Club économique libéral

Berne, 19.06.2024 - Discours du Conseiller fédéral Beat Jans à Neuchâtel

Es gilt das gesprochene Wort

 

Monsieur le Conseiller aux États,
Monsieur le Conseiller national,
Chères entrepreneuses, chers entrepreneurs,
Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie de m'avoir invité à Neuchâtel.

« Il vaut infiniment mieux avoir toujours l'estime des hommes que quelques fois leur admiration. »

Voilà ce que m'inspire le classement des conseillers fédéraux qui a été mentionné.

En tout cas, je peux vous féliciter : vous m'avez ici comme invité alors que je suis au sommet de ma popularité. Bientôt c'est la descente qui va commencer.

Mais revenons à cet homme qui, à son époque, n'était plus non plus très populaire à Paris. La citation au début de mon discours est en effet du plus célèbre requérant d'asile de Neuchâtel : Jean-Jacques Rousseau. Un réfugié politique qui fuyait la justice.

Il est mort depuis presque 250 ans, mais sa pensée est toujours actuelle. En réaction à la monarchie absolue, Rousseau a développé l'idée - révolutionnaire à l'époque - de la volonté générale. Pour protéger la volonté générale, et le bien commun qui en découle, des limites doivent aussi être posées à la volonté de la majorité. Qui risque autrement de devenir une tyrannie de la majorité.

En d'autres termes, la démocratie aussi a besoin de limites. Et ces limites, c'est l'état de droit qui les fixe. Nous ne devrions pas l'oublier lorsque nous débattons, avec passion, de l'arrêt « climatique » de la Cour européenne des droits de l'homme.

En tant que chef du Département fédéral de justice et police, j'ai une responsabilité particulière pour ces deux thèmes, l'état de droit et l'immigration. Et c'est pour ça que je vais les mettre en avant aujourd'hui.

Je vous livre d'emblée mes principaux messages :

Les solutions institutionnelles proposées dans le Common Understanding entre la Suisse et l'UE sont bonnes pour la Suisse.

La reprise dynamique du droit dans certains domaines politiques et le mécanisme de règlement des différends sont des progrès par rapport à la situation actuelle. Ils améliorent la sécurité du droit. Ils garantissent aussi à la Suisse de préserver sa souveraineté, et à la population suisse d'avoir toujours le dernier mot en votation populaire. Permettez-moi de développer.

J'étais en Tunisie à la fin du mois de mai. J'y ai rencontré des représentants du gouvernement et nous avons parlé de migration. Depuis 2014, nous collaborons avec la Tunisie en matière de migration. Nous le faisons de manière souveraine et - je me permets de le dire - avec un certain succès.

La Suisse est parmi les premiers pays en Europe pour la rapidité de traitement des demandes d'asile et de renvoi des demandeurs d'asile déboutés. Elle est aussi meilleure que d'autres pour intégrer les réfugiés reconnus et les personnes admises à titre provisoire. Les deux aspects sont importants à mes yeux. Pour qu'un système d'asile fonctionne bien, il faut que les lois soient appliquées avec rigueur et que les personnes qui n'ont pas droit à une protection soient renvoyées rapidement. Mais pour le vivre-ensemble en Suisse, il est essentiel que les personnes qui obtiennent l'asile ou une protection s'intègrent rapidement.

Notre politique migratoire est cependant depuis longtemps liée à celle de l'UE. Nous participons à Schengen et à Dublin. Nous sommes un État associé et nous participons régulièrement aux rencontres des ministres de la justice des États de l'UE, où nous faisons entendre notre voix. Dans mon rôle de ministre de la justice, je m'engage par exemple pour que le nouveau pacte européen sur la migration et l'asile soit mis en œuvre dans le respect des droits humains. Avec une conviction entière.

La Suisse est mieux à même de faire face aux flux migratoires quand elle collabore avec ses voisins européens que quand elle agit seule. À la fin avril, lors d'une rencontre ministérielle à Gand, en Belgique, j'ai suggéré que les pays de l'UE pouvaient apprendre de la Suisse à conclure de meilleurs accords migratoires, mais aussi qu'ils pouvaient mieux se coordonner entre eux et avec la Suisse. Ensemble, nous sommes plus efficaces. Et ça compte beaucoup, à l'heure où l'Europe fait face à un nombre de réfugiés tel qu'elle n'en a plus connu depuis la Seconde Guerre mondiale.

Pourquoi est-ce que je vous raconte ces histoires concernant l'asile ?

Pour attirer votre attention sur un aspect que je déplore dans le débat sur les bilatérales III. Les adversaires d'un accord parlent toujours de juges étrangers, mais jamais de l'influence de la Suisse, de la sécurité du droit et de notre souveraineté.

Grâce à notre association à Schengen-Dublin, la Suisse a son mot à dire en Europe dans les questions migratoires. Nous avons une influence sur le cours des choses, moi en tant que conseiller fédéral et nos spécialistes dans les groupes de travail. Et notre participation n'est pas inutile. Nous sommes écoutés - et nous sommes entendus.

Si nous pouvons participer aux discussions, c'est parce que nous reprenons les règles de Schengen/Dublin. Mais nous le faisons toujours à notre manière. Si nécessaire, en adoptant notre propre loi. C'est toujours la population qui a le dernier mot, elle est toujours libre de refuser les décisions des États de Schengen/Dublin. Elle a d'ailleurs été plusieurs fois consultée et elle a toujours soutenu ces décisions.

Dans les négociations en cours avec l'UE, nous voulons transposer ce modèle - celui d'une participation aux discussions en échange d'un engagement à reprendre en principe les nouvelles règles - aux accords sur le marché intérieur.

Et ces accords, vous le savez aussi bien que moi, sont très importants pour nos emplois et pour la prospérité de la Suisse. Si nous pouvions participer aux discussions et avoir notre mot à dire dans l'élaboration du droit de l'UE dans ces dossiers, ce serait un progrès par rapport à aujourd'hui. Parce qu'aujourd'hui, nous n'avons pas cette possibilité.

Et à propos de juges étrangers. Aujourd'hui, c'est le règne de l'arbitraire. Vous ne le savez que trop bien, vous qui représentez les milieux économiques. L'UE nous a malmenés ces dernières années. Elle nous a retiré l'équivalence boursière. Elle nous a rétrogradés dans le programme Horizon. Les entreprises de technologie médicale doivent aujourd'hui faire homologuer leurs produits deux fois : une fois en Suisse et une fois dans l'UE. Ce qui entraîne des coûts supplémentaires qui sont, au final, facturés aux consommatrices et aux consommateurs.

Pourquoi le mécanisme de règlement des différends proposé lors des discussions exploratoires apporte-t-il davantage de sécurité ? En cas de désaccord, les sanctions devront être proportionnées et rester dans le cadre des accords bilatéraux. Elles ne pourront plus sortir de ce cadre, comme c'est le cas aujourd'hui. Comme à l'OMC, les différends seront tranchés par un tribunal arbitral. Un tribunal arbitral paritaire.

Et je veux réfuter ici avec force une affirmation souvent répétée, mais qui n'en est pas moins fausse. On entend dire que c'est la Cour de justice de l'UE qui décidera en dernière instance. C'est faux. Il n'y a rien de tel dans le Common Understanding.

La Cour de justice de l'UE n'est là que pour interpréter le droit de l'UE. Comme notre Tribunal fédéral interprète le droit suisse. Au final, c'est toujours le tribunal arbitral paritaire qui tranchera. En particulier sur la question de la proportionnalité des sanctions.

Le règlement des différends est un mécanisme purement interétatique. Il ne s'applique pas aux litiges entre des particuliers ou des entreprises, ni aux rapports entre des entreprises et l'État. Il ne sera utilisé que pour clarifier des questions entre les États. Le mécanisme ne vaudra qu'entre la Suisse et l'UE. Pour les personnes privées, rien ne change.

Et en parlant de sanctions, ou de mesures compensatoires :

L'expérience de l'Espace économique européen montre que ces mesures compensatoires devraient rester très rares. Savez-vous dans combien de cas des mesures compensatoires ont été prises entre l'UE et les États de l'EEE, la Norvège, l'Islande et le Liechtenstein ?

Zéro. Ça n'est encore jamais arrivé !

Et même la reprise dynamique du droit n'est pas si effrayante si l'on y regarde de plus près. Nous avons adapté Schengen-Dublin 480 fois à ce jour. La population suisse a validé ces changements plusieurs fois dans les urnes.

La reprise dynamique du droit m'inquiéterait si elle revenait à signer un chèque en blanc pour n'importe quelle nouvelle réglementation imaginable. Mais cette image est fausse. La reprise dynamique du droit ne concernerait que des innovations dans le champ d'application des accords sur le marché intérieur.

En contrepartie, nous pourrions participer à l'élaboration des nouveaux actes normatifs et faire entendre nos intérêts. Et la reprise passerait toujours par une décision de la Suisse, respectant nos règles constitutionnelles, jusqu'à une éventuelle votation populaire. Nous pourrions aussi décider de ne pas reprendre un développement et assumer les mesures compensatoires que cette décision entraînerait. Nous restons donc libres et souverains, et nous avons la garantie que les mesures compensatoires seraient proportionnées.

Bien entendu, les questions institutionnelles ne sont pas les seules qui sont importantes pour nos relations avec l'UE. Ne nous réjouissons pas trop vite. Les bilatérales III n'ont une chance d'aboutir que si nous trouvons aussi de bonnes solutions pour les transports, pour l'immigration et pour la protection des salaires.

Le Conseil fédéral y est déterminé. Il ne veut ni affaiblir les transports publics, ni permettre le dumping salarial ou social. Ces points ne sont pas encore assurés. Ils font partie des négociations. C'est pour ça qu'il faut maintenant négocier avec habileté. Ignazio Cassis a une équipe solide qui mène en ce moment ces négociations au niveau technique. Nous devons maintenant les laisser travailler.

Ce qui est important pour moi, c'est que vous entendiez ce message : pour les questions institutionnelles, ce qui se trouve dans le Common Understanding nous amène des avantages et constitue un progrès. Dans d'autres domaines, les choses sont encore ouvertes. Je l'ai dit, nous devons maintenant laisser l'équipe de négociation travailler. Voilà une excellente transition pour mon dernier thème :

Lors d'une conférence de presse début mai, j'ai dit comment nous voulions atteindre notre objectif d'avoir 40 % des titulaires du statut S - c'est-à-dire des personnes d'Ukraine - en emploi à la fin de 2024. D'ici à l'automne, je prépare aussi d'autres mesures et allégements. Mais le succès dépendra bien évidemment de l'économie. C'est vous, Mesdames et Messieurs, qui ferez la différence. Ayez le courage de jouer le jeu, donnez une chance à une personne au statut S dans votre entreprise.

J'aimerais partager une anecdote à ce sujet :

Quand vous êtes conseiller fédéral, beaucoup de gens vous écrivent. J'ai reçu il y a quelque temps une lettre d'un fromager de l'Oberland zurichois, qui était fier d'avoir engagé un réfugié d'Afghanistan et de l'avoir formé au métier de technologue du lait. Cet Afghan fabrique maintenant du fromage suisse de qualité. Mais peu après la fin de sa formation, il a perdu son appartement. La commune en avait besoin pour loger des réfugiés ukrainiens. Le fromager n'était pas très content mais il a trouvé une solution pour l'Afghan. Et maintenant, l'Ukrainien qui a repris l'appartement avec sa famille travaille aussi pour notre fromager, qui me disait dans sa lettre : il faut toujours essayer de tirer le meilleur de ce que la vie vous offre. Cette philosophie, cet esprit d'entreprise d'un patron d'une PME loin du dynamisme des grands centres m'impressionne. Voilà ce qu'il nous faut dans ces temps difficiles : des gens qui s'engagent avec assurance pour une Suisse ouverte et solidaire, des gens qui avancent.

Et je souhaite que vous en fassiez partie, et que nous puissions avancer ensemble.

Je vous remercie.


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