La relation administration – administrés: entre communication et dialogue

Berne, 07.03.2012 - Exposé présenté au E-Government-Symposium à Berne, le 7 mars 2012.

Mesdames, Messieurs,

Un politologue suisse de renom a fait un jour cette prophétie: dans quelques années, on demandera simplement à l'électeur d'actualiser son profil utilisateur sur une plate-forme interactive. L'ordinateur constituera ensuite en un tournemain une liste des candidats correspondant le mieux à ce profil, qu'il enverra non moins instantanément dans l'urne électronique – et hop, le tour sera joué.

Rien n'empêcherait d'appliquer également le système aux votations, et même d'aller encore plus loin dans l'automatisation. Personne n'oubliera plus aucun scrutin, et personne ne pourra plus se dire dépassé par les enjeux: le taux de participation bondira à 100%. Après tout, le jour où tout cela sera sera devenu réalité, l'État aura institué depuis belle lurette jusqu'au prélèvement automatique de nos impôts, alors, pourquoi devrions-nous vouloir échanger avec lui, ou lui avec nous? Nous aurons la démocratie directe, mais avec zéro implication du citoyen.

Ne serait-ce pas là la mise en œuvre idéale de la cyberadministration? Ou se pourrait-il que je n'aie pas tout compris?

En votre qualité de spécialistes de la gestion électronique des processus, vous cherchez tous à simplifier et à faciliter la communication des entreprises et des particuliers avec les pouvoirs publics.

Je suis bien placé pour savoir combien il est parfois difficile de se comprendre entre autorités et grand public lorsque c'est une simple décision du Conseil fédéral qui est en cause. Alors quand le dialogue se fait uniquement par écran interposé... C'est dire combien j'ai du respect pour vous qui simplifiez et facilitez à l'usager la communication avec les autorités.

Les règles applicables à la communication gouvernementale

La communication gouvernementale fait l'objet en Suisse de règles claires. Ces règles ont fait leurs preuves et peuvent s'appliquer telles quelles à la communication des autorités en général. La première d'entre elles est le mandat que la Constitution confie au Conseil fédéral en matière d'information:

Le Conseil fédéral renseigne le public sur son activité en temps utile et de manière détaillée.

Ce mandat est précisé ainsi par la loi sur l'organisation du gouvernement et de l'administration:

Le Conseil fédéral assure l'information de l'Assemblée fédérale, des cantons et du public. Il informe de manière cohérente, rapide et continue sur son appréciation de la situation, sa planification, ses décisions et les mesures qu'il prend.

Mais le Conseil fédéral ne fait pas qu'informer, il communique également, comme la loi sur l'organisation du gouvernement et de l'administration lui en fait obligation:

Le Conseil fédéral cultive ses relations avec le public et s'informe des opinions de la population ainsi que de ses préoccupations.

Enfin, faisant directement référence aux Explications du Conseil fédéral destinées aux électeurs, la loi sur les droits politiques encadre quelque peu ce mandat:

Le Conseil fédéral respecte les principes de l'exhaustivité, de l'objectivité, de la transparence et de la proportionnalité.

Ni la Constitution, ni la loi ne disent rien des moyens techniques qu'il appartient au Conseil fédéral et à l'administration de mettre en œuvre pour remplir leur mandat d'information et de communication, pour dialoguer avec la population. Pour autant, et comme pour toutes les missions qui incombent aux pouvoirs publics, les principes d'adéquation et d'économicité s'appliquent.

Ce qui vaut pour le Conseil fédéral vaut évidemment pour toutes les autorités, cyberadministration comprise. On voit bien la finalité de cet ensemble de règles: elles créent la confiance. Il s'agit de s'assurer que le citoyen sera en mesure de participer à la prise de décision politique à la fois en toute connaissance de cause et en toute indépendance.

L'informatique n'a pas vocation à se substituer à l'imprimé ou aux moyens audiovisuels classiques

«Il n'y a rien à dire de la séance du Conseil fédéral d'aujourd'hui.» Le billet que dans les années 50 le chancelier de la Confédération Oskar Leimgruber avait pour habitude de punaiser au tableau d'affichage à l'attention des trois ou quatre journalistes qui officiaient au Palais fédéral est resté légendaire.

De son côté, le conseiller fédéral Rudolf Gnägi était plein de compréhension pour les journalistes qui n'avaient rien à se mettre sous la dent. Dès la séance terminée, il allait les rejoindre, leur disait «Allez les gars, on y va», et les invitait prendre un café au Della Casa pour parler de ce qui s'était passé pendant la séance.

Il y a bien longtemps que cette communication pour le moins rudimentaire appartient au passé.

Aujourd'hui, un mercredi sans conférence de presse du Conseil fédéral est devenu inconcevable. L'événement est suivi au Centre de presse par plusieurs dizaines de journalistes et diffusé en direct sur internet. De même, le moindre communiqué de presse émanant de l'administration fédérale est non seulement publié sur les pages du domaine «admin.ch», mais envoyé d'un clic de souris à près de 100'000 abonnés depuis la plate-forme d'information «News Service Bund». Face au message électronique et à l'internet, le fax, le courrier postal et la photocopieuse ne cessent de perdre du terrain. L'administration n'informe plus seulement de manière indirecte via la presse, la radio, la télévision et l'envoi de brochures, mais s'adresse directement aux administrés par l'intermédiaire d'innombrables pages web et de messages électroniques.

L'information en ligne n'a pas pour autant remplacé les outils classiquement utilisés par le gouvernement et l'administration pour dialoguer avec les administrés. Les conseillers fédéraux ne prononcent pas moins de discours ni ne donnent pas moins d'interviews qu'avant, l'administration ne répond pas à moins de lettres ni à moins de coups de téléphone.

Les Explications du Conseil fédéral illustrent parfaitement cette réalité. Vous connaissez bien cette brochure: publiée à 5,3 millions d'exemplaires, c'est le plus fort tirage de Suisse.

Vous vous demandez peut-être pourquoi cette brochure est encore publiée sur papier.

Après tout, la mettre en ligne sous forme de document PDF reviendrait sans doute moins cher.

Mais nous savons aussi qu'en Suisse, ce sont surtout les jeunes qui utilisent internet: or, il est inconcevable que toute une partie de la population soit exclue du dialogue mené par les autorités.

Et ce qui vaut pour l'information de l'électeur vaut aussi pour la demande et la délivrance d'un permis de construire ou d'un passeport. Les outils de la cyberadministration ne se substituent pas aux outils de communication classiques, ils s'y ajoutent.

À l'inverse, il ne nous est pas possible non plus de renoncer aux outils de communication.

Car si nous voulons réellement mener un dialogue avec le public, alors il nous appartient d'aller chercher celui-ci là où il se trouve.

Si assurer la gestion et la maintenance de plusieurs canaux d'information et de communication différents a son prix, cette diversité offre également davantage de possibilités. La mise en ligne par les autorités d'informations et de services revient à mettre en place une sorte de self-service: si le client, c'est-à-dire l'usager, trouve ce qu'il cherche, il n'a aucune raison de chercher à joindre l'administration. D'autant que les informations mises en ligne sont accessibles 24h sur 24.

En outre, la mise en ligne d'une information permet d'apporter celle-ci instantanément à un nombre considérable de personnes.

Pour autant, il ne saurait être question de supprimer tout conseil personnalisé. Pendant longtemps encore, certains n'auront pas accès à l'internet.

Identifier les besoins du public et savoir y répondre

Il y avait la lettre, le téléphone, le message électronique, le tchat, le forum internet, il y a désormais aussi Facebook, Twitter et d'autres «médias sociaux». À cet égard, la question n'est plus de savoir si nous devons utiliser ces possibilités nouvelles, mais comment.

De nombreuses communes, plusieurs cantons et même certains services fédéraux utilisent déjà ces nouveaux outils pour dialoguer avec le public. Évidemment, expérimenter, c'est aussi bricoler, ce qui réserve toujours son lot de surprises, parfois désagréables. Par exemple:

  • lorsque le résultat de l'élection d'un conseiller fédéral se propage sur Twitter avant même d'avoir été annoncé officiellement au Parlement
  • lorsqu'un porte-parole du gouvernement annonce la mort d'Obama ben Laden
  • lorsque les membres du Conseil fédéral voient régulièrement leur identité usurpée sur Facebook
  • lorsqu'un communiqué de presse annonçant l'arrêt d'urgence de la centrale nucléaire de Mühleberg est publié deux fois à quelques jours d'intervalle en raison d'une erreur du programme informatique.

On voit par là que la multiplication des canaux de communication, la publication automatique et la propagation virale d'informations ne sont pas forcément synonymes de clarté accrue et d'appréciation plus juste de la situation, mais peuvent au contraire semer la confusion.

Ce n'est évidemment pas là l'objectif que nous recherchons.

Le citoyen doit pouvoir savoir à tout moment où trouver l'information juste émanant des pouvoirs publics. Et nous ne pouvons nous permettre de sacrifier le crédit des autorités sur l'autel d'une mode éphémère ou en nous livrant à des expérimentations hasardeuses.

Participation politique

Les nouveaux outils internet tels que les blogues, les wikis, Facebook ou Twitter revendiquent une «innovation» qui fait pourtant partie des fondements sur lesquels repose notre démocratie: la participation.

Nous n'avons pas attendu en Suisse l'arrivée du web 2.0 pour échanger avec le peuple sur les orientations du pays, loin de là. Nous sommes également sur le point de rendre possible la participation sous forme électronique.

Le projet principal s'appelle ici «vote électronique». Pour le renouvellement du Conseil national qui est intervenu en 2011, quatre cantons ont mené avec succès des essais de vote électronique. De nombreux Suisses de l'étranger ont pu faire usage de cette possibilité nouvelle. Le prochain week-end constituera à cet égard un nouveau jalon, puisque quelque 120'000 électeurs de 12 cantons pourront voter en ligne. La Confédération et les cantons ont renforcé l'an dernier leur collaboration sur ce projet.

Le Conseil fédéral a également chargé la Chancellerie fédérale d'examiner dans quelle mesure il serait possible de passer à la procédure de consultation électronique. Les médias sociaux peuvent utilement élargir la palette des outils dont les autorités disposent pour dialoguer avec le citoyen, lorsqu'elles sont confrontées à un problème de société. Plusieurs cantons et communes font déjà des essais en ce sens. De son côté, la Chancellerie fédérale vérifie en concertation avec les départements s'il serait possible et souhaitable d'améliorer la procédure de consultation au moyen des technologies de l'information et de la communication, ou de mettre en œuvre dans le cadre de cette procédure des outils du type «médias sociaux».

Depuis plus de deux siècles, les autorités suisses, et au premier rang d'entre elles la Chancellerie fédérale, ont toujours été à l'avant-garde en matière de technologies de l'information et de la communication. Ainsi, lorsqu'en 1855 un commis-greffier s'est plaint à plusieurs reprises de crampes à la main, la chancellerie n'hésita pas à solliciter l'acquisition d'une machine à écrire. Le Conseil fédéral accepta. Le succès fut tel qu'une seconde machine fut achetée la même année encore.

Le grand public, comme du reste nos collaborateurs eux-mêmes, a adopté les nouveaux réseaux sociaux. Facebook et Twitter sont utiles, au même titre qu'ont été utiles, et que continuent d'être utiles, la machine à écrire et le téléphone.

Il nous appartient de mettre ces outils au service du dialogue avec la population tout en nous assurant qu'ils le soient d'une manière conforme aussi bien à l'image de sérieux des autorités qu'à ce qui fait l'objet du mandat dont elles sont investies en matière d'information du public. Et si vous faites vôtres les règles qui régissent le dialogue entre autorités et grand public, alors sans doute vous réussirez.


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