«L’avenir de l’Europe c’est voir rire le regard des enfants»

Berne, 23.04.2013 - Palais de l'Europe à Strasbourg, 23.4.2013 - Allocution du Conseiller fédéral Didier Burkhalter devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe - Seul le texte prononcé fait foi

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire,
Mesdames et Messieurs,

Le 6 mai prochain, 50 Jeunes européens seront en Suisse. Ils achèveront une semaine qui les aura amenés en différents endroits de Suisse et ici, au Conseil de l’Europe, à Strasbourg. La Suisse célébrera avec eux les 50 ans de son adhésion au Conseil de l’Europe.

C’est en effet le 6 mai 1963 que la Suisse a fait son entrée officielle au Conseil de l’Europe, devenant le 17e membre de cette organisation. Un tel évènement se célèbre, bien sûr - et je vous remercie de me donner l’occasion de marquer cet anniversaire en m’exprimant ici au nom du Conseil fédéral – mais la Suisse a souhaité marquer cet événement non pas en regardant trop longuement les 50 années passées, mais en regardant surtout vers l’avenir.

Et cet avenir nous voulons le regarder dans les yeux des jeunes européens. Voilà pourquoi la Suisse a invité 50 jeunes, venant de 11 pays parmi ceux qui ont adhéré le plus récemment au Conseil de l’Europe: nous aurons des participants d’Albanie, d’Arménie, d’Azerbaïdjan, de Bosnie-Herzégovine, de Géorgie, de Macédoine, du Monténégro, de Moldavie, de Serbie, d’Ukraine et de Russie.

Ces 50 jeunes vivront une semaine ensemble, une semaine de découverte, de formation, de réflexion. Ils s’occuperont de démocratie, de droits de l’homme, de justice, d’état de droit, de fédéralisme, de protection des minorités, autant de thèmes dont nous voulons discuter avec eux. Ils visiteront pour cela différente lieux de Suisse: Berne, Delémont, Zurich, Lucerne, et Fribourg où nous célèbrerons le 6 mai les 50 ans de l’adhésion en présence du Secrétaire général M. Jagland.

Ces jeunes iront aussi à Glaris vivre la démocratie. Oui la vivre car ils assisteront à une Landsgemeinde, l’exercice de la démocratie directe au sens le plus pur. J’avais assisté à cette Landsgemeide, l’assemblée populaire, de Glaris l’an dernier, en compagnie du ministre autrichien des affaires étrangères.

Mesdames et Messieurs, cela s’appelle vivre la démocratie lorsqu’on voit un peuple entier, rassemblé 4 heures sur une place de village, débattre de différents objets sous une pluie battante écoutant et respectant l’opinion de tous et prenant des décisions collectivement! C’est le cœur battant de la démocratie suisse que nous mettrons ainsi à l’honneur pour ces jeunes qui représentent l’avenir de l’Europe. Eh puis ils pourront également au cours de leur séjour visiter bien sûr le Conseil de l’Europe, ici à Strasbourg.

Ces 50 jeunes et leurs camarades qu’ils rencontreront en Suisses sont l’avenir de l’Europe.

Dans leurs yeux nous pourrons lire leur rêve d’avenir: celui de l’Europe que nous voulons leur laisser. Une Europe de paix, de démocratie, d’ouverture, de sécurité et de prospérité.

Mesdames et Messieurs,

La politique, c’est construire un pays, une Europe, un monde meilleur pour les générations futures, pour les enfants; c’est offrir à la jeunesse des perspectives et la chance de les réaliser. «Toute politique est autorisation de l’avenir» écrivait le philosophe Suisse – je le dis puisque je viens du même lieu: Neuchâtelois – et Européen Denis de Rougemont. C’est ce qui a motivé la Suisse à adhérer au Conseil de l’Europe le 6 mai 1963. C’est ce qui la motive à y être aujourd’hui: créer l’avenir pour les jeunes, par les jeunes.

J’aimerais aujourd’hui porter un regard sur la Suisse et sa conception de la démocratie, du droit et de la liberté. Ensuite, j’aborderai le Conseil de l’Europe et son importance pour le développement de notre continent et de la Suisse. Enfin, je parlerai de l’engagement de la Suisse en Europe et au-delà et de notre vision pour les années à venir.

1. La Suisse, sa conception de la démocratie, du droit, de la liberté

Le rôle d’un pays en Europe et de ses relations avec l’Europe sont des sujets qui, dans tous les pays du continent, se prêtent à un débat démocratique.

Ce débat s’inscrit dans le contexte d’une mondialisation qui s’accélère et d’un changement des équilibres, mais aussi d’une diversification des centres globaux.

Il s’inscrit aussi dans le contexte d’une intégration européenne qui a, de fait, plusieurs vitesses et prend plusieurs formes: certains pays de l’UE sont par exemple dans la zone euro et d’autres pas; certains pays membres de l’UE ne sont pas ou pas complètement dans l’espace Schengen alors que d’autres, comme la Suisse, non membre de l’UE, y sont pleinement associés. Le Conseil de l’Europe lui couvre presque tout le Continent.

La relation à l’Europe et à ses différentes institutions, est partout un thème de débat et de réflexion. C’est sain, c’est une preuve de démocratie vivante. Cela est particulièrement vrai en Suisse, ce pays qui pratique la démocratie directe j’allais dire «au quotidien». Pas tous les jours sur la place de la Landsgemeinde (et sous la pluie battante!) mais au moins quatre fois l’an dans les urnes et chaque jours dans la vie.

La Suisse est le seul pays d’Europe qui se soit prononcé par votation populaire – et par deux fois positivement - sur les extensions successives de l’Union européenne et donc l’accord sur la libre circulation des personnes. Cela sera probablement à nouveau le cas suite à l’adhésion de la Croatie à l’UE en juillet prochain. Le débat populaire et démocratique est particulièrement vivant en Suisse.

Située au cœur de l’Europe, à l’endroit où se rencontrent trois vastes cultures européennes, les questions liées à l’identité européenne sont par ailleurs évidemment très présentes, par la nature même de la construction historique de la Suisse, par son histoire institutionnelle et politique et par sa géographie. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles la Suisse s’est constituée très tôt comme un Etat dont la structure et la pratique politique ont des ressemblances avec celles d’une Europe en construction.

La Suisse s’est donné une Constitution fédérale dès 1848. Elle est l’un des rares pays où – à cette époque de révolutions européennes - les idées libérales, démocratiques et républicaines ont pu s’imposer puis demeurer sans interruption jusqu’à nos jours. Cette Constitution de 1848, dont les principaux éléments sont encore en vigueur après deux révisions intégrales du texte constitutionnel, a installé un  pouvoir limité, décentralisé et partagé.

Le pouvoir y est limité en ce sens que l’initiative, la liberté et la responsabilité individuelles jouent un rôle fondamental en Suisse.

Même nos autorités sont constituées sur cette base puisque l’essentiel de l’engagement politique est, en Suisse, un acte largement bénévole et un engagement de milice. Par ailleurs de vastes pans de la politique notamment les questions liées au travail dépendent largement du partenariat social – le dialogue entre syndicats et patronat – et non de lois ou de politiques publiques.

Le pouvoir est aussi décentralisé en Suisse en vertu du principe de subsidiarité: seuls certaines tâches sont déléguées à l’Etat fédéral, elles appartiennent de par la Constitution par défaut, aux Etats cantonaux.

Enfin le pouvoir est en Suisse fragmenté, parce que l’autorité exécutive est placée entre les mains de conseils collégiaux et non d’un seul individu. Le Conseil fédéral est une autorité collégiale, où les décisions importantes se prennent collectivement, et dont la présidence passe, à tour de rôle, à chaque membre du Conseil pour un an. Ce système qui dépersonnalise le pouvoir est appliqué à l’identique, ou presque, dans les cantons et les communes.

A cours de la seconde moitié du 19e siècle un rouage essentiel s’est ajouté à cette construction institutionnelle: la démocratie semi-directe. Ce système, qui existe là aussi à l’identique dans les cantons et les communes, a renforcé les contre-pouvoirs et a donc limité encore un peu plus les pouvoirs exécutif et législatif: les grandes questions sont en Suisse toujours tranchées par le peuple «souverain».

La recette suisse est donc de combiner libéralisme, fédéralisme et démocratie directe - avec son pendant: un système politique de consensus.

Dans ce contexte, la promotion et la protection des droits de l’homme, de la démocratie, de la paix et de l’Etat de droit se trouvent inscrites – si je puis dire - dans le patrimoine génétique du pays.

Et dans notre Constitution, la volonté de réduire la pauvreté et celle de protéger l’environnement se sont ajoutées à ces valeurs au fil des ans.

Les Suisses sont fiers de ce système et ils y sont très attachés.

Si la Suisse a mis du temps à adhérer à certaines grandes Organisations comme le Conseil de l’Europe ou l’Organisation des Nations Unies, alors qu’elle partage pleinement leurs valeurs, c’est en raison de sa neutralité, dans un monde qui était longtemps fortement divisé, et du fait que le processus de formation des décisions peut prendre du temps en démocratie directe.

La Suisse est le seul pays au monde à avoir voté pour son adhésion à l’ONU, par deux fois. En 1986, dans un contexte de guerre froide, la population a rejeté cette idée par 75% des votants. Entre temps le monde a changé, la guerre froide a pris fin, l’ONU est devenue une organisation irréfutablement universelle et en 2002 le peuple suisse a finalement soutenu l’adhésion du pays.

Depuis lors la Suisse est à l’aise à l’ONU, une organisation qui lui permet de défendre, dans le monde, ses valeurs et ses intérêts. Elle sera candidate pour la première fois au Conseil de sécurité en 2022.

L’adhésion au Conseil de l’Europe a aussi pris un peu de temps, car la Suisse voulait se convaincre qu’il ne s’agissait pas d’une organisation opposant les blocs, mais bien d’une organisation au service de valeurs.

La Suisse s’est convaincue que le Conseil de l’Europe était une organisation pouvant l’aider, non seulement à développer les valeurs de démocratie, de droits de l’homme et de paix en son sein, mais aussi à les promouvoir au-delà de ses propres frontières.

Car dans un monde et un continent de plus en plus interconnectés, la Suisse a la conviction qu’elle a, comme d’autres, la responsabilité d’agir envers les problèmes globaux et de se montrer solidaire. La stabilité et le développement économique et humain du continent et du monde est par ailleurs dans l’intérêt de tous, Suisse comprise. La politique extérieure de la Suisse peut donc se définir aujourd’hui par le triptyque «neutralité, solidarité, responsabilité».

C’est notamment la raison pour laquelle la Suisse a décidé l’an dernier d’augmenter fortement son aide à la coopération et au développement, qui dépassera les 11 milliards de francs pour la période 2013 à 2016, atteignant alors 0,5% du revenu national brut.

Elle le fait comme un acte de responsabilité et de solidarité à l’égard de l’Europe et du monde à un moment où d’autres doivent, malheureusement, réduire ces montants pour des raisons financières. Le secteur de la coopération internationale est celui qui connait la plus forte croissance des dépenses publiques suisses en cette période budgétaire.
  
La Suisse a donc mis quelques années de prudente et légitime observation avant de rejoindre le Conseil de l’Europe. Mais la dynamique née en Europe après la Seconde Guerre mondiale ne l’a évidemment pas laissée indifférente. Elle a observé ce mouvement avec bienveillance et certains Suisses ont même été très actifs au sein du mouvement européen de l’époque. Denis de Rougemont, que je citais en introduction a ainsi été très actif au Congrès de La Haye, présidé par Winston Churchill en 1948. Il y a rédigé et lu, lors de la séance de clôture, le «Message aux Européens» adopté par le Congrès et qui déboucha, en 1949, sur la naissance au Conseil de l’Europe. Son pays lui n’était pas encore prêt à adhérer et le contexte international d’immédiat après-guerre ne s’y prêtait pas encore.

Le caractère intergouvernemental du Conseil de l’Europe et les valeurs et principes qu’il a défendu ont toutefois su convaincre la Suisse de l’utilité d’y adhérer dans les années 1960.

Après son adhésion la Suisse a vite trouvé à Strasbourg une manière de travailler qui lui était familière.

La mise en valeur du cadre local et régional, l’implication des milieux concernés de la société civile, la prise de décision par consensus et plus généralement une approche basée sur le droit font du Conseil de l’Europe une enceinte qui convient bien à l’esprit suisse.

La Suisse attache une importance particulière aux conventions du Conseil de l’Europe, que ce soit en participant activement à leur élaboration ou en ratifiant les principales d’entre-elles. Sur les 212 conventions du Conseil de l’Europe ouvertes à la ratification à ce jour, la Suisse en a ratifiées116 et signées 13 autres. D’une manière générale, la Suisse est prête à adhérer autant que possible aux conventions du Conseil de l’Europe.

Pourtant, elle étudie chaque adhésion avec soin. Elle a pour l’heure décidé de ne pas rejoindre quelques texte, non pas parce qu’elle n’en partage pas les objectifs, mais parce qu’elle a choisi de les réaliser par d’autres moyens. Il y a donc divergence de méthode et non d’objectifs.

J’aimerais illustrer cette attitude par un exemple qui souligne bien la culture politique de la Suisse. La Confédération n’a pas encore adopté la Charte sociale européenne. Si elle ne l’a pas fait c’est parce qu’en l’état une application «au pied de la lettre» de cette Convention en Suisse pourrait mettre en cause d’importants acquis économiques et sociaux que nous considérons comme élémentaires.

Je m’explique: le système suisse de formation professionnelle duale – l’apprentissage en école et en entreprises – est un facteur essentiel de la réussite économique de notre pays. La Suisse connait le plus bas taux de chômage des jeunes d’Europe! Or c’est un défi brûlant, probablement le plus brûlant de notre continent que de donner des perspectives, donc un emploi aux jeunes.

Une des raisons du succès de la Suisse dans ce domaine, est liée au système de l’apprentissage dual. Car les jeunes, formés à la fois en entreprises et en école s’adaptent rapidement aux réalités de l’économie. Par ailleurs les besoins évolutifs du marché sont intégrés très vite dans la formation elle-même.

Evidemment ces jeunes apprentis ne touchent pas pendant leur apprentissage un salaire équivalent à ce qu’ils toucheront par la suite une fois employés. Mais pendant leur formation leurs amis qui sont au Lycée n’ont eux pas de salaire du tout. Or notre adhésion à la Charte sociale pourrait remettre en cause une partie de ce système, en raison notamment du niveau de salaire des apprentis, ceci si on fait une lecture trop étroitement juridique de la Charte sociale.

La question est en cours de clarification et nous plaidons donc pour qu’on tienne compte ici, non pas des processus stricts, mais des résultats d’une politique. Dans le cas de l’emploi des jeunes, la citation de Rougemont est valable peut-être plus que dans aucun autre domaine: toute politique est autorisation de l’avenir.

Bien former et offrir des emplois aux jeunes c’est permettre l’avenir. Ici la meilleure politique sociale, c’est d’offrir des emplois. Des politiques différentes peuvent amener à des conséquences similaires. La Suisse discute donc actuellement avec le Comité européen des droits sociaux pour qu’on puisse reconnaître des équivalences de ce système, ce qui permettrait à la Suisse d’adhérer à la Charte sociale sans compromettre ce qui fait un de ses atouts.

Car la Suisse a pour pratique d’appliquer strictement – je dirais de façon exemplaire – les textes qu’elle signe. Si elle sait qu’elle ne pourra pas les appliquer à cent pour cent, et c’est le cas ici pour l’heure, elle préférera, de manière cohérente, renoncer à y adhérer, tout au moins tant qu’une jurisprudence suffisante ne permet pas de clarifier les obligations liées.

Dans ce domaine comme dans d’autres, la Suisse est donc avant tout soucieuse des résultats d’une politique pour ses habitants.

Dans ce domaine de la formation professionnelle, j’ajoute que la Suisse envisage – dans le sens de son devoir de responsabilité et de solidarité – de lancer un vaste programme pour soutenir le développement de la formation professionnelle dans des pays d’Europe qui en ont besoin, notamment parce qu’ils connaissent un fort taux de chômage des jeunes.

2. Importance du Conseil de l’Europe pour notre continent

Mesdames et Messieurs,

La contribution du Conseil de l’Europe au développement de la démocratie et de l’Etat de droit en Europe et au-delà, sa contribution à un système unique au monde de protection de l’individu, sont des qualités universellement reconnues et les mécanismes développés au Conseil de l’Europe servent souvent de référence.

La protection des droits et des libertés a progressé dans tous les pays d’Europe grâce aux mécanismes développés ici à Strasbourg. Il serait souhaitable que la jouissance de ces droits et libertés s’étende également aux populations qui n’en bénéficient pas encore: c’est en particulier le cas du Belarus, avec lequel je souhaite vivement que le dialogue puisse reprendre, et du Kosovo, non encore admis au Conseil de l’Europe. C’est aussi les cas des territoires qui sont en proie à des conflits prolongés et figés, notamment sur le territoire de l’ancienne Union soviétique. Ici le préalable c’est la résolution de ces différends, qui doit rester une priorité des efforts européens. Ce sera d’ailleurs une priorité de la Suisse en 2014, lorsqu’elle présidera l’OSCE.

La contribution du Conseil de l’Europe au développement des droits de l’homme et de l’Etat de droit a aussi eu des effets positifs pour la Suisse: les droits de l’homme et les libertés fondamentales citées au début de la nouvelle Constitution fédérale s’inspirent très largement des principes de la Convention européenne des droits de l’homme.

Plusieurs lacunes dans la protection des droits et libertés ont aussi été comblées depuis l’adhésion de la Suisse à la Convention et la législation suisse a évolué, par des décisions souveraines, mais dans un mouvement de dialogue typique des mécanismes de protection des droits de l’homme.

Mesdames et Messieurs,

Promouvoir la croissance et l’emploi est évidemment une priorité, si ce n’est la priorité de la plupart des gouvernements européens actuellement. Or, la prospérité se construit sur un environnement institutionnel et juridique mais aussi social et économique stable. Ce n’est donc pas un hasard si la recherche de la stabilité est indissociable de la quête de la prospérité. Or, la stabilité, ce sont les règles qui régissent nos activités, qu’elles soient étatiques ou non, c’est aussi un contrat de société, un Contrat social pour reprendre le mot de Rousseau.

Le Conseil de l’Europe et ses conventions contribuent à la création d’un espace juridique cohérent et sûr dans l’ensemble de notre continent. C’est bon pour la stabilité, pour le développement humain et pour la construction d’une économie prospère et d’une société qui intègre et offre des perspectives.

Quant aux organes de contrôle, au premier rang desquels évidemment la Cour européenne des droits de l’homme, ils  sont une garantie sans égal de la cohérence et de la solidité de ce système.

La Suisse place plus haut que tout, dans son système de valeurs, les libertés et les droits de chaque personne individuelle. Le système de la Cour est extrêmement précieux, car il permet de garantir à chaque individu le respect de ses droits contre l’arbitraire ou la force de l’Etat. La Cour protège les individus et leurs libertés. Le fait que chacun puisse recourir «à Strasbourg» pour défendre ses droits contre son propre gouvernement est une garantie essentielle.

Bien sûr, les Etats n’aiment pas perdre devant la Cour. Et la Suisse n’est pas différente. D’ailleurs, la Suisse étudie de près un arrêt récent qui l’interpelle. Si elle est d’avis que cela est justifié, elle utilisera les voies juridiques prévues, en demandant un renvoi de l’affaire devant la grande Chambre. Mais le fait d’accepter cette règle, d’accepter un fonctionnement des institutions dans une société qui intègre, est le signe d’une démocratie mature.

La Convention européenne des droits de l‘homme est un instrument central et essentiel dans le développement de l’Europe depuis la seconde moitié du XXe siècle. En protégeant efficacement des valeurs aussi importantes que le droit à la vie, le droit à un procès équitable, le droit au respect de la vie privée et familiale, la liberté d’expression, la liberté de pensée, de conscience et de religion, le droit au respect de ses biens ou encore en interdisant la torture, le travail forcé, la peine de mort ou la détention arbitraire, la Convention et la Cour assurent les valeurs les plus fondamentales de notre continent et de l’humanité.

C’est pourquoi la Suisse a repris de telles valeurs dans sa Constitution.

La volonté de l’Union européenne, que la Suisse salue et soutient, d’adhérer à la Convention européenne des droits de l’homme souligne à l’évidence l’importance de ce mécanisme. Cette adhésion comblera utilement une lacune dans le dispositif de protection des droits de l’homme en Europe. La Suisse se félicite de l’accord trouvé récemment par les négociateurs.

L’accord d’adhésion de l’UE devra encore franchir plusieurs étapes avant de pouvoir être ratifié par les Etats membres ainsi que par l’Union européenne.

Il reste donc du travail, un travail important pour que nous puissions disposer d’un système de contrôle des droits de l’homme unique pour tout le continent. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devront rester fermement engagés à assurer, ensemble, l’intégrité et la légitimité de ce mécanisme, indépendamment de leur appartenance ou non à l’Union européenne.

La signification des standards du Conseil de l’Europe ne s’arrête d’ailleurs pas aux limites du continent. Ils sont devenus une référence dans le monde entier. De nombreux pays ont adhéré à certains instruments juridiques du Conseil de l’Europe.

Les droits et libertés promus par le Conseil de l’Europe ont également permis de renforcer la sécurité sur notre continent. La paix au sein de nos sociétés – mais également la paix entre les nations ne peut être garantie si les droits des individus sont régulièrement violés et leurs libertés attaquées.

De telles situations sont des facteurs d’instabilité, donc d’insécurité, qui ont des conséquences graves pour les régions concernées et des conséquences directes pour l’ensemble du continent, en termes économiques et de migration notamment.

Ce n’est pas un hasard si l’extension des droits et des libertés fondamentale est allée de pair avec une coopération renforcée entre les Etats et le recul des conflits violents en Europe.

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,

Si le Conseil de l’Europe avait perdu de l’influence avec les élargissements successifs de la Communauté puis de l’Union européenne, la fin de la Guerre froide  lui a donné un nouveau souffle. Son expertise a permis aux pays d’Europe centrale et orientale ainsi qu’aux pays des Balkans de bénéficier d’un soutien élémentaire dans leurs efforts de construction de l’Etat de droit, de démocratisation de leurs sociétés et de protection des droits de l’homme.

Presque tous les pays d’Europe se retrouvent désormais à Strasbourg pour consolider et perfectionner ce qui fait l’héritage commun, le socle de valeurs de notre continent et la base de sa stabilité, de sa sécurité, sur lesquels construire sa prospérité. Nous espérons que la situation de deux Etats encore absents de ce système changera rapidement.

Le succès de la mission du Conseil de l’Europe n’est pas assuré pour autant. Les moyens dont il dispose n’iront pas en augmentation. Il importe donc qu’il concentre ses activités sur ce qui fait sa principale valeur ajoutée et qu’il coopère étroitement avec les autres organisations internationales.

La complémentarité doit ici prévaloir sur la compétition.

Le renforcement de l’efficacité du Conseil de l’Europe était une priorité de la présidence suisse du Comité des ministres entre novembre 2009 et mai 2010. Il en allait à la fois de la réforme de la Cour européenne des droits de l’homme et de celle du Conseil de l’Europe.

La tenue de la Conférence d’Interlaken, en février 2010, a permis de faire adopter par les ministres de la justice de tous les pays membres un plan d’action pour la réforme de la Cour. Plusieurs étapes de ce plan ont depuis lors été franchies, notamment à travers l’adoption des déclarations d’Izmir et de Brighton.

Nous sommes en bonne voie mais nous ne sommes qu’à mi-chemin de ces réformes.

Il est donc essentiel que le processus d’Interlaken poursuive son cours et que la détermination d’assurer l’efficacité du fonctionnement de la Cour ne faiblisse pas, ni au sein des Etats-membres, ni dans cette Assemblée. Il en va de l’efficacité donc de la crédibilité du système de protection des droits de l’homme en Europe.

En ce qui concerne l’autre objectif-clé: la réforme du Conseil de l’Europe, la Suisse soutient pleinement les efforts entrepris, depuis le début de son mandat, par le Secrétaire général M. Jagland que nous remercions de son engagement. La décision a été prise par les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres, lors du troisième sommet du Conseil de l’Europe à Varsovie en 2005, de recentrer l’organisation sur sa mission essentielle.

Cette décision est non seulement juste, elle est essentielle pour assurer la pertinence et donc l’utilité du Conseil de l’Europe à l’avenir.

Depuis 2005, le profil du Conseil de l’Europe a été renforcé. L’organisation est aujourd’hui clairement identifiée dans les domaines de la préservation et de la promotion des droits de l’homme, de la démocratie et de l’Etat de droit en Europe.

Beaucoup a été fait depuis 2009 pour que ces grandes orientations soient reflétées dans la structure et surtout dans la pratique – dans le travail quotidien du Conseil de l’Europe.

Cet élan de réforme ne doit pas s’affaiblir et les travaux doivent se poursuivre avec détermination.

Le Secrétaire général que vous élirez en juin de l’année prochaine devra s’engager résolument dans cette voie.

3. Engagement de la Suisse en Europe et au-delà

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,

La Suisse est un pays de paix. J’étais tout récemment en Colombie et je lisais dans les yeux des enfants de déplacés du conflit armé, qui ont connu les horreurs de la guerre civile, qui ont été arrachés à tout et qui n’ont rien, je lisais dans leur yeux tout ce que cela signifie quand nous parlions de la Suisse. Oui la Suisse a la chance d’être, depuis longtemps, un pays de paix et de prospérité. Cela lui donne des devoirs et une responsabilité.

La Suisse s’engage dans le monde et sur notre Continent en faveur de la résolution des conflits. Elle le fait à travers la facilitation du dialogue et parfois à travers la médiation. La promotion des droits de l’homme, de l’Etat de droit et de la démocratie est le corolaire indispensable de ces efforts.

Le Conseil de l’Europe, avec son expertise unique dans ces domaines, est une plate-forme de choix qui permet aux Etats de protéger et de promouvoir ensemble les droits et les libertés et de garantir ainsi la paix et la prospérité. La Suisse souhaite continuer de s’engager au sein du Conseil de l’Europe et avec lui en faveur de ces objectifs.

La Suisse s’identifie pleinement à la coopération intergouvernementale pratiquée au sein du Conseil de l’Europe. Il en va de même en ce qui concerne les activités de l’organisation, pour lesquelles la Suisse figure parmi les plus grands contributeurs volontaires. Le Conseil de l’Europe est un partenaire très apprécié dans le cadre de notre propre coopération bilatérale avec plusieurs pays européens. C’est donc avec conviction que nous soutenons les efforts qu’entreprend l’organisation en faveur des pays en transition.

L’année prochaine, la Suisse aura le privilège d’exercer la présidence de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Cette présidence, qui intervient à un moment où l’OSCE se trouve face à des défis importants, exigera de la Suisse des efforts particuliers.

En premier lieu, il s’agira de renouer avec la capacité à réellement coopérer et donc à décider ensemble. L’OSCE a peut être trop utilisé la formule «we agree to disagree» il faudra certainement un peu plus dire à l’avenir «we disagree to disagree»! Dans une organisation qui décide avec la règle de l’unanimité, cela dépendra de la volonté de chacun des membres de l’organisation, pour un grand nombre, des Etats également membres du Conseil de l’Europe: vos pays. Cette évolution est essentielle pour une OSCE, qui comme son nom l’indique, se voue à la sécurité de notre Europe.

La Suisse voit dans sa présidence de l’OSCE une opportunité de contribuer encore davantage à la stabilité et à la prospérité en Europe et au-delà. Cet engagement nous permettra de renforcer notre action dans le domaine de la résolution de conflits, de la médiation et de la promotion de la paix, mais également de contribuer à l’avancement de la prééminence du droit et de la gouvernance démocratique.

Il existe, entre le Conseil de l’Europe et l’OSCE, un important potentiel de synergies et de complémentarité. Les deux organisations poursuivent des objectifs similaires et contribuent toutes les deux à la paix, à la sécurité et à la prospérité sur le continent européen.

Si le Conseil de l’Europe est avant tout une organisation qui établit et surveille des standards dans les domaines des droits de l’homme, de la démocratie et de l’Etat de droit, l’OSCE est en premier lieu un instrument pour la prévention des conflits, la gestion des crises et la réhabilitation post-conflits.

Mais n’oublions pas que l’OSCE établit aussi des standards - politiquement contraignants - dans les domaines des droits de l’homme, de l’Etat de droit et de la démocratie, qui jouent un rôle-clé, par exemple dans des pays de l’Asie centrale qui ne sont pas membres du Conseil de l’Europe.

La coopération entre les deux organisations est déjà bien établie dans plusieurs domaines: la tolérance et la non-discrimination, les minorités nationales, la lutte contre la traite des êtres humains et la lutte contre le terrorisme. Ceci a permis de renforcer l’efficacité de ces activités.

Nous pensons qu’il vaut la peine d’étendre cette collaboration à d’autres domaines. Pensons notamment à la coopération où cela compte le plus, sur le terrain - un point que la Suisse avait déjà relevé pendant sa présidence du Comité des ministres en 2010.

L’observation d’élections, dans laquelle votre Assemblée est fortement impliquée, pourrait elle aussi bénéficier d’une coopération encore renforcée.

Une coopération entre les Assemblées parlementaires des deux organisations – et pourquoi pas une séance commune – permettrait certainement d’approfondir ces potentiels et de stimuler une coopération concrète et efficace. J’aimerais vous inviter dès à présent à réfléchir à ces possibilités.

La Suisse en qualité de présidente en exercice de l’OSCE en 2014 soutiendra toute initiative apte à renforcer une coopération effective avec le Conseil de l’Europe.

Entre autre nous prévoyons des conférences sur les sujets des minorités nationales en 2013 et 2014 qui réuniront les experts des deux organisations.

Mesdames et Messieurs,

Les valeurs défendues par le Conseil de l’Europe sont devenues des standards en Europe et servent de référence ailleurs dans le monde.

Il est un domaine dans lequel notre action pourrait particulièrement rayonner vers l’extérieur: la lutte contre la peine de mort qui constitue l’une des priorités de la politique suisse en matière de droits de l’homme.

La Suisse mène de nombreuses activités contre la peine capitale. Ainsi en 2010 le quatrième Congrès mondial contre la peine de mort s'est tenu à Genève. Convaincue par l’importance de telles rencontres dans le cadre de la campagne mondiale contre ce fléau, la Suisse est fière de soutenir à nouveau cet événement majeur en co-parrainant, aux côtés de l’Espagne, de la Norvège et de la France, l’édition 2013 du Congrès mondial qui aura lieu en juin prochain à Madrid.

Nous contribuons également aux efforts de la Commission internationale contre la peine de mort, une initiative espagnole lancée en 2010. La Suisse est maintenant un membre actif du groupe de soutien étatique à la Commission, dont le secrétariat se trouve à Genève.

Parvenir à une abolition générale de la peine capitale dans le monde prendra certes du temps, mais le processus est en route et, même si le chemin est semé d’embûches, la tendance évolue dans la bonne direction.

J’appelle tous les Etats membres du Conseil de l’Europe à poursuivre leurs efforts dans ce sens.

La peine de mort est inefficace, illégitime et contraire aux valeurs des droits de l’homme.

J’appelle le Belarus, dernier Etat européen à ne pas avoir renoncé à la peine capitale, ainsi que les Etats-Unis et le Japon, Etats observateurs du Conseil de l’Europe, à poursuivre leur réflexion et à agir avec détermination pour allant dans le sens d’un moratoire, puis d’une abolition de la peine de mort. Tout simplement parce que cela est juste.

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,

«Toute politique est autorisation de l’avenir». Toute politique se reflète dans le regard (d’abord innocent, puis exigeant) des jeunes, le regard des enfants de Suisse et d’Europe, le regard des cinquante jeunes qui vivront, en Suisse et à Strasbourg, les valeurs du Conseil de l’Europe et de la Suisse.

Ce que nous voulons tous, au travers de nos diversités, c’est lire dans les yeux des enfants le désir d’avenir, l’envie de liberté, la joie de la paix, le rire des opportunités qui s’ouvrent dans un continent stable, sûr et prospère.

L’avenir de l’Europe se fera sur la base des valeurs fondamentales qui forment notre destin commun: les droits de l’homme, les libertés fondamentales, la démocratie, la paix, la justice, l’Etat de droit. C’est cela qui motive la Suisse au Conseil de l’Europe.

C’est pour cela – pour ces regards-là – que nous remercions votre Assemblée parlementaire, chacune et chacun d’entre vous, de votre engagement.


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