Il n'y a pas de véritable liberté sans politique sociale éclairée

Geneva, 14.06.2023 - Discours du Président de la Confédération Alain Berset à l’occasion de l’ouverture du Sommet sur le Monde du travail, organisé dans le cadre de la 111e Conférence internationale du travail de l’Organisation internationale du travail (OIT). Seules les paroles prononcées font foi (only in French).

Je vous souhaite la bienvenue à Genève à l’occasion de la 111e Conférence internationale du travail, organisée par l’Organisation internationale du travail (OIT). La Suisse est état hôte de l’organisation depuis 1919 et son implantation à Genève a été la pierre angulaire du développement de la Genève internationale. C’est dire le lien très fort qui nous lie à l’OIT, depuis plus d’un siècle.

La Suisse est honorée d’accueillir le premier Sommet du monde du travail dédié à la justice sociale pour tous. Pour tous, et pour toutes. Aujourd’hui en Suisse a lieu la grève féministe. Vous en connaissez malheureusement les raisons. Les femmes touchent trop souvent un salaire et des rentes moins élevés. Elles effectuent plus régulièrement que les hommes du travail non rémunéré. Et elles sont victimes de discrimination et de harcèlement. L’une des revendications des femmes en grève aujourd’hui se réfère d’ailleurs explicitement à la Convention no 190 de l’OIT, concernant la violence sexuelle sur le lieu de travail.

Dès lors, la grève d’aujourd’hui illustre, de manière très concrète, comment l’indignation face à des situations injustes peut se transformer en action politique: grâce à l’optimisme! C’est-à-dire grâce à la conviction profonde que l’on peut changer les choses, que ce soit au sein de notre société ou à l’échelle mondiale. Il est essentiel que la colère contre les dysfonctionnements de la société s’accompagne d’optimisme. Sans quoi cette colère mène au ressentiment, au défaitisme, voire au cynisme, qui ne sont d’aucune utilité pour lutter contre les injustices sociales.

L’histoire de l’OIT est justement une histoire de colères. Cette organisation indispensable a vu le jour il y a plus d’un siècle, suite à l’indignation légitime suscitée par les conditions de travail dramatiques dans les usines et le travail des enfants, qui était alors très répandu. Mais l’indignation s’est transformée en engagement.

Aujourd’hui aussi, les défis auxquels nous faisons face sont considérables. Les inégalités dans le monde ont pris des proportions extrêmes. Le Rapport sur les inégalités mondiales 2022 conclut ainsi que les inégalités en matière de richesse, de revenu, de genre et d’écologie sont au même niveau qu’au début du XXe siècle. C’est-à-dire à l’époque où l’OIT a été fondée…

Cette injustice sociale touche les plus vulnérables – les femmes, les jeunes et les personnes handicapées – de manière disproportionnée. Les conséquences de ces inégalités sont néfastes. Elles deviennent un poison politique, qui affaiblit la cohésion sociale et discrédite les institutions démocratiques. 

Il n’y a pas de justice sociale sans respect des droits humains, sans protection sociale et sans garantie des libertés fondamentales. C’est pourquoi nous devons nous engager à créer des opportunités pour les plus défavorisés, afin d’améliorer leur bien-être et de leur qualité de vie et garantir l’égalité des sexes et l’accès aux droits.

Nous devons encourager une « transition juste », c’est-à-dire un changement structurel vers un ordre social et économique climatiquement neutre, inclusif, et égalitaire. Cette thématique, qui relie les agendas de la justice sociale, climatique et environnementale et leurs groupes d’intérêts respectifs, est d’ailleurs l’un des sujets de cette Conférence internationale du travail.

Si vis pacem, cole justitiam (si tu veux la paix, cultive la justice)

Ces mots historiques se trouvent dans un document scellé sous la première pierre du bâtiment principal du BIT, ici à Genève. Ils illustrent la raison d’être de l’OIT, dont la Constitution vise la justice sociale pour servir la paix dans le monde. Par son engagement à faire valoir et respecter les principes et les droits fondamentaux au travail, l’OIT a influencé de manière positive et durable la législation relative au bien-être social dans tous les pays du monde. Et en rassemblant des représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs dans ses organes exécutifs, les fondateurs de l’OIT ont fait œuvre de pionniers et concrétisé le dialogue multipartite promu aujourd’hui. Le dialogue social permet de trouver des solutions aux défis du monde du travail, en plaçant l’être humain au centre. Avec le partenariat social, les Etats membres et l’OIT garantissent que le travail n’est pas une marchandise.

Mais la justice sociale ne peut pas incomber à la seule OIT. Elle exige la mobilisation de l’ensemble du système multilatéral. Avec son mandat normatif, sa structure tripartite et ses moyens d’action, l’OIT a la légitimité nécessaire pour encourager d’autres acteurs à joindre leurs efforts aux siens. Dans ce contexte, la Suisse s’est fixé quatre priorités:

  • le renforcement de la coopération de l’OIT avec les institutions financières internationales et les banques multilatérales de développement, en vue d’établir un dispositif anticrise socialement durable;
  • la promotion de la protection sociale universelle grâce à l’élaboration de systèmes de protection contributifs, avec une attention particulière aux soins de santé universels;
  • la mise en place d’une initiative pour aider les entreprises et leur personnel à tirer parti de la transition vers une économique verte et numérique;
  • la mise en place d’une initiative en faveur d’un commerce socialement équitable,
    en consultation avec les organisations commerciales internationales compétentes, plus particulièrement l’OMC. Il s’agira de créer au sein du BIT un mécanisme de soutien aux pays qui négocient des dispositifs sociaux dans le cadre d’accords de commerce et d’investissement.

La Suisse a été la cheville ouvrière de la Déclaration de l’OIT sur la justice sociale en 2008. Cette déclaration doit continuer de guider nos actions en faveur des objectifs que sont la promotion de l’emploi, le renforcement de la protection sociale, la promotion du dialogue social et du tripartisme, le respect et la mise en œuvre des principes et droits fondamentaux au travail. Ces objectifs sont indissociables les uns des autres, et se renforcent mutuellement. Toute défaillance dans la promotion de l’un d’eux porterait préjudice à la réalisation des autres.

Les partenariats de l’OIT avec des entités non étatiques et des acteurs du secteur privé doivent également être encouragés. Les transformations technologiques, le changement climatique, la migration ou les défis démographiques sont des phénomènes globaux. Ils font appel à une coopération internationale à tous les niveaux, que nous allons concrétiser au sein d’une coalition mondiale pour la justice sociale.

A l’heure de l’inadmissible guerre d’agression russe contre l’Ukraine, les plateformes multilatérales sont plus importantes que jamais. La Suisse, pays de la Genève internationale, s’engage avec détermination pour traiter les défis actuels dans le cadre d’une coopération internationale aussi étroite que possible.

Les inégalités dans le monde sont, avec le réchauffement climatique, l’un des plus vastes fléaux de notre temps. Indignons-nous! Mais restons optimistes. En particulier à l’heure où les crises se succèdent et se chevauchent, jusqu’à parfois ébranler notre foi en l’avenir. Dans ce contexte d’incertitudes, il est d’autant plus important de poursuivre notre engagement pour le progrès social, le multilatéralisme et une politique rationnelle.

Comme l’a dit le président américain Franklin Roosevelt dans son discours devant l’OIT en 1941: «The essence of our struggle today is that man shall be free. There can be no real freedom for the common man without enlightened social policies. In the last analysis, they are the stakes for which democracies are today fighting.»

Il ne peut y avoir de véritable liberté pour les individus sans politique sociale éclairée. Ce qui était vrai en 1941, l’est encore aujourd’hui.


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