer efficacement

Berne, 12.04.2017 - Présentation de M. le Conseiller fédéral Guy Parmelin, Chef du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS), à l’occasion de la conférence de la Société des officiers du campus universitaire de Lausanne, le mercredi 12 avril 2017.

Madame la Rectrice,
Monsieur le Président de la Société des officiers du campus universitaire de Lausanne,
Mesdames et Messieurs,

Parler de défense n'est pas une tâche aisée à partir du moment où la menace n'est pas lisible, ou alors pas aussi lisible qu'elle ne l'était par le passé. Nos appréciations dans ce domaine dépendent d'évaluations souvent subjectives, handicapées par l'imprévisibilité des choses, par leur soudaineté également ; elles se fondent sur des craintes conjoncturelles et sur des exemples d'autant plus marquants qu'ils se donnent souvent à voir sous nos fenêtres. Elles répondent enfin à un besoin de sécurité avéré, constant, impérieux, mais presque toujours inassouvissable dans la mesure où l'offre ne pourra jamais totalement correspondre à la demande au nom de ce fameux « risque zéro », un peu trop rabâché sans doute, mais dont notre société si éprise du « principe de précaution » finira par comprendre qu'il n'existe pas.

Notre Constitution fédérale, pour commencer à la source, prévoit que la Suisse a une armée, organisée selon le principe de milice, et que son rôle est, pour l'essentiel, d'assurer la défense du pays et de sa population. Au pouvoir politique revient ensuite la lourde tâche de faire coïncider les capacités de cette armée avec les besoins de sécurité identifiés.

Au XXe siècle, la menace est longtemps restée figée, focalisée d'abord sur les forces de l'Axe puis, jusqu'à sa chute en 1989, sur l'existence du rideau de fer. Les choses ont bien changé depuis lors. En devenant plus imprécise, la menace est devenue plus globale, plus furtive aussi, qu'elle ne l'a jamais été.

Il n'est évidemment pas interdit de débattre de ces questions de menace, ni d'exercer à cet égard son esprit critique, comme un responsable politique est d'ailleurs amené à le faire tous les jours. C'est la raison pour laquelle je me réjouis de pouvoir échanger avec vous sur ce thème important, et dans cet environnement académique propice aux légitimes remises en question. J'en profite pour remercier M. Bastien Wanner et la société qu'il préside d'avoir rendu possible cette rencontre en m'invitant à m'exprimer sur ce thème. Et je remercie évidemment l'Université de Lausanne, par sa rectrice, de son hospitalité.

Pour se convaincre des incertitudes du temps, un bref regard sur le globe parle mieux que de longs discours. L'année 2017 s'est ouverte sur un ordre mondial chahuté. La Russie s'impose comme une puissance incontournable, non seulement sur son propre territoire, mais encore dans ses zones d'influence, en Syrie, en Ukraine et jusqu'en Europe occidentale où elle figure en contrepoint de certains enjeux électoraux d'envergure nationale. Même l'Amérique, plongée depuis peu dans la perplexité née du choix d'un président dont la pondération ne paraît pas précisément être le point fort, s'interroge sur les liens supposés entre l'administration Trump et Vladimir Poutine. De ce dernier, on relèvera encore qu'il n'a pas besoin de proximité pour exercer son ascendant : Moscou pratique une propagande extrêmement active et sait se servir des moyens de communication électronique avec une redoutable et souvent nocive habileté.

L'Europe évolue de façon divisée dans ce maelstrom mondial. La Grande-Bretagne quitte l'Union européenne, la France vit une période préélectorale tourmentée alors que les enjeux qui se posent à l'Hexagone et à ses alliances stratégiques sont cruciaux. Angela Merkel devient pour ainsi dire la seule garante de la cohésion européenne et de l'unité de l'OTAN dans un continent confronté à des difficultés économiques et migratoires sévères. Plusieurs pays d'Afrique ou du Proche et du Moyen-Orient apparaissent quant à eux extrêmement fragilisés et instables, en raison d'une économie obérée, par suite de tensions ethniques, de conflits de voisinage ou du fait de structures étatiques défaillantes ou corrompues. Dans une liste mondiale qui en compte pour l'heure un peu moins de 200, un grand nombre de pays d'Afrique centrale, le Pakistan, l'Irak, la Syrie, l'Afghanistan sont ainsi considérés comme des Etats en déliquescence, des « failed states » comme les qualifie la langue anglaise.

Enfin, en Asie, nous voyons la Corée du Nord bomber le torse et aligner les provocations, quand la Chine peine pour sa part à clarifier les contours du rôle politique et stratégique qu'elle entend jouer dans cet environnement.

Ce panorama est donc celui d'un monde multipolaire, où le poids démographique, le budget militaire ou encore l'importance économique déterminent de plus en plus la puissance réelle des Etats. Il est aussi celui d'un monde fragilisé, plus nerveux, plus fébrile, où le risque d'un basculement paraît possible à chaque instant, à chaque élection ou à la première opportunité venue.

Vous m'entendrez souvent affirmer que la Suisse n'est pas une île. De fait, elle est située au cœur de l'Europe, elle exporte vers cette dernière plus de la moitié des marchandises qu'elle produit et elle importe de l'UE près des trois quarts des biens qui lui sont nécessaires. C'est dire que les menaces qui pèsent sur l'ouest de notre continent sont susceptibles de nous affecter directement. C'est la raison pour laquelle le Conseil fédéral, et mon département tout particulièrement, entretiennent des contacts suivis avec les autorités des pays qui nous entourent, au premier rang desquels la France, l'Allemagne et l'Autriche, pour tenter de matérialiser cette menace, pour y apporter des solutions concertées, collaboratives, et s'inspirer de l'expérience d'autrui, toujours profitable.

Comme vous le savez sans doute, le Conseil fédéral établit périodiquement un document intitulé « Rapport sur la politique de sécurité de la Suisse » qui constitue une sorte de baromètre de l'état du monde et qui, dans ce contexte, permet au gouvernement de définir ses principales orientations de défense. Notre dernier rapport date d'août 2016 et il sera discuté cette année encore au Parlement. Il dresse, en plus de 120 pages, un état des lieux assez vaste, presque kaléidoscopique, de la question, mais je souhaite me limiter ici à trois aspects qui m'apparaissent particulièrement pertinents à la lumière de l'actualité et de votre possible intérêt personnel : l'extrémisme violent, la manipulation et le vol d'informations et, enfin, l'évolution des conflits armés.

L'extrémisme violent tout d'abord. Cette question est doublement brûlante, du fait non seulement de son actualité, mais également de sa proximité : à Paris, à Nice, à Berlin, à Bruxelles, à Londres, à Stockholm dernièrement, une récente succession d'actes aussi brutaux que soudains ont fait un grand nombre de victimes au nom du terrorisme à composante djihadiste ou du moins inspiré par ce mouvement. Nous devons nous aussi, au-delà de tout a priori, nous poser les mêmes questions que nos partenaires : sommes-nous à l'abri des activistes, à l'abri de leurs gestes meurtriers ? Certainement pas. Selon les observations du Service de renseignement de la Confédération, depuis 2001, 81 personnes au total seraient parties de Suisse pour rejoindre les zones de conflit d'Asie occidentale, parmi lesquelles 30 seraient détentrices de la nationalité suisse. Par ailleurs, près de 500 individus ont été repérés en Suisse comme étant diffuseuses de matériel prônant l'idéologie djihadiste. Leur ombre plane sur notre sécurité.

Sans vouloir exagérer l'état de la menace dans ce contexte impalpable, nous devons considérer que les intérêts occidentaux, qu'ils soient ou non établis dans le monde islamique, sont susceptibles d'être visés. Notre pays ne figure pas sur la liste des cibles privilégiées, mais il n'est pas pour autant absent de la liste des cibles potentielles, et cela même s'il ne participe pas activement au conflit en cours en Syrie et en Irak. Notre rôle est de prendre en compte le risque d'attaques ponctuelles, qui seraient le fait d'individus ou de petits groupes de personnes isolées. Nous constatons en effet qu'Internet facilite la radicalisation, le développement spontané des réseaux, leur mobilisation rapide et la commission ciblée d'actes violents.

Les attaques planifiées par ce genre d'individus n'ont pas besoin d'être de grande ampleur pour heurter l'opinion publique et créer ainsi un climat de terreur : le dernier attentat de Londres a fait quatre morts et 50 blessés, il était le fait d'un homme seul, apparemment attiré par le djihad, mais sans lien établi avec le groupe Etat islamique qui a pourtant revendiqué l'acte en question. C'est ce type de risque que la Suisse doit craindre en matière de terrorisme. Et notre pays ne doit pas se bercer de l'illusion que le recul territorial de l'Etat islamique va entraîner une diminution de ce risque. Il demeurera vivace tant que la propagande de Daech trouvera des relais et tant que des personnes radicalisées seront potentiellement actives en Suisse et à nos portes.

Pour contrer ces menaces, des outils existent néanmoins. Compte tenu de l'aspect global du risque terroriste, je commencerai par souligner l'importance de la collaboration internationale dans cette lutte. Sur le plan politique, notre pays soutient et encourage les démarches entreprises et les programmes mis sur pied à cet égard par l'ONU. Sur le plan opérationnel, la Suisse partage avec un grand nombre de pays européens du renseignement et des informations qui peuvent s'avérer utiles dans la prévention des actes que j'évoque.

Il existe d'autres mesures, de nature notamment collaborative, judiciaire et policière, qui doivent concourir à la sécurité. Je me contenterai de recenser deux dispositifs qui devraient aider à anticiper les effets du terrorisme actuel et qui sont en lien avec certains des rouages de mon département. Le Réseau national de sécurité, tout d'abord, qui dépend en partie du DDPS et qui est chargé de prendre en main les dossiers de politique de sécurité devant être coordonnés entre la Confédération et les cantons. Cette instance vient de recevoir la mission d'élaborer d'ici le deuxième semestre de cette année un plan d'action national contre la radicalisation et l'extrémisme violent. Ce programme devra proposer des mesures concrètes et applicables à bref délai.

Ensuite, en septembre dernier, la population suisse a accepté comme vous le savez le principe d'un renforcement des outils d'investigation tels qu'ils sont prévus par la loi fédérale sur le renseignement. De nouvelles possibilités de surveillance du courrier postal, du courrier électronique et des conversations téléphoniques sont appelées à être introduites. Elles seront elles-mêmes strictement surveillées et encadrées par mon département, par le Conseil fédéral et par les délégués des Commissions de gestion du Parlement afin qu'il n'y ait ni contrôle abusif ni dérive administrative de la part des services de la Confédération. Cette nouvelle loi, qui devrait entrer en vigueur le 1er septembre prochain, ne se présente pas comme la panacée, mais elle apporte un indéniable surplus de sécurité.

Deuxième aspect sécuritaire sur lequel j'aimerais m'attarder : l'acquisition frauduleuse d'information. Tout comme le précédent, ce thème est d'une incontestable actualité. Certes, l'espionnage est une science ancienne. La professeure américaine Rose Mary Sheldon, spécialiste du renseignement dans l'Antiquité, nous explique d'ailleurs dans un passionnant ouvrage que les méthodes d'espionnage étaient déjà structurées sous l'Empire romain, après qu'Auguste eut compris l'atout de la ruse sur la force.

Deux mille ans plus tard, la Suisse n'échappe pas à ce phénomène. Toutefois, pour nos adversaires, l'enjeu n'est plus de s'emparer des plans de nos forteresses alpines, mais de prendre le contrôle des technologies de l'information et de la communication qui innervent nos services publics et notre tissu économique. Il faut craindre que la convoitise des pirates concerne non seulement des éléments de défense, mais également des secrets industriels, des ressources financières, des carnets d'adresses et même des leviers permettant de manipuler le monde politique. Quant aux auteurs de ces actes, ce ne sont pas des hackers opérant sous le masque de Guy Fawkes, ce sont de plus en plus souvent des Etats, même de petits Etats, en apparence parfaitement respectables sur la scène internationale.

L'espionnage au sens traditionnel ou classique du terme n'a pas à proprement parler disparu, mais il a pris des formes nouvelles, affranchies des frontières grâce à l'informatique. En ce moment même, pour vous donner un exemple, parmi les seize postes ouverts au sein du MI6, le service des renseignements extérieurs du Royaume-Uni, neuf le sont pour des emplois liés aux nouvelles technologies. James Bond n'est plus tout à fait ce qu'il était...

En Suisse, l'événement récent le plus retentissant dans ce domaine fut le piratage de l'entreprise RUAG par un maliciel étranger découvert en janvier 2016. Le caractère sensible des activités de cette entreprise a aussitôt placé ou remis le dossier de la cybersécurité en tête des préoccupations des autres branches vulnérables - je pense ici particulièrement aux banques, aux assurances, aux compagnies de transport - et accéléré la coordination de la lutte au sein de l'Administration fédérale. J'y reviendrai.

Au chapitre du piratage doivent également être comptabilisées les nombreuses opérations de propagande consistant à diffuser des messages orientés en détournant à cette fin des sites officiels. Le risque le plus préoccupant dans ce domaine est sans aucun doute celui qui est lié à une prise de contrôle des infrastructures critiques et au sabotage des systèmes qui en assurent la gestion. Outre les sociétés que je viens d'évoquer, les principales cibles du terrorisme numérique sont par conséquent les entreprises actives dans le domaine de l'approvisionnement, qu'il s'agisse d'électricité, de gaz, de combustibles et de carburants, d'eau, les télécommunications ainsi que tout ce qui se rapporte de près ou de loin au secteur de la santé ou à la sécurité alimentaire, de la production jusqu'à la distribution. Empêcher à distance l'un ou l'autre de ces pans d'activité de fonctionner normalement paralyserait notre pays en quelques heures en l'exposant aussitôt à des dominations externes sur lesquelles nous courons le risque d'avoir peu de prise si nous nous laissons surprendre.

Compte tenu de notre dépendance énorme vis-à-vis de ces ressources premières, notre vulnérabilité est d'autant plus considérable. Pour ne prendre que le cas du black-out, il a été estimé dans le cadre d'un récent exercice national que le coût minimum d'une pénurie électrique serait de 2 à 4 milliards de francs par jour et qu'il pourrait même se monter à 6 milliards de francs à l'horizon 2050, si l'on tient compte de l'évolution du PIB. Et ce n'est là que la mesure de l'impact économique, parce qu'il faut également évaluer les effets concrets et immédiats liés à un tel manque : sur les hôpitaux, les prisons, les services publics dans leur ensemble, sur notre mobilité, bref sur tous les volets de l'activité humaine moderne. Ce constat doit nous inciter à anticiper les risques, parce que nous ne parviendrions que très difficilement à en atténuer les conséquences si nous nous retrouvions subitement plongés dans l'urgence d'une telle situation.

Le déplacement de notre société vers la digitalisation, la centralisation des données, l'utilisation de systèmes complexes pour les traiter et notre recours constant à l'informatique - que ce soit à titre privé, professionnel ou institutionnel - font que nous sommes devenus à la fois très dépendants vis-à-vis de cette technologie et - dans l'hypothèse d'actes de piratage - très peu résilients, c'est-à-dire difficilement capables de retrouver nos capacités initiales dans le cas d'un bouleversement de nos activités.

Pour être en contact quotidien avec ces nouvelles technologies, vous pouvez vous-mêmes apprécier les chances qu'elles représentent. Cependant, il faut être conscient de leur potentiel de risques et des formes inédites de conflictualités qu'elles peuvent engendrer, a fortiori dans l'hypothèse où ces risques atteindraient un cadre interétatique.

Compte tenu de l'interconnectabilité de nos outils de télécommunication, égarer son téléphone portable, aujourd'hui, signifie perdre des données partagées avec d'autres appareils informatiques, perdre des messages, des codes, éparpiller des fichiers, des empreintes de moyens de paiement, et cela expose évidemment à une prise de contrôle de ses activités personnelles, de sa vie privée, des travaux que nous avons en cours, pour ne prendre que quelques exemples en apparence bénins.
La Suisse ne peut pas rester spectatrice de ce phénomène, un phénomène dont le WEF estime qu'il engendre pour 450 milliards de dollars de coûts annuels. Ce chiffre est évidemment difficile à objectiver dans la mesure où il dépend des bases de calcul envisagées, mais il a au moins le mérite de donner un ordre de grandeur économique à ce fléau.

Comme je vous l'ai dit, les besoins en cybersécurité se sont manifestés de façon soudaine, agitant au passage la scène politique et médiatique de notre pays. J'ai également eu l'occasion de me rendre compte que la France, qui est l'un des fers de lance de la lutte dans ce secteur, et la plupart des pays européens avec elle, partagent la même préoccupation que la nôtre à l'égard de cette nouvelle forme de criminalité et de menace.

En précisant criminalité et menace, je souligne que la lutte est double, relevant à la fois des autorités de police, quand il s'agit d'infractions pénales, et de la défense, lorsqu'il apparaît que l'ampleur du phénomène ou son acuité sont de nature à mettre la sécurité nationale en danger. Toutefois, le rôle de l'armée en la matière reste subsidiaire, comme le veut d'ailleurs son principe constitutionnel d'engagement.

Le département que je dirige a lancé une réflexion approfondie et dynamique dans ce domaine. Elle a débouché sur un plan d'action qui prévoit de tripler d'ici 2020 les effectifs militaires actuellement engagés dans la lutte contre les cybermenaces. Pour cela, nous n'allons pas créer de nouveaux postes, mais envisager des réallocations en fonction de nos priorités et de nos impératifs. Je dois en effet souligner qu'il existe des paramètres budgétaires contraignants qui balisent étroitement l'ambition qui est la nôtre.

Cela étant, au-delà des aspects financiers, il convient de rappeler que la mise en œuvre efficace d'un tel programme doit passer par la collaboration avec la société civile, et singulièrement avec le monde académique. D'ailleurs, aujourd'hui déjà, des contacts étroits sont engagés avec l'Université de Lausanne, l'EPFL et l'EPFZ, dans le dessein de donner un appui scientifique aux structures que nous ambitionnons de mettre sur pied et afin d'assurer que mon département soit une ressource de référence en matière de cyberdéfense. Je pense que cela n'est pas sans intérêt pour votre auditoire. De fait, notre armée a besoin de compétences techniques de pointe, qu'elle ne peut pratiquement trouver que dans vos rangs, l'objectif de ce partage de compétences étant que nous puissions les mettre ensuite à la disposition de l'économie privée et de la société civile. Il en va là d'une logique de bénéfices réciproques et de l'utilisation la plus profitable possible des savoirs.

Le dernier point que j'aimerais aborder concerne l'armée telle que nous l'avons toujours connue, c'est-à-dire avec uniforme, casque et fusil. Outre la menace terroriste latente, la menace numérique pressante, notre pays doit en effet conserver des stratégies de défense adaptées aux risques latents de conflictualité, mais d'une conflictualité qui a beaucoup évolué avec le temps. Désormais, elle se caractérise par une abolition des distances, et je ne parle pas ici uniquement des capacités des missiles balistiques, mais également, par exemple, du pilotage de drones qui permet aux Etats de viser des objectifs souvent situés à des milliers de kilomètres de l'opérateur qui les manœuvre.

Elle se caractérise aussi par son aspect hybride. La guerre d'aujourd'hui ne se présente plus comme le carré d'infanterie napoléonien ou la tortue des légions de Jules César. Si l'on parle désormais d'hybridation des conflits, c'est pour désigner des conflits qui se déroulent à la fois sur le terrain classique des opérations, au sein des populations civiles et sur la scène diplomatique. Cela signifie qu'en plus des armes conventionnelles sont engagés des moyens de propagande et de pression économique. A cela s'ajoutent l'implication accrue de la communauté internationale et la manipulation systématique des résidents locaux à des fins de désinformation. C'est dire que notre capacité de défense doit intégrer ces différents paramètres, dont l'illustration la plus éclatante est le conflit du Donbass toujours en cours dans le sud-est de l'Ukraine. Selon nos prévisions, c'est ce type de conflit qui est appelé à se multiplier dans l'avenir. Toutefois, dans la mesure où nous ne savons pas lire dans le marc de café, il serait imprudent d'exclure la survenance de guerres interétatiques classiques, même s'il apparaît peu vraisemblable que notre pays y soit un jour confronté.

Les conséquences pour notre système de défense sont simples : nous devons conserver une armée, mais une armée qui soit calibrée pour faire face aux défis de demain. En Suisse, cet axiome n'est pas ou du moins pratiquement plus contesté : depuis 1989, la totalité des objets tendant à restreindre les capacités et les ressources de l'armée ou à freiner son évolution ont été rejetés en votation populaire, à l'exception notable du fonds d'acquisition de l'avion de combat Gripen. Cette armée doit toutefois s'adapter, et c'est le sens donné à la démarche intitulée DEVA, c'est-à-dire le développement de l'armée, dont l'entrée en vigueur est prévue au début de l'an prochain pour une opérabilité complète attendue vers 2021. Nous avons voulu une armée qui soit à même de répondre aux caractéristiques des principales menaces que je viens d'évoquer, ce qui signifie pour l'essentiel une armée plus disponible, donc de taille plus modeste puisque limitée à 100'000 hommes, mieux instruite, mieux équipée.

Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je tenais à vous dire du profil de la menace tel que la Confédération l'a esquissé. Je pense qu'il montre clairement que nous ne naviguons pas à vue, que la source des problèmes est identifiée et que nous avons les capacités d'évolution nécessaires en dépit des importantes contraintes qui s'imposent au budget de la défense.

Je sais le monde estudiantin souvent enclin à la méfiance, voire à l'incrédulité lorsqu'il s'agit de sécurité. Je comprends cette approche, qui résulte bien souvent d'une perception différente, plus insouciante ou peut-être idéalisée des choses. Il faut admettre ces points de vue, mais ma fonction exige aussi de protéger et de convaincre, même si Alexandre Dumas fils affirmait que convaincre est une démarche vaine puisque, disait-il, « les opinions sont comme les clous : plus on tape dessus, plus on les enfonce. »

J'aimerais pour conclure, avant de prendre part avec vous à un échange plus dynamique, vous remercier de votre présence et de votre intérêt pour ces questions. Ma conception de l'armée me pousse à la promouvoir non pas comme une institution statique, mais comme un outil indispensable à notre souveraineté et à notre sécurité, un outil évolutif, moderne, un outil de milice aussi dont la devise pourrait être « par tous et au service de tous ».

Il n'en demeure pas moins que l'armée n'est qu'un maillon parmi d'autres de la chaîne sécuritaire. Aussi, je crois bon de rappeler dans cette enceinte que la force de notre pays réside d'abord dans des institutions solides, dans une société civile participative et dans une classe intellectuelle vigilante.

Je vous remercie de votre attention.


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