Quand l’eau impose ses conditions
Dubendorf, 22.06.2012 - Les cours d’eau et les lacs nous rendent de nombreux services, de la fourniture en eau potable à la pêche en passant par le tourisme, pour ne citer que quelques exemples. Assurer ces prestations à grand renfort de moyens techniques serait très coûteux et, dans plus d’un cas, même parfaitement impossible. Or le biotope aquatique a également ses exigences: l’homme peut prélever de l’eau dans le milieu naturel, mais en veillant parallèlement à lui laisser une quantité d’eau suffisante; il doit aussi préserver les eaux des polluants et d’un apport excessif en nutriments.
Près de 250 spécialistes issus des domaines de la science, de la gestion des eaux, de l’administration et du monde politique ont aujourd’hui, vendredi 22 juin, l’occasion de découvrir de nouveaux résultats de recherche grâce à la journée d’information annuelle de l’Eawag intitulée cette fois: «Le biotope aquatique – services rendus et besoins». La synthèse de cette conférence (Eawag News n°72) est disponible pour la presse sous http://www.eawag.ch/medien/publ/eanews/news_72/index_FR.
De l’eau en quantité suffisante: une gestion intelligente des débits réservés
La décision de sortir du nucléaire intensifie la pression exercée sur les dispositions fédérales relatives aux débits réservés. Les cantons et les centrales électriques souhaiteraient utiliser le plus d’eau possible pour produire de l’électricité en laissant une quantité d’eau d’autant plus faible en aval des points de captage. Une étude de l’Eawag menée depuis 12 ans sur le Spöl, dans le Parc national, montre qu’il est tout à fait possible d’assurer la protection écologique des cours d’eau à débit réservé sans entraver de manière exagérée la production électrique. Avant la construction du lac de retenue de Livigno (en 1970), le débit du Spöl s’élevait à 6-12 mètres cubes par seconde avec des pics pouvant atteindre 120 m3/s. Après la construction du barrage, la rivière a dû se contenter d’un débit de 0,55 m3/s en hiver et de 1,45 m3/s en été. Les conséquences de ce flux constamment bas ont été désastreuses: le lit de la rivière s’est densifié puisque les petits matériaux n’étaient plus évacués. A la place des espèces spécialistes des rivières de montagne, le Spöl a été colonisé par des organismes ordinaires que l’on trouve aussi bien en plaine que dans les eaux calmes. Depuis 2000 et dans le cadre de cette étude, le débit réservé constant est désormais interrompu, pendant quelques heures ou quelques jours, par des crues artificielles qui ont lieu une à trois fois par an. En contrepartie, la centrale électrique peut renoncer à l’augmentation, sans intérêt écologique, du débit réservé pendant la haute saison touristique. Ce nouveau régime du débit n’occasionne ainsi aucun coût supplémentaire. On constate, aujourd’hui, que le Spöl présente à nouveau, en aval du barrage de Livigno, des conditions de vie et une faune qui se rapprochent de celles d’une rivière alpine naturelle comparable. Pour exemple: le nombre de frayères de truites a presque triplé depuis 2000 et l’on retrouve, à la place des grosses crevettes d’eau douce, de plus en plus de spécialistes alpins tels que les petits éphéméroptères.
Des perturbateurs endocriniens qui agissent en dessous des limites de détection
Qu’elles proviennent des ménages, des matériaux de construction, de l’agriculture ou des médicaments, les substances chimiques persistantes arrivent tôt ou tard dans l’environnement. Ces dernières années, la science s’est notamment penchée sur les matières dont les effets se rapprochent de ceux des hormones. Il ne s’agit pas uniquement des substances actives de la pilule contraceptive, mais aussi de celles des ignifuges ou des protections anticorrosion, des plastifiants et de nombreux autres produits. Leurs effets sur les organismes sont certes décelables, cependant ces substances ont une puissance telle à des concentrations si infimes (sous le milliardième de gramme par litre) que même les méthodes analytiques modernes sont incapables de les identifier. Des biotests, par exemple à partir de cellules de levure, sont nettement plus sensibles et fournissent des informations sur l’action combinée de plusieurs substances. Le Centre d’écotoxicologie appliquée de l’Eawag et de l’EPF de Lausanne se charge ainsi de contrôler quels biotests permettent de mesurer et d’évaluer la contamination des eaux par les micropolluants. Ces mêmes tests peuvent également être utilisés afin d’analyser l’efficacité d’étapes supplémentaires de traitement dans les stations d’épuration, telles que les autorités fédérales les promeuvent actuellement. Toutefois, ni la Suisse ni l’Europe n’ont encore inscrit dans leur législation des critères de qualité basés sur des données écotoxicologiques et appliqués aux perturbateurs endocriniens dans les ruisseaux, les rivières, les fleuves et les lacs. Les travaux de recherche du Centre Ecotox aspirent donc aussi à une standardisation et à une certification des biotests qui doivent, à l’avenir, pouvoir être couramment employés par des laboratoires privés ou cantonaux et fournir des résultats comparables. Cette solution vient étayer la surveillance des situations de contamination et permet de placer les bonnes priorités pour les mesures préventives.
Les nutriments déterminent la biodiversité
L’aménagement des stations d’épuration et l’interdiction des phosphates dans les lessives ont permis de réduire l’eutrophisation des cours d’eau et des lacs suisses. Des scientifiques de l’Eawag ont réussi, ces dernières années, à démontrer comment cette évolution a permis à la faune de certains lacs de se rapprocher d’un état proche de la nature. A l’heure actuelle cependant, des cercles du monde de la pêche demandent que soit réduite l’élimination du phosphore, espérant qu’une plus grande quantité de phosphore dans les lacs fournisse des poissons de plus grande taille. Les analyses génétiques des daphnies (qui font partie des principales sources alimentaires des poissons) ont montré comment la phase d’eutrophisation des années septante et huitante a favorisé la colonisation par des espèces jusque-là allogènes, et comment ces dernières se sont croisées avec les espèces autochtones, un processus irréversible ou dont la réversibilité prendra des millénaires, non seulement pour les espèces dont se nourrissent les poissons, mais aussi pour ces derniers comme l’a montré l’Eawag chez les corégones. La communauté de chercheurs met donc en garde avec insistance contre de telles expériences. Parce qu’ils se sont développés, depuis la dernière période glaciaire, dans les conditions biologiques sans égal des lacs suisses (et nulle part ailleurs) qui, surtout dans l’espace alpin, présentent une faible abondance nutritive, ces espèces de poissons et autres organismes aquatiques méritent un degré de protection élevé. La Suisse compte toujours un nombre suffisant de lacs riches en nutriments, qui offrent aux pêcheurs une productivité plus importante.
Des débits réservés convenables, une surveillance de la contamination due aux perturbateurs endocriniens et la poursuite des efforts fournis afin d’éliminer le trop de nutriments ne sont que trois exemples des exigences imposées par les eaux pour leur bon fonctionnement. Prof. Janet Hering, directrice de l’Eawag, résume pertinemment l’engagement de l’institut: «Notre travail de recherche nous permet d’élaborer des principes de base qui promeuvent, dans la pratique, un rapport durable avec la ressource qu’est l’eau, un rapport qui répond à la fois aux besoins de la société et qui garantit les fonctions d’écosystème des cours d’eau et des lacs.»
Photos disponibles en téléchargement sous www.eawag.ch > Médias
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