«Progrès et défis du recouvrement d’avoirs: une responsabilité et des efforts communs»

Berne, 01.11.2014 - Genève, 01.11.2014 - Discours de M. Didier Burkhalter, Président de la Confédération, à l'occasion du forum arabe sur le recouvrement des avoirs (AFAR III) - Seul le texte prononcé fait foi

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Messieurs les Procureurs généraux,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Il y a près de quatre ans, nous avons été témoins de bouleversements sans précédent dans le monde arabe. Des milliers de personnes sont descendues dans la rue afin de réclamer plus de participation et de protester contre la corruption omniprésente et le népotisme de leurs gouvernements. Le courage, l’énergie et la détermination de ces peuples doit aujourd’hui encore continuer à nous inspirer.

Leur mouvement a fait évoluer le débat sur le sujet qui nous intéresse aujourd'hui: pendant longtemps, seuls de rares Etats se préoccupaient des avoirs de potentats et du recouvrement d’actifs d’origine illicite. Or, c'est grâce aux transitions arabes que l'importance de cette problématique a été globalement reconnue. A l’heure actuelle, la question de la restitution des valeurs patrimoniales que d'anciens dirigeants corrompus ont accumulées aux dépens de la population de leur pays joue un rôle de premier plan dans les relations entre Etats.

A ce titre, le lancement en 2012 du Forum arabe sur le recouvrement des avoirs (AFAR) par la présidence américaine du G8, a marqué une étape déterminante. AFAR a été organisé pour la première fois en septembre 2012 à Doha. La deuxième édition d’AFAR a eu lieu en octobre 2013 à Marrakech.

Je tiens aujourd'hui à remercier les initiateurs d’AFAR ainsi que ses hôtes précédents. Leur vision a permis de créer une plateforme unique en son genre. Bien évidemment, ces remerciements s'adressent également au comité de pilotage actuel - composé des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de l'Allemagne, du Centre pour l’Etat de droit et contre la corruption au Qatar et de StAR - avec lequel nous avons eu le privilège d'organiser cette troisième édition d’AFAR. Les Etats arabes et le G7 ont appelé de leurs vœux l'organisation d'une nouvelle édition en 2014 et c'est ainsi que la Suisse a eu l'honneur de poursuivre cette tradition.

Parmi les principaux enseignements des éditions précédentes d’AFAR, je citerais le besoin de partenariats solides entre les pays soumettant des demandes d'entraide judiciaire et ceux auxquels ces demandes s'adressent. En effet, en l’absence de tels partenariats pour clarifier les aspects juridiques de chaque cas, une restitution d’avoirs de potentats n'est guère possible. Dans cet état d'esprit, c'est pour moi un privilège d'ouvrir aujourd'hui ce forum avec mes deux co-présidents, les Ministres égyptien et tunisien de la justice. Je suis persuadé que cette présidence partagée viendra renforcer notre collaboration dans le domaine du recouvrement des actifs.

AFAR est une plateforme unique qui réunit des experts des pays d’origine des fonds et des places financières, pour faire la lumière sur l’origine de fonds d’origine supposée illicite. Cette coopération est une condition indispensable du recouvrement d’avoirs.
AFAR est l'expression de la sensibilité accrue de la communauté internationale face à la question des valeurs patrimoniales d'origine illicite. AFAR incite les Etats à rendre compte ensemble des efforts entrepris. AFAR permet d'associer des acteurs qui n'avaient jusqu'ici pas accordé suffisamment d’attention à la question.

AFAR est donc le symbole de la confiance qui préside à la coopération entre les Etats concernés, une confiance indispensable au règlement des cas d'avoirs de potentats et à la lutte contre la corruption. C'est pourquoi la Suisse est fière de pouvoir aujourd'hui accueillir la troisième édition du Forum arabe sur le recouvrement des avoirs.

Mesdames et Messieurs,

Depuis bientôt 30 ans, la Suisse a mis sur pieds et développe une politique claire dont le but est double : d’une part, éviter préventivement que des avoirs de potentats n’aboutissent dans sa place financière et, d’autre part, en cas de détection de tels avoirs, assurer leur restitution effective au bénéfice des populations des Etats concernés.

La stratégie de la Suisse est basée sur trois éléments:

• Premièrement, il s'agit de renforcer l'état de droit et la lutte contre la corruption et l'impunité. Le renforcement de l’état de droit est une priorité de la politique étrangère de la Suisse.
• Deuxièmement, la Suisse veut une place financière intègre. L’intégrité et la réputation sont des valeurs et aussi des atouts dans la concurrence internationale. Or, la restitution des fonds illicites renforce la crédibilité et la réputation de la place financière suisse.
• Troisièmement, la restitution des fonds illicites renforce l’action de la politique suisse d’aide au développement, car la fuite des avoirs de potentats vers des places financières étrangères cause chaque année des pertes de l'ordre de USD 20 à 40 milliards pour les pays en développement et les pays émergents.

Sur la base de sa stratégie la Suisse a restitué environ CHF 1.8 milliard aux pays d’origine. Cette somme représente plus d’un tiers des avoirs restitués dans le monde. C’est ainsi par exemple que CHF 648 millions ont été restitués aux Philippines (Marcos), CHF 700 millions au Nigéria (Abacha) et 92 millions au Pérou (Montesinos). Ces exemples témoignent des efforts déployés par la Suisse pour être une place financière intègre et pour restituer des avoirs d’origine illicite à leurs propriétaires légitimes.

Deux éléments ont été indispensables pour obtenir de tels résultats:
Premièrement, une volonté politique forte de collaborer et deuxièmement, un cadre juridique propice à une action résolue. Depuis son premier cas important d'avoirs de potentat, celui des époux Marcos dans les années 1980, la Suisse a constamment développé son dispositif légal.

Le dernier développement en date est le projet de Loi fédérale sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées à l’étranger. Cette loi est actuellement en discussion au Parlement. Elle vise à réglementer de manière globale le blocage, la confiscation et la restitution des avoirs de potentats et à refléter la pratique suisse dans ce domaine. De plus, elle facilitera la coopération avec les Etats requérants et encouragera une approche coordonnée au plan international.

La volonté politique du gouvernement suisse est inébranlable. Que cela soit avec l’Egypte, la Tunisie, la Libye mais également l’Ukraine ou Haïti, la Suisse continue à travailler sans relâche et en collaboration étroite avec les pays d'origine des fonds pour apporter des solutions satisfaisantes aux cas en suspens. Notre but est ainsi, de vérifier l’origine des USD 650 millions bloqués dans le contexte égyptien et des USD 60 millions d’origine tunisienne pour pouvoir les restituer dans le cas où leur origine illicite devrait être prouvée. Cela est une obligation non seulement juridique, mais également politique.

La criminalité financière ne s'arrête toutefois pas aux frontières. Une coopération à tous les niveaux est nécessaire, car seules des normes internationales communes sont à même de former un barrage efficace contre les avoirs de potentats. L’Assemblée générale des Nations Unies demande ainsi aux Etats d’élaborer des lignes directrices pour tous les Etats confrontés à des soupçons de corruption par leurs dirigeants, que cela soit dans les pays d’origine ou dans les places financières.

La Suisse, ensemble avec les experts de 30 pays, nos partenaires de l’Institut sur la gouvernance de Bâle et de la Banque mondiale/StAR a élaboré des «guidelines» pour améliorer les standards internationaux en matière de lutte contre les avoirs de potentats dans le cadre du processus de Lausanne. Ces «lignes directrices» seront présentées à la Conférence des Etats Parties à la Convention contre la corruption à St. Pétersbourg en 2015. En renforçant les standards internationaux, la Suisse prend ses responsabilités au niveau multilatéral.

Mesdames et Messieurs,

Dans des cas de potentats, les procédures judiciaires sont complexes et demandent beaucoup de temps à tous ceux et celles qui s’engagent à les mener à bien. Je pense donc que nous pouvons qualifier de remarquables les progrès déjà réalisés dans le cadre d’AFAR. Des travaux préparatoires importants ont été réalisés, et les procédures les plus avancées aboutissent à des restitutions. Je pense notamment au Liban, qui a pu restituer environ USD 27 millions à la Tunisie. En Suisse, les efforts menés ont commencé à porter leurs fruits: ainsi, le Ministère public de la Confédération a ordonné la restitution à la Tunisie d'environ deux tiers des avoirs bloqués par le gouvernement.

Une décision finale de nos tribunaux est encore attendue pour que nous puissions procéder définitivement à cette restitution. Par ailleurs, les autorités de poursuites suisses agissent également pour que les auteurs de blanchiment d’argent lié à la corruption soient poursuivis et condamnés, ainsi que le Tribunal pénal fédéral en a récemment jugé dans un cas concernant des actes de corruption impliquant un membre de la famille Kadhafi.

Pour la Suisse, la société civile a joué un rôle important dans la mise en place de la politique de recouvrement des avoirs illicites et elle continue à agir avec son expertise, son dynamisme et ses critiques constructives. La Suisse salue dès lors le fait que des représentants d’organisations non-gouvernementales tiennent leur propre séminaire en parallèle d’AFAR, avant de nous rejoindre, lundi, pour discuter ensemble des meilleures stratégies de coopération.

Mesdames et Messieurs

Notre Conférence est intitulé: «Are we meeting expectations»? La réponse est «oui» et elle doit l’être pour l’avenir. Nous devons poursuivre la voie engagée par le processus AFAR, nous devons nous orienter à la meilleure pratique et tirer les leçons des expériences faites jusqu’à présent. C’est ainsi que nous serons en effet à la hauteur des attentes légitimes et que nous ferons face à nos responsabilités en faveur d’un monde plus juste.


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