Dégrader le méthane avec l'oxygène du voisin

Dubendorf, 03.03.2015 - Les lacs dépourvus d'oxygène en profondeur n'émettent quasiment pas de méthane en surface. Mais contrairement à ce que l'on pensait, la dégradation de ce gaz au sein du lac n'est pas le fait d'archées ou de bactéries anaérobies. Une nouvelle étude effectuée dans le lac tessinois de Cadagno montre qu'elle est effectuée par des protéobactéries qui ont bel et bien besoin d'oxygène. Celui-ci leur est fourni par la photosynthèse d'algues voisines.

Contrairement aux mers, les étendues d'eau douce - et notamment les lacs de retenue des climats chauds - contribuent fortement aux émissions globales de méthane. Ce puissant gaz à effet de serre s'y forme suite à la décomposition de la matière organique déposée au fond. Bien qu'à la surface de la Terre, les lacs occupent nettement moins d'espace que les océans, leurs émissions de méthane sont beaucoup plus élevées. Parmi eux, les lacs bien brassés sont ceux qui en émettent le plus. Les systèmes lacustres stratifiés en permanence ou de façon saisonnière, qui présentent une couche profonde dépourvue d'oxygène, c'est-à-dire anoxique, émettent au contraire très peu de méthane. On pensai jusqu'à présent que les processus de dégradation du méthane dans les lacs étaient les mêmes que ceux observés en milieu marin. Une étude qui vient de paraître[i] montre qu'il n'en est rien.

 

Au lac de Cadagno, dans le Tessin, des chercheurs de l'Eawag (CH) et de l'institut Max Planck de microbiologie marine de Brême (D) ont démontré que la zone d'anoxie était bien le lieu d'une dégradation quasi-totale du méthane mais qu'elle n'abritait pratiquement aucune des bactéries méthanotrophes anaérobies connues, c'est-à-dire dégradant le méthane en l'absence d'oxygène. De même, les archées, connues pour leur forte implication dans la dégradation du méthane en milieu marin, en étaient quasiment absentes. En revanche, les échantillons prélevés à 12 m de profondeur étaient très riches en protéobactéries consommatrices d'oxygène : jusqu'à 240 000 cellules par millilitre.

 

« Nous nous sommes bien sûr demandé comment ces bactéries aérobies pouvaient vivre dans une eau dépourvue d'oxygène », raconte Jana Milucka de l'institut Max Planck, première auteure de l'étude. Pour le savoir, les biologistes ont notamment étudié le comportement des bactéries dans des essais de laboratoire. Ils ont constaté qu'une dégradation de méthane n'était observable que suite à un apport d'oxygène ou à une exposition à la lumière. Il est alors venu à l'idée des chercheurs que les bactéries utilisaient peut-être l'oxygène produit par photosynthèse par des diatomées - des algues à coque de silice - vivant à proximité. Leurs observations au microscope à fluorescence ont alors confirmé la présence de telles algues à côté de bactéries oxydatrices de méthane de la famille des méthylocoques qui pouvaient ainsi profiter de leur oxygène (photo 2).

 Le méthane est donc dégradé au sein même du lac grâce à la coopération entre les algues et les bactéries et ne s'échappe pas dans l'atmosphère. On ignorait jusqu'à présent l'existence de cette forme de dégradation dans les milieux d'eau douce. « En ce qui concerne les lacs qui comportent des couches anoxiques, nous devrons donc corriger les manuels. Mais aussi pour certaines zones marines », estime Carsten Schubert de l'Eawag, le responsable du projet. En effet, l'astuce des protéobactéries pour dégrader le méthane devrait fonctionner partout où la lumière peut pénétrer jusqu'aux couches d'eau privées d'oxygène. D'après Carsten Schubert, cela devrait être le cas de la plupart des lacs suisses. Des résultats similaires ont en tout cas été obtenus dans une étude non encore publiée effectuée dans le Rotsee à Lucerne. Les recherches vont maintenant se poursuivre sur les lacs profonds dans lesquels il semble que des processus différents se produisent.
[i] Methane oxidation coupled to oxygenic photosynthesis in anoxic waters; Jana Milucka, Mathias Kirf, Lu Lu, Andreas Krupke, Phyllis Lam, Sten Littmann, Marcel MM Kuypers and Carsten J Schubert; ISME Journal (International Society for Microbial Ecology), advance online publication, February 13, 2015; doi:10.1038/ismej.2015.12; http://www.nature.com/ismej/journal/vaop/ncurrent/pdf/ismej201512a.pdf


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Carsten Schubert, Eawag : +41 58 765 2195 ; carsten.schubert@eawag.ch



Auteur

Eawag: L'Institut de Recherche de l'Eau du Domaine des EPF
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