Club 44 - «La Suisse : une qualité d’avance»

La Chaux-de-Fonds, 05.09.2011 - Allocution du Conseiller fédéral Didier Burkhalter - Seule la version orale fait foi

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi tout d’abord de vous remercier de votre invitation au Club 44. Cette institution à la fois Chaux-de-fonnière et internationale a un rôle éminent dans l’espace culturel et le débat politique de toute une région. Le Club 44 a accueilli au fil des ans des orateurs d’horizons très divers mais ayant tous en commun la créativité sous toutes ses formes. Votre Club a une longue histoire comme lieu d’échange, de réflexion, d’anticipation.

Mais en tant que ministre, notamment en charge de l’égalité, je n’ai cependant pas pu m’empêcher de noter que le Club 44 n’avait anticipé que de très peu sur la question de l’ouverture aux femmes puisque cette décision a été prise à fin 1970, quelques mois seulement avant le droit de vote des femmes accordé en 1971 et dont nous fêtons les 40 ans cette année. Et encore cette décision ne s’est prise qu’à une voix de majorité ! Cet épisode nous montre que même dans les cercles où l’on cherche à comprendre et à anticiper, on n’arrive pas toujours à anticiper correctement ou à temps les évolutions de notre société. C’est une grande leçon de modestie.

En parcourant la liste des intervenants et des intervenantes du Club 44 au fil des ans, nous sommes en mesure de revisiter en quelque sorte certains moments forts de la littérature, de la pensée politique ou de l’esprit de découverte de la Suisse pour ne citer que ces trois domaines. Nicolas Bouvier, Denis de Rougemont, Jeanne Hersch, ou encore Jacques Piccard, ont en effet tous contribué au génie helvétique du XXe siècle et ont, à ce titre, été les invités du Club 44. Ou peut-être est-ce l’inverse !

Je me sens donc très honoré de pouvoir parler devant vous ce soir et de me retrouver dans cette lignée d’illustres noms. Je ne sais pas très bien dans quelle catégorie d’archivage le Club 44 classera mon intervention. Pas dans la littérature j’imagine, bien que le Conseil fédéral s’efforce tous les jours d’écrire le développement du pays ! Pas non plus dans la catégorie de l’aventurier, bien que le voyage au Département de l’Intérieur n’ait rien d’un long fleuve tranquille… Retenons dès lors la catégorie de l’action politique, car je pense, en m’inspirant de Goethe qu’ « il n’est pas suffisant de savoir, il faut appliquer. Il n’est pas suffisant de vouloir, il faut aussi agir ».

La Chaux-de-Fonds et toute la région de l’Arc jurassien ont su depuis longtemps mettre la créativité, le travail et la recherche de la qualité au centre de leur tissu industriel et économique, au centre de leur culture économique, et lui ont par là-même donnés ses titres de noblesse. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer à quel point ce tissu industriel horloger a marqué non seulement l’âme de notre région mais jusqu’à son territoire et l’architecture même et l’aménagement de La Chaux-de-Fonds et du Locle ce qui a été reconnu de la plus belle des manières possibles avec l’inscription au Patrimoine mondial de l’UNESCO de l’urbanisme horloger de La Chaux-de-Fonds et du Locle.

 Il me semble d’ailleurs que l’inscription au Patrimoine mondial de l’UNESCO (pour des raisons de gestion de l’habitat et du construit) devient une sorte de nouvelle spécialité neuchâteloise, comme la torée et la gentiane, puisque les sites palafittiques seront également inscrits sur la liste cette semaine. J’aurai le plaisir, en tant que ministre de la culture d’y participer tout comme j’avais eu l’occasion de prendre part, pour ma première sortie officielle en tant que Conseiller fédéral, à cette inscription ici à La Chaux-de-Fonds, il y a près de deux ans.

La créativité et la capacité d’innovation ont permis à l’Arc jurassien et à toute la Suisse de fleurir et de prospérer économiquement dans un premier temps. Cette créativité et la faculté d’innover ont ensuite permis à notre pays de se relever des différentes crises du XXe siècle.
La période difficile que nous traversons actuellement- ou devrions-nous plutôt dire la confiance accordée à notre monnaie – ne pourra également être surmontée que grâce au potentiel d’innovation, à la capacité de travail et à la recherche de la qualité propres à la Suisse et qui sont absolument exemplaires dans notre région. En cette période d’interrogation, nous pouvons avoir confiance en ce potentiel et nous devons avoir confiance en nos propres forces.
Nous nous rendons tous compte que la confiance est à l’heure actuelle une denrée rare. C’est même la denrée la plus rare : aujourd’hui les investisseurs font tanguer l’Euro ou le dollar car la confiance manque et ils font exploser le cours de l’or et, hélas, celui du franc suisse justement parce qu’ils leur accordent leur confiance. Plus que jamais on peut dire qu’obtenir la confiance ça vaut de l’or!

Le travail. Le travail est ici, dans l’Arc jurassien et en Suisse en général, une valeur forte. Une valeur qui imprègne notre société et explique son fonctionnement.
Or la capacité de travail est un puissant remède. Grâce à lui on peut changer bien des choses et bien des situations qui semblaient figées ont pu évoluer à force de volonté et à force de travail. Dans ces conditions, on peut gagner même dans des circonstances difficiles.
Cette région le sait, et notre pays le sait. A l’heure d’une situation difficile avec une forte pression due aux taux de changes défavorables, le Conseil fédéral est convaincu que nous devons garder ces éléments à l’esprit et que nous devons garder notre moral d’acier, ne pas nous plaindre, mais relever les manches et nous battre, plus fort encore.
J’aimerais illustrer ce propos par un exemple qui me tient à cœur. Vous savez peut-être que j’aime le cinéma, et notamment le réalisateur Clint Eastwood.
J’aimerais vous rappeler cette magnifique scène de son film Invictus, un film rempli de valeurs fortes, qui retrace un passage de la vie de Nelson Mandela.

Dans une scène, le président Mandela s’interroge sur les chances de succès de l’équipe de rugby d’Afrique du Sud de remporter la coupe du monde.
Cette coupe du Monde se déroule dans son pays en 1995 et Mandela rêve que l’équipe nationale d’Afrique du Sud remporte la coupe « à domicile ». Ce serait selon lui un bon moyen de rassembler les Sud-Africains autour d’un but commun en cette période d’après apartheid.
« Quelles sont les chances de victoire ? » demande-t-il au ministre des sports.
« Selon les experts, répond le ministre, nous pouvons atteindre les quarts de finale, rien de plus ».
Le président Mandela réfléchit un moment puis il lui répond: « Selon les experts, vous et moi devrions encore être en prison ! »

Cette scène paraphrase mieux que mille autres mots l’importance de la volonté – celle de se relever lorsqu’on est tombé, celle de se battre et de s’imposer, celle de ne pas écouter ceux qui nous prédisent que tout va mal ou que gagner n’est pas possible.
Non seulement l’Afrique du Sud a gagné la coupe du monde à domicile en 1995, à force de volonté, mais bien plus important encore, Mandela par sa volonté constante à travers des décennies de combat et des milliers de jours de prison, a réussi à faire plier un régime autoritaire et ségrégationniste, il a offert à son pays le plus beau des cadeaux : la liberté et il nous offre à tous l’exemple de ce que la volonté et le travail peuvent faire : renverser des montagnes montages pour relier des lieux, des hommes, des différences.

Mesdames, Messieurs,

Les mesures annoncées la semaine passée par le Conseil fédéral pour soutenir l’économie suisse et nos emplois s’inscrivent dans cet état d’esprit. La Confédération œuvre pour le maintien et l’amélioration des conditions-cadre de la Suisse: l’investissement de près de 212,5 millions de francs dans la recherche, la technologie et l’innovation ainsi que les aides d’un montant de 100 millions au tourisme n’en sont que deux exemples très concrets. A cela s’ajoutent près de 500 millions destinés au fonds de l’assurance-chômage en cas de recrudescence, probable, du recours au chômage partiel.
Le Conseil fédéral a présenté ce paquet de mesures pour 2011. Il s’agit donc d’un paquet de mesures à effet rapide. Il présentera prochainement un deuxième volet de son plan d’action avec des mesures pour l’année 2012.

Ce plan d’action vise tout particulièrement à améliorer encore la compétitivité de la Suisse, à créer des conditions-cadres encore meilleures, à favoriser encore plus la création d’emplois et l’émergence de technologies au top mondial qui permettront à notre industrie d’exporter malgré la hausse de cours de franc.

Car la situation actuelle n’est pas momentanée. Même si rien n’est inscrit dans le marbre et que les prévisions sont particulièrement difficiles, la situation financière et structurelle des pays de la zone Euro et des Etats-Unis laisse à penser que même s’il s’améliore un peu, le cours du franc risque de ne pas revenir de sitôt aux taux de change que nous connaissions il y a quelques années. C’est donc une situation durable à laquelle nous devons nous préparer.

Pour ce faire, nous devons conserver ce que j’aime appeler notre « qualité d’avance » cette excellence, cette innovation, ce « plus » helvétique qui fait que nos centres de recherche et de développement et nos industries ont un produit encore plus avancé, encore meilleur ou encore plus innovant, performant ou durable que leurs concurrents. Ce n’est qu’en gardant toujours cette longueur d’avance que la Suisse peut conserver sa bonne situation économique et son niveau de vie malgré des coûts du sol et de la main d’œuvre élevés et désormais malgré des taux de change qui surévaluent massivement le franc suisse.

Investir dans l’avenir

Mesdames et Messieurs,

Concrètement que contient par exemple ce premier paquet, le paquet 2011 du plan d’action du Conseil fédéral ? Il propose notamment d’avancer rapidement avec certains investissements hautement stratégiques, en particulier dans le domaine de la recherche et de l’innovation.
Et j’aimerais saisir l’occasion de cet échange avec vous pour vous en dire plus, pour dépasser la seule énumération des millions, pour entrer dans l’aventure des projets de recherche, cette aventure qui peut renverser les montagnes entre le présent et le futur.

Je pense par exemple à l’immense laser à électron libre SwissFEL de l’Institut Paul Scherrer, une institution du domaine des EPF. Le SwissFEL est un laser de 700 mètres de long, petit frère d’un immense appareil (de 3,4 km) que les pays d’Europe construisent actuellement en Allemagne.
Cette infrastructure permet tout simplement à la Suisse d’être à la pointe mondiale dans un domaine de technologies extrêmement poussées qui seront d’une immense utilité pour les recherches - académiques et industrielles - sur les protéines sur les matériaux. Les observations rendues possibles par SwissFEL pourront conduire à des progrès importants dans le domaine de la gestion de l’énergie, dans le domaine de la médecine ou encore dans l’utilisation des matériaux.
Ce n’est pas un hasard si, lors du voyage scientifique que nous avons eu la chance de faire en Chine en avril de cette année, les meilleurs scientifiques chinois nous parlaient avec admiration des installations et des projets de l’Institut Paul Scherrer.

Et ce n’est pas un hasard non plus si la ministre allemande de la formation et de la recherche qui nous a rendu visite en Suisse il y a quelques semaines a souhaité visiter ce même institut. SwissFEL sera non seulement un instrument essentiel pour la recherche et les entreprises suisses qui, grâce à lui, conserveront dans ces domaines une « qualité d’avance » mais qui plus est la construction-même de cet appareil révolutionnaire apportera des emplois et un savoir-faire d’avance à nos industries technologiques.
Ce savoir-faire à très haute valeur ajoutée, il lui sera ensuite possible de l’exporter dans le monde entier.

Voilà un excellent exemple de cette qualité d’avance. Et voilà pourquoi le Conseil fédéral a décidé d’injecter immédiatement 34 millions supplémentaires cette année dans la 2e phase de ce projet à 275 millions qui était déjà en cours. Le SwissFEL représente une priorité stratégique des investissements de recherche de la Confédération, tel que le décrit notamment la « feuille de route » (ou roadmap) dont le Conseil fédéral s’est doté pour mieux piloter ce domaine hautement stratégique.
Il s’agit donc d’avancer plus vite que prévu avec un investissement de très haute importance stratégique. Cet investissement ciblé bénéficiera directement à des entreprises technologiques qui sont touchées par la question du franc fort et qui obtiennent ainsi des travaux en 2011 déjà. Et il leur permettra de se développer à l’avenir. Je relève d’ailleurs que d’importants partenaires technologiques de ce projet sont basés dans le canton de Neuchâtel.

Un autre projet très concret : Le projet de recherche NEST de l’EMPA, un autre institut du domaine des EPF, sera lui aussi immédiatement utile pour l’amélioration des techniques du bâtiment.
C’est un atout pour un grand nombre d’entreprises innovantes dans la construction et dans les matériaux de construction.

Cette immense structure sera une sorte de « bâtiment de test » avec des cellules qui permettront de soumettre des matériaux de construction par exemple au froid, au chaud, à l’humidité etc. Cette technologie sera d’une grande utilité pour que les entreprises suisses puissent développer puis vendre des fenêtres, des peintures ou des ciments d’une qualité de pointe.
Là aussi le Conseil fédéral veut avancer des investissements d’ores et déjà prévus sur la « feuille de route nationale des infrastructures de recherche ». Il veut investir dès les prochains mois pour que la Suisse conserve cette qualité d’avance.
 
D’autres mesures prévues permettront par exemple aux projets de recherches européens développés en Suisse – et il y en a de nombreux car les scientifiques ont de très bons taux de réussite à Bruxelles ! – d’obtenir une aide pour compenser partiellement la perte de change, puisque ces projets sont financés en Euros. A titre d’exemple proche, le CSEM bénéficiera directement de cette mesure, comme d’autres mesures du paquet.
Mais attention, pour tous ces projets, il s’agit de ne faire aucune concession sur la qualité. C’est l’excellence des projets qui reste le 1er critère. Toutefois s’il est possible d’investir plus rapidement dans des projets d’ores et déjà approuvé, alors c’est le moment de le faire !

De plus, plusieurs mesures exceptionnelles mises en place grâce au financement spécial de la Commission pour la Technologie et l’Innovation, la CTI, permettront de soutenir les nombreux projets innovants qui essaiment dans les entreprises suisses.

Mesdames et Messieurs,

Voilà l’esprit du plan d’action du Conseil fédéral : favoriser les meilleures conditions-cadre. Investir de manière ciblée.
Car le principal enseignement de la crise financière actuelle est peut-être celui-ci : tout succès économique est fondé sur de bonnes conditions-cadre. Et il faut sans cesse lutter pour que ces conditions soient réunies.
Et pour le reste, il faut laisser les entreprises et les chercheurs travailler.
J’en reviens donc à ces valeurs du travail, de la qualité et de la créativité que je citais tout à l’heure. L’Arc jurassien témoigne particulièrement bien de ces qualités. Ici qualité rime avec productivité et modestie n’est pas synonyme de manque d’ambition mais bien au contraire d’opiniâtreté et de persévérance.

Là aussi ces qualités retrouvent à travers la situation actuelle toute leur place.
Ce sont ces qualités qui ont permis à tout l’Arc jurassien, à toute la région horlogère, de survivre à la crise horlogère des années septante. La région n’a jamais sombré dans la résignation et l’auto-apitoiement et illustre donc à merveille ce que le  président Abraham Lincoln disait en ces termes : il importe peu que l’on chute. Ce qui prime est de se relever.
Bien sûr, de très nombreuses places de travail ont été supprimées à l’époque et la région en a beaucoup souffert. Mais elle s’est relevée, elle ne s’est pas plainte, elle s’est remise au travail et elle s’est battue. Et la Chaux-de-Fonds et sa région, le canton et tout l’Arc jurassien ont su se montrer dynamiques et créatifs.

Ils ont su diversifier leur industrie voire même la réinventer après la première crise horlogère. Et ici dans la région, l’implantation d’une industrie d’instruments médicaux a permis de développer un nouveau secteur et par là-même de nouveaux emplois et de nouveaux savoir-faire.
Bien sûr tout cela ne coule pas de source et je suis conscient que la diversification industrielle est une tâche difficile avec parfois des échecs et des déceptions.
Le secret de cette Suisse gagnante se résume peut-être à cela: nous faisons front ensemble, nous travaillons, nous croyons en nos forces et saisissons notre chance.
Cette région qui a su si bien se relever après la crise horlogère et qui produit aujourd’hui des fleurons de l’horlogerie et du luxe au plan mondial en est un excellent exemple. Il est d’ailleurs intéressant de noter que malgré les diverses crises mondiales de ces dernières années, le domaine de l’horlogerie a continué de progresser et n’a pas, contrairement à d’autres secteurs de luxe, connu de tassement.
A force de volonté et de travail on peut changer les choses, on peut gagner même dans des conditions difficiles. A l’heure actuelle, nous devons le garder à l’esprit. Et s’il le faut, repenser à l’exemple de Mandela. 

Valeurs et politique sociale

Mesdames et Messieurs,

Plus que jamais notre pays doit croire en quelques valeurs fortes, en ce qui a fait son succès : la qualité, le travail, la créativité, je l’ai dit, mais aussi l’ouverture, une société et une économie libérales, qui font confiance aux personnes et aux entreprises, dans un souci de responsabilité individuelle.
Cette valeur, centrale, a trop souvent été oubliée au cours de ces dernières années, mais c’est précisément une vertu qui différencie la Suisse de bon nombre de pays. Les Suisses savent qu’ils sont les premiers responsables d’eux-mêmes et qu’ils ont des responsabilités à l’égard de leur société - à commencer par leur famille et leur entourage.

Car avec la situation financière de plusieurs pays d’Europe, nous voyons bien qu’un Etat trop alourdi par une addition de tâches, un Etat qui se substitue trop à la responsabilité des individus, un Etat qui s’endette toujours plus ne parvient pas à se maintenir à flot. Et lorsqu’il commence à sombrer financièrement, il doit réformer, mais il doit le faire immédiatement, brutalement, ce qui entraîne des tensions sociales et un véritable démantèlement. Le cas de la Hongrie, par exemple,  qui a tout bonnement nationalisé les retraites privées (l’équivalent de notre 2e pilier) pour l’intégrer dans le système de retraite publiques (l’équivalent de notre AVS) en est un exemple frappant.
Les coupes nettes et immédiates dans les rentes, pourtant garanties, des retraités grecs en est un autre.
Et il y a plus grave encore. Dans certains pays on voit de nombreux jeunes sans perspectives, malgré une bonne formation, sans travail, sans autre option que le chômage. Des millions de jeunes européens n’ont pas d’emploi.
Dans un pays comme l’Espagne on est à près de 45% de chômeurs parmi les jeunes. Et au Portugal on en vient même à parler d’une « génération sacrifiée ». C’est un scandale sociétal absolu.

Cela va tout bonnement à l’encontre de la raison d’être de la politique qui doit être de préparer l’avenir, d’offrir des perspectives. 
La formation et l'éducation sont des biens essentiels en Suisse et l'adéquation des études au marché du travail est primordiale pour permettre au plus grand nombre possible d'étudiants d'y accéder et idéalement de s'y épanouir. Tant le monde universitaire que celui de la formation professionnelle doivent rester en mesure d'offrir des perspectives réelles aux étudiants. Souvenons nous de l’exemple de la Tunisie : qui formait bien ses jeunes mais ne pouvait ensuite leur offrir aucune perspective.

C’est de ce scandale social que sont nés les premiers mouvements  de protestation qui ont non seulement conduit à un changement de régime en Tunisie mais qui ont également allumé tous les autres foyers du « printemps arabe ». Si l’on se réjouit vivement de l’émergence de nouvelles démocraties et d’espace de liberté, on voit aussi que des pays qui ne sont pas en mesure d’offrir des perspectives à leurs jeunes se refusent tout simplement un avenir à eux-mêmes. Et là ce sont des démocraties qui peuvent être sous pression.
Les grandes manifestations estudiantines, comme en Espagne ou au Portugal, par exemple, sont là pour nous le rappeler.

Lorsqu’on veut juger la politique d’un pays, l’état de sa jeunesse est certainement un très bon indicateur. La Suisse est parmi les pays les mieux placés à cet égard. Les jeunes Suisses accèdent à de bonnes formations, et trouvent des emplois. Le taux de chômage des jeunes en Suisse est le plus bas d’Europe. Et nos jeunes sont travailleurs, innovants, dynamiques, volontaires. Je ne peux que souhaiter qu’on parle plus souvent de cette jeunesse en ces termes car elle le mérite.
Notre politique doit veiller à ce que toujours, on prenne soin de développer le pays à moyen et long terme, qu’on maintienne son dynamisme économique, qu’on évite de l’endetter. Au fond tout simplement que nous pensions aussi à nos enfants et pas seulement à nous-mêmes !

Mesdames, Messieurs,

La stabilité de la Suisse aux plans économique, politique et social sont, vous le savez bien, des critères essentiels de l’attrait et du dynamisme de la place économique suisse. Un pays qui connaît une bonne stabilité sociale peut mieux voir des entreprises se créer ou s’implanter et est mieux à même de stimuler la création d’emplois. La tradition de partenariat social de notre pays contribue grandement à cette force et je souhaite que cela perdure.

Ce partenariat social permet d’assurer une grande flexibilité de la place économique et du marché du travail suisse, que l’Etat n’a pas besoin de réguler dans tous les domaines et c’est tant mieux, car cela stimule la capacité à créer de l’emploi et donc à intégrer, notamment les jeunes, sur le marché du travail et dans la société. La stabilité sociale contribue donc au dynamisme économique qui contribue à son tour à l’intégration et donc à la stabilité sociale. La boucle est bouclée et nous devons prendre soin à ne pas briser ce cycle vertueux.

Notre système d’assurances sociales contribue aussi fortement à cette stabilité. Le Conseil fédéral entend bien prendre les mesures utiles pour que notre système social reste solide et finançable à l’avenir. Un défi de taille est le vieillissement démographique qui menace l’équilibre de notre système d’assurances sociales.

C’est un fait qui touche tous les pays européens et qui est reconnu par nos partenaires sociaux au sein de la Commission AVS/AI. Les nouvelles projections de financement de l’AVS publiées ce printemps offrent une image guère réjouissante.
La vérité est que l’AVS glissera dans les chiffres rouges dès 2020 environ, un peu plus tard qu’on ne l’avait pensé jusqu’à présent, notamment parce que l’immigration de main d’œuvre hautement qualifiée stabilise notre système social, grâce notamment à la libre circulation des personnes.

Et ce phénomène est durable puisque ces personnes, souvent à haut niveau de formation et à revenu élevé sont des contributeurs nets à l’AVS, c’est-à-dire de personnes qui versent plus d’argent à l’AVS qu’elles n’en retireront jamais. Sans cette immigration notre AVS serait dans les chiffres rouges depuis 20 ans. Or elle boucle positivement depuis 2000.
Reste que pour l’AVS, il faut impérativement entreprendre des réformes à temps, sinon le fonds de l’AVS risque de commencer à se vider, et dans ce cas il se viderait très rapidement.

Si le Fonds AVS tombe en 2025 en dessous de 50 % des dépenses annuelles, comme le prévoit le scénario médian, cela veut dire qu’il ne restera suffisamment de réserves que pour payer les rentes pendant six mois. C’est clairement insuffisant – il faut donc agir avant d’en être là.
Car l’AVS est un grand paquebot qui se manœuvre difficilement : elle verse près de 40 milliards de rentes par an.

Les réformes n’ont d’effet que sur la durée. Il faut donc anticiper les crises, comme un grand navire vire de bord assez tôt pour éviter les récifs.
Nous devons donc avoir le courage et la force de réformer nos systèmes d’assurances sociales, même si la Suisse se porte encore bien aujourd’hui. Car nous n’avons pas le droit de vider les fonds de l’AVS et de laisser les problèmes – une montagne de dettes – à nos enfants. Pour utiliser une image courante : personne ne souhaite hériter d’une maison en ruine.

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi d’appuyer à nouveau mon propos sur ceux de Lincoln qui illustre à merveille le défi face auquel nous nous retrouvons aujourd’hui : on ne peut pas échapper à la responsabilité de demain en l’évitant aujourd’hui.
En prenant le contre-pied on pourrait citer Henri Queuille qui fut trois fois président du Conseil sous la 4e République française et qui disait lui qu’ « il n'est aucun problème assez urgent en politique qu'une absence de décision ne puisse résoudre ». Eh bien je pense que Queuille avait tort .
 Il ne faut en effet pas laisser les problèmes s’enliser. Cela va peut-être pour de petits problèmes, au fond sans gravité, dont le quotidien est rempli. Mais pour les grands problèmes structurels, il faut les empoigner, à bras le corps, même s’ils ne sont pas urgents. Il ne faut pas laisser les murs de la maison se lézarder trop longtemps, en espérant que les ingénieurs ont tort et qu’elle tiendra encore debout un moment, il faut rénover avant qu’il ne soit trop tard.

Le développement de notre système de pensions a permis au fil des ans pratiquement d’éradiquer la pauvreté dont souffraient auparavant fréquemment les personnes âgées. C’est un grand succès de notre politique sociale dont nous pouvons être fiers et que nous devons souligner. Il mérite largement d’être maintenu et perpétué.

Le Conseil fédéral est résolu à prendre les choses en main et à utiliser judicieusement le temps à disposition ces prochaines années. Il a donc convié toutes les forces politiques et les partenaires sociaux à s’associer à un processus participatif pour dessiner les contours de la prochaine réforme de l’AVS d’ici 2013. La 2e étape de ce processus lancé en décembre dernier est en cours, nous discutons en ce moment avec les partis et les partenaires sociaux, ce processus progresse, pas à pas, comme pour la construction d’une horloge, neuchâteloise bien sûr !
La prochaine législature sera décisive à cet égard car si les forces politiques et sociales en présence bloquent la situation au lieu de chercher des solutions, il sera difficile de progresser sur ce dossier central pour la Suisse. Et après 2015 il sera déjà bien tard pour mettre en place les réformes : elles peineront à déployer leurs effets à temps.
Les mots-clés en la matière sont, très simples : travail (encore), sens des responsabilités et sens de la mesure.

Mesdames et Messieurs,

J’ai pris cet exemple de l’AVS, non seulement parce que c’est une œuvre sociale essentielle pour notre pays, mais aussi pour souligner à quel point notre avenir sera le résultat de notre travail et de notre sens des responsabilités, de la volonté de trouver – ensemble - des solutions durables.

Cette réalité est valable aussi pour le deuxième pilier qui doit faire face depuis 10 ans à des rendements des marchés bien inférieurs à ce qui serait nécessaire. Cette réalité est aussi celle de l’AI qui a accumulé 15 milliards de dettes à charge de l’AVS et qu’on n’a pas voulu rénover quand il était temps mais qu’on a laissé s’affaisser presque jusqu’à l’effondrement. La première partie de la 6e révision entrera en vigueur en 2012, c’est un pas important, il faudra encore que le Parlement adopter la 2e partie de cette révision que le Conseil fédéral a soumis ce printemps pour que l’assurance revienne à l’équilibre financier et que sa dette puisse être résorbée d’ici 2025.

 Depuis deux ans que je suis en charge des affaires sociales du pays, je peux confirmer que - s'il reste toujours beaucoup à faire, notamment auprès de certaines jeunes familles frappées par la pauvreté - notre société suisse connaît heureusement un haut degré de cohésion sociale.
Toutefois, cette cohésion sociale ne pourra rester aussi forte que si chacun fait preuve de responsabilité à l'égard de lui-même, à l'égard de ses proches - en premier lieu sa famille - et à l'égard de la société dans son ensemble. L'Etat, qu’il soit fédéral ou cantonal, et son système social doivent répondre aux vrais besoins, aider les plus faibles, soutenir ceux d'entre nous qui connaissent un revers de la vie. Mais surtout ne pas déresponsabiliser l'individu ou la solidarité familiale.
A l'avenir, cette question de la responsabilité sociale sera de plus en plus présente et complexe dans une société qui verra bientôt s'établir la coexistence de cinq générations, dont quatre actives et en bonne santé et une cinquième, très âgée, qui nécessitera une attention accrue. Pour faire face à ce défi, il sera fondamental que la solidarité familiale s'exerce en complément du déploiement du système social.
Mesdames et Messieurs,
Les réformes que nous menons dans le domaine de la santé sont également marquées par les mêmes réflexions: alors que la population vieillit, que des maladies chroniques comme le diabète ou Alzheimer concernent toujours davantage de personnes, nous voulons assurer durablement l'accès de tous à des soins de qualité.

Seule solution : s'organiser mieux pour prévenir et soigner mieux ; sauver davantage de vies avec les mêmes moyens et, contrairement à l’idée reçue ce n’est pas contradictoire, une meilleure efficience du système conduit à de meilleurs soins et à une meilleure maîtrise des coûts. Faire « plus » ce n’est pas toujours faire « mieux »; il faut donc inciter à la qualité et non à la quantité et là encore responsabiliser et mobiliser tous les acteurs du système de santé ; et Dieu sait qu'ils sont nombreux !
Les premiers effets des réformes sont là puisque nous assistons à une stabilisation des coûts de la santé. Par personne les coûts de la santé progressent de 2% environ en 2010 et d’environ 1% en 2011 pour le moment, alors que l’augmentation moyenne des coûts de l’assurance-maladie sociale est de 4 à 5% par an depuis quinze ans.

Nous réussirons à modérer la progression des primes en 2012, que ce soit en moyenne nationale ou pour le canton de Neuchâtel (et cela bien qu’on nous ait prédit – depuis deux ans – la catastrophe… Ce qui nous ramène un peu à l’histoire du président Mandela!). Cette évolution modérée des primes n’aura rien d’artificiel : elle sera le reflet des réalités. Les caisses maladies devraient avoir reconstitué leurs réserves. Nous aurons donc rattrapé les difficiles années 2008 et 2009, durant lesquelles les primes n’avaient pas couvert les coûts. Les mesures prises ont donc des effets concrets. Mais le chemin est encore long. Il y a de nombreuses réformes encore à mener et à poursuivre, à moyen et long terme. Dans quelques jours, le parlement pourra dire si après 7 ans de discussions il accepte enfin de finaliser l’importante réforme liée aux réseaux de soins et à la compensation des risques dans le sens d’une meilleure qualité et d’une meilleure efficience.

La concurrence se concentrera sur la qualité et non plus sur la mauvaise sélection des risques. Et il y a encore de nombreux autres chantiers… loi sur la prévention, mais aussi la cyber santé ou le registre national du cancer par exemple. Là aussi, les mots d’ordre sont : travail (toujours en encore), sens des responsabilités et sens de la mesure.

Mesdames et Messieurs,

Outre le fait que cette région est travailleuse, de tout temps elle a commercé avec le Monde entier- La Chaux-de-Fonds elle-même d’ailleurs avec son agencement urbanistique nous fait penser au Nouveau Monde -, elle toujours a fait preuve de son ouverture. Le Corbusier, Cendrars, Chevrolet, entre autres, sont là pour nous le rappeler au détour de ses rues.

Cette ouverture est une des clés du succès de notre pays. Avec l’Union européenne nous nous sommes donné la voie bilatérale. Celle-ci a un bilan incontestablement positif pour la Suisse, même si des difficultés subsistent ici ou là. La voie bilatérale a été la clé qui a permis à la Suisse de réenclencher le moteur de la croissance dans les années 2000 : il ne faut pas l’oublier.
La libre circulation nous assure une main d’œuvre qualifiée absolument indispensable et une immigration qui est bien davantage européenne que par le passé.

Par ailleurs, je vous en parlais tout à l’heure, cette immigration est un net avantage pour l’AVS qui grâce à elle boucle positivement depuis 10 ans alors que sinon elle serait dans les chiffres rouges depuis 1990. La différence positive est de 2 milliards en moyenne ces dernières années.
L’AI aussi bénéficie de cette immigration européenne, qui a statistiquement moins de risque de toucher une rente, l’avantage est ici de 100 millions par an environ.

La voie bilatérale est donc un atout pour notre système social. Mais il y a plus. Ainsi, la Suisse est pleinement intégrée dans l’Europe de la recherche et dans l’Europe de la formation. Et comme ministre en charge de ces domaines, je puis vous dire que les échanges entre scientifiques sont essentiels pour assurer le succès de notre pays dans ce domaine crucial pour notre avenir.
Sans cet atout que constituent les accords bilatéraux sur la recherche et sur la formation, notre pays ne pourrait certainement pas continuer à viser les premiers rangs mondiaux comme il le fait aujourd’hui avec 6 Universités dans les 200 meilleures du Monde et ses 2 Ecoles polytechniques même parmi les 50 meilleures du Monde et les 3 meilleures d’Europe selon certains classements.
Ceux qui attaquent aujourd’hui la libre circulation des personnes doivent donc penser que tous ces avantages partiraient en fumée si nous renoncions à la libre circulation. Soit parce que les accords sont juridiquement liés entre eux, soit parce qu’ils ne pourraient se poursuivre matériellement sans eux.

Oui la Suisse qui gagne est une Suisse ouverte, cette région le sait bien, elle qui exporte l’essentiel de sa production et dont les emplois dépendent largement de cette ouverture sur le monde. La Suisse a, plus que jamais, en cette période délicate, besoin de cette ouverture à l’avenir, pour maintenir sa qualité d’avance.

Mesdames, Messieurs,

On le voit, les chantiers sont nombreux, les réformes indispensables.
Je suis profondément convaincu que la Suisse pourra affronter les défis majeurs qui l’attendent avec succès si elle se repose sur ses valeurs fondamentales. Cette dynamique-là, elle est à la Suisse ce que le mouvement est à la montre : elle lui donne vie.

Nous saurons relever ces défis si tous les partenaires en présence sont prêts à assumer ce que j’aime appeler « la joie de la responsabilité » et à se battre pour une Suisse qui travaille, une Suisse ouverte, une Suisse qui se réforme et se modernise, une Suisse créative, une Suisse qui vise la qualité, une Suisse qui se donne les moyens de garder une « qualité d’avance » ceci pour le bien de notre pays, pour le bien de toutes ses générations présentes et à venir. Et il n’y a pas besoin de consulter des experts pour savoir, tout simplement, que c’est possible !


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Secrétariat général DFI
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