La sécurité :un préalable à nos libertés, un préalable à notre indépendance

Bern, 28.02.2018 - Allocution de M. le Conseiller fédéral Guy Parmelin Chef du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) à l’occasion de la soirée duSoirée fondue de l’UDC neuchâteloise La Chaux-de-Fonds, le mercredi 28 février 2018.

Seul fait foi le texte effectivement prononcé 

Monsieur le Président,
Chers élus, membres et sympathisants de l’UDC neuchâteloise,
Chers amis et invités de la section de La Chaux-de-Fonds,

Je suis très flatté de votre invitation à prendre de la hauteur dans cette charmante commune des Planchettes où je me rends ce soir avec plaisir et amitié. J’entame ainsi ma « quinzaine neuchâteloise », puisque je serai amené dans quelques jours à rencontrer le gouvernement cantonal au grand complet, sur le Littoral cette fois, pour un échange informel autour de sujets qui l’intéressent et qui intéressent votre canton.

Comme vous le savez, un conseiller fédéral, à l’instar de tout magistrat, n’a plus le droit de faire de politique active. Cependant, il conserve celui d’adresser des encouragements et de former des vœux à l’endroit de qui bon lui semble, et notamment des membres de sa famille politique. Aussi, je tiens à profiter de cette célébration anticipée de l’Indépendance neuchâteloise pour saluer celles et ceux qui vivent leur vie de citoyens de façon active et qui la doublent d’un engagement politique fort. Une telle approche est importante pour la vitalité de nos institutions ainsi que pour la manifestation de son attachement individuel aux valeurs communes dont nous nous réclamons.

Selon un récent sondage Tamedia effectué en prévision des élections fédérales de 2019, l’UDC pourrait enregistrer une nette progression sous la Coupole. A ce stade, il faut évidemment se garder des excès d’enthousiasme, mais nous devons admettre que cette perspective est encourageante pour toutes celles et tous ceux qui partagent la ferveur et les ambitions que notre parti a pour ce pays. Je souhaite également que l’UDC du canton de Neuchâtel, qui sort d’une période tourmentée, retrouve rapidement la voie de la sérénité et du succès.

Cette voie est également celle à laquelle j’aspire pour les entités de mon département qui ont pour mission de contribuer à la sécurité du pays : l’armée, bien sûr, mais aussi le Service de renseignement de la Confédération ainsi que l’Office fédéral de la protection de la population. Au total, plus de 95% des quelque 12'000 collaborateurs placés sous ma responsabilité œuvrent précisément au service de notre sécurité.

Contrairement à ce que certains pensent, la sécurité constitue bel et bien une activité à plein temps. A l’instar de la diplomatie, de la justice, de l’économie ou de la formation.

Le faire admettre politiquement n’est pas toujours chose aisée, et faire financer cette sécurité à la hauteur des défis qu’elle nous lance n’est pas simple non plus. Il faut dire que l’opinion publique a tendance à apprécier les besoins en la matière de façon très subjective, et le plus souvent en fonction de l’actualité. C’est une mauvaise pratique, car la sécurité n’est pas un domaine sensible aux modes. Ainsi, même si les cybermenaces – j’y reviendrai dans mon propos – représentent effectivement un problème majeur de sécurité, et singulièrement pour celle de nos PME, qui n’en sont d’ailleurs pas toujours conscientes, elles sont loin d’être les seules à planer sur nos têtes. Il est bon de le rappeler, même à une population suisse qui se considère à 93% en parfaite sécurité, si j’en crois la dernière étude annuelle réalisée sur cet objet par l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich. Je pense au demeurant que ce sentiment n’est pas usurpé, mais il ne faut pas se bercer de l’illusion que la sécurité est un bien durable, acquis une fois pour toutes. Notre responsabilité politique, par conséquent, est de prendre en compte sa précarité en procédant régulièrement à des appréciations de situation et en adaptant nos pratiques et équipements en conséquence. Je m’empresse cependant de préciser que la Confédération n’est pas seule sur ce terrain : les cantons y sont aussi, les grandes villes également, et nous avec, puisque la sécurité est un objectif collectif aussi bien qu’individuel.

J’observe depuis un peu plus de deux ans maintenant qu’elle occupe une place de choix dans le débat politique, et pas seulement lorsqu’il est question d’avion de combat. Les priorités sécuritaires du Conseil fédéral, les moyens humains et logistiques de mon département, ses quelque 900 projets à l’étude, ses décisions, tout cela est scruté et soupesé par un Parlement dont les grilles d’analyse sont bien entendu diversement orientées, notamment vis-à-vis du profil de nos menaces.

A ce sujet, je relèverai tout d’abord que les temps ont bien changé par rapport à ceux où l’ennemi, clairement identifiable, était forcément rouge. Aujourd’hui, pour rester dans la même symbolique, il est multicolore, cela pour autant qu’on parvienne à l’identifier clairement. Car notre grande difficulté est de circonscrire la menace. De fait, la défense de la population, envisagée au sens large, ne constitue plus une tâche aussi homogène que par le passé : la défense est devenue un secteur particulièrement diversifié, fortement globalisé, technologiquement et politiquement complexe, et se caractérisant par des interdépendances de plus en plus marquées. Concrètement, le DDPS n’est plus le département qui doit être en mesure de mettre des canons en batterie pour empêcher l’avancée de l’ennemi. C’est un département qui doit évaluer la situation internationale et les risques intérieurs, définir à cette aune une politique de sécurité crédible, tenter de débloquer les crédits nécessaires à la mettre en pratique, enfin former et équiper ses effectifs en conséquence.

Le projet d’acquisition d’un nouvel avion de combat l’illustre bien, qui est sans conteste l’un des projets phares de mon département : une fois les besoins analytiquement établis, la conduite d’un tel dossier doit en effet prendre en compte non seulement les capacités opératives de l’appareil envisagé, mais avec elles une foule d’éléments connexes. Je songe ici par exemple à la coordination et à l’interopérabilité de l’ensemble des moyens, y compris terrestres, affectés à la défense aérienne. Je pense aussi aux servitudes technologiques nous liant au constructeur, à la sécurité informatique des systèmes embarqués, à la stratégie de participation industrielle, qui intéresse à juste titre la place économique suisse, ou encore aux effets financiers induits sur les autres systèmes et moyens de notre armée, en particulier sur ceux des forces terrestres, qui ne voudront pas être les parents pauvres de cette acquisition. Enfin, et imperméables à toute stratégie d’influence, nous devrons soigneusement élaborer le processus démocratique, c’est-à-dire la technique législative de mise en œuvre de ce projet, les étapes parlementaires de validation, la question toujours ouverte et périlleuse d’un vote populaire et, bien évidemment, les démarches de communication subséquentes.

Cela étant, la maîtrise de l’ensemble de ces paramètres n’empêchera pas certains milieux de faire tout leur possible pour jouer la montre et entraver le renouvellement de notre flotte, parce qu’un tel projet draine – vous l’imaginez bien – beaucoup d’enjeux politiques dès lors qu’on parle d’un crédit d’acquisition substantiel. Pour mémoire, le Conseil fédéral a décidé de permettre au DDPS de planifier le renouvellement des moyens de protection de l’espace aérien pour un montant plafonné à 8 milliards de francs.

Il faut, dans ce débat nourri qui s’annonce, avoir le courage de dire que l’aviation militaire représente un pilier central de notre défense. Et il est inenvisageable que canons, missiles ou drones puissent suppléer à eux seuls l’énorme potentiel qu’offre une combinaison des moyens aériens et sol-air. Sans les forces aériennes, c’est l’avenir même de notre armée qui est compromis. Tous les terrains d’opération au monde le démontrent : il est inconcevable de maintenir une armée crédible sans la doter d’un appui aérien fiable. Les incertitudes de notre époque nous interdisent par conséquent de nous priver volontairement de ce moyen d’action essentiel. J’émets par conséquent les plus grandes réserves à l’égard de l’idéalisme de certaines formations politiques qui les conduit à exclure l’hypothèse d’un conflit classique ou à considérer que l’existence de nos avions actuels peut être indéfiniment prolongée. Or, je vais vous le dire clairement : d’un point de vue financier et opératif, l’obsolescence « déprogrammée » n’est pas une option viable pour nos forces aériennes.

J’aimerais souligner enfin que, quel que soient les angles du débat, le toit de la Suisse ne pourra pas être laissé sans surveillance. Nos voisins européens ne le toléreront pas, ne serait-ce qu’au nom de leur propre sécurité. Aussi, ils assumeront le cas échéant eux-mêmes, d’autorité si j’ose dire, cette importante tâche, mais en nous en faisant évidemment payer le prix politique.

J’insiste, Mesdames et Messieurs, pour qu’on s’enlève de la tête l’illusion consistant à imaginer qu’il n’y aura plus jamais de guerre conventionnelle ou qu’une guerre conventionnelle n’impliquera plus de moyens aériens. Au siècle passé déjà, plusieurs analystes avaient imaginé que la guerre ne serait plus qu’une affaire de dissuasion nucléaire. Ils se sont complètement mépris, puisque nous constatons aujourd’hui que des conflits tout à fait classiques éclatent ou perdurent toujours aux quatre coins de la planète.

Notre rencontre étant placée sous le signe de l’indépendance, un parallèle s’établit spontanément entre les dangers de l’angélisme et la volonté affirmée de conserver les moyens d’exercer notre souveraineté, dans l’espace aérien comme ailleurs, et de refuser ainsi que le principe de neutralité puisse être violé par des acteurs extérieurs.

Nous sommes libres de considérer que la stabilité et l’essor de notre pays résultent prioritairement de l’éducation et de la formation, qu’ils se construisent autour d’un système social et économique au diapason l’un avec l’autre, ou qu’ils se consolident au contact d’une démocratie vivante. Ces arguments sont parfaitement audibles, mais la politique ne doit pas être qu’un concours d’idéaux : la stabilité et l’essor de notre pays dépendent d’abord et avant tout d’un environnement sûr, seul garant de notre indépendance.

Sans sécurité, Mesdames et Messieurs, notre pays ne pourrait en effet pas regarder vers demain, pas créer, ni bâtir, ni assurer de relève prometteuse. Sans sécurité, nos choix seraient dictés par les seules circonstances, comme dans la plupart des pays en crise ou en dictature. En clair : sans sécurité, il n’y aurait plus de liberté.

La sécurité, cependant, n’est pas qu’une affaire militaire. L’utilité de notre armée se mesure ainsi à l’aune d’événements civils également. L’an passé, nous sommes intervenus à ce titre, dans les Grisons et au Tessin notamment, afin d’y circonscrire d’importants incendies, et à Bondo aussi à la suite d’un glissement de terrain qui a marqué l’actualité. Les catastrophes naturelles font aujourd’hui malheureusement partie intégrante de notre quotidien et elles nécessitent des interventions de grande ampleur que les moyens humains et logistiques de notre armée sont pratiquement les seuls à pouvoir assurer.

On le voit, notre politique de sécurité se trouve face à un tableau en constante évolution. Aux menaces conventionnelles d’hier s’ajoutent désormais les débordements de la nature, l’expression inquiétante et mouvante d’un terrorisme aux aguets, ou encore les actions hostiles qui sont menées sans relâche dans le cyberespace. Cela vient confirmer ce que je vous disais précédemment : la sécurité, à quelque niveau qu’elle s’administre, ne peut plus être focalisée sur un objectif unique. Nous sommes désormais engagés sur une voie fortement ramifiée, qui nécessite des méthodes fines et multiples d’appréciation et d’intervention. Celles-ci doivent privilégier l’anticipation, le sang-froid, les compétences, le réalisme et la collaboration au sens large, mais dans le souci bien compris de nos propres intérêts.

La grande versatilité que nous percevons sur le plan international, l’incroyable évolutivité du climat politique et économique, l’accélération spectaculaire, parce que numérique, de notre rythme de vie appellent des réponses sécuritaires que nous ne pouvons laisser s’élaborer sous le coup de lubies, de phobies ou de caprices. Nous nous trouvons face à des situations changeantes, à des menaces complexes, variables, intenses, qui appellent de notre part une approche évidemment résolue, consistant prioritairement à refuser de se laisser surprendre, mais par l’application de solutions à la fois réfléchies, souples et adaptables.

Je l’admets volontiers : ce n’est pas un exercice facile, en raison notamment du fait que les apparences géostratégiques sont ambivalentes. Dans un tel contexte, quel regard porter sur les affaires du monde ? Verrons-nous plutôt un Etat islamique apparemment vaincu ou ses dangereux zélotes sur le chemin du retour vers l’Europe ? Verrons-nous le Kim Jong-Un qui fait décoller des fusées ou celui qui fait mine de tendre la main à son homologue du Sud ? Verrons-nous la position extrêmement défensive d’une Russie millénaire qui cherche à se préserver, ou au contraire un pays qui excelle dans l’art de la cyberagression ? La perception des choses, on le voit, n’est pas uniforme ; elle doit par conséquent nous conduire à des stratégies flexibles.

Il a précisément été beaucoup question de cybermenaces l’an dernier, en particulier dans les médias et dans les milieux politiques intéressés. Cette actualité n’est pas le fruit du hasard : le nombre et la virulence des cyberattaques sont tout simplement spectaculaires, mais assurément pas au point d’oblitérer les autres dangers. Les menaces ne se remplacent pas les unes les autres : elles s’additionnent au contraire. Et c’est à nous, à travers la politique de sécurité que j’évoquais, d’en apprécier les probabilités de survenance. Par conséquent, gardez-vous d’imaginer que les ordinateurs se substitueront aux fusils et les informaticiens aux fantassins. C’est bien plutôt vers une complémentarité de nos effectifs que nous devons tendre aujourd’hui.

La politique de sécurité, Mesdames et Messieurs, n’est pas un hochet du Conseil fédéral : c’est un outil on ne peut plus sérieux qui détermine nos choix de stratégies et de défense nationale. A ce titre, le renouvellement de l’équipement des forces aériennes n’est pas le fruit d’une marotte politique ; c’est le résultat d’une analyse extrêmement fouillée qui a abouti à la conclusion qu’une protection efficace de la population suisse dépend effectivement de la sécurité de notre espace aérien. De même, si notre armée engage dès cette année – et jusqu’ici avec succès – l’une des plus profondes réformes de son histoire, ce n’est pas pour le plaisir de mettre l’institution au régime. C’est parce que le gouvernement et le Parlement ont considéré que cette métamorphose était requise par la nature des effectifs à disposition et des missions qui sont susceptibles de leur être confiées. Pourquoi vouloir une armée plus réactive, mieux formée, mieux ancrée régionalement, mieux équipée, sinon parce que nous sommes convaincus que ce sont les caractéristiques de l’armée qu’il nous faut pour affronter les importants défis sécuritaires de notre temps et pour assurer une défense nationale digne de ce nom ?

Je dois tout de même souligner que nous évoluons dans un contexte budgétaire aride, même si les chiffres peuvent laisser penser le contraire. Pour les mettre en perspective, je rappellerai que la défense nationale, pour la Confédération, c’est un budget de 4,9 milliards de francs pour 2018, l’agriculture 3,7 milliards, l’éducation 7,8 milliards et la sécurité sociale… 22,7 milliards !

Rapportées à notre PIB, nos dépenses militaires n’en représentent qu’un pauvre 0,7%, ce qui classe la Suisse entre la République dominicaine et la Jamaïque, quand ce chiffre est à peu près le double, en moyenne, dans l’Union européenne.

Je ne fais pas cette comparaison avec ironie et ne me lamente pas davantage de cet état de fait, puisque des économies sont demandées à tous les secteurs de l’administration fédérale. Nous devons donc y voir moins une source de frustration qu’une incitation à prioriser encore mieux nos objectifs, à gérer encore mieux nos moyens et à optimiser encore plus nos potentiels, sans trop accorder d’importance aux opinions le plus souvent antagonistes qui s’expriment dans la classe politique.

Mesdames et Messieurs, chers amis de l’UDC, la Suisse doit sa prospérité à une multiplicité de facteurs allant de la solidité de son ordre juridique à la continuité de ses institutions en passant par un niveau de formation élevé, une économie dynamique et innovante, et des infrastructures fiables. La Suisse, pour le dire franchement, est un pays où les choses roulent, et c’est là un constat indiscutable.

Cela ne doit pas pour autant nous faire oublier ce que notre qualité de vie, élevée, doit à la sécurité au sens strict du terme. Ne croyez pas ceux qui prétendent qu’elle contrarie la liberté : la sécurité n’est pas le répulsif de nos libertés ; elle en est le préalable, comme elle est le préalable à la justice, à la démocratie et à l’indépendance de notre pays auxquelles nous sommes toutes et tous, membres de l’UDC, profondément attachés. Certes, la sécurité ne stimule pas la vigueur de nos institutions, mais elle crée néanmoins les conditions favorables à cette vigueur. Ce n’est pas tout à fait rien pour un pays qui est au bénéfice d’une longue et riche histoire, qui peut se targuer d’une stabilité incomparable et qui est en droit d’accomplir fièrement sa destinée.

Notre agréable rencontre m’offre l’occasion de rappeler l’importance de nos responsabilités communes à cet égard, ainsi que celle de nos engagements individuels dans l’exercice de nos devoirs de citoyen. Le maintien de la sécurité est l’un d’entre eux.

Je souhaite prospérité à cette terre neuchâteloise si hospitalière – même si cet adjectif est à double entente dans cette belle région des Montagnes –, et je souhaite plein succès à chacune et à chacun d’entre vous dans ses accomplissements personnels et professionnels.

Je vous remercie de votre attention.


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