31. Buch- und Pressesalon in Genf

Genf, 26.04.2017 - Rede von Bundesrat Alain Berset anlässlich der Eröffnung des 31. Buch- und Pressesalons in Genf. Es gilt das gesprochene Wort.

Dans un court récit paru dans les années 1930*, l'écrivain hongrois Deszö Kosztolanyi imagine l'histoire d'un voleur qui se voit offrir à sa sortie de prison un travail de traducteur de romans policiers. Mais l'expérience tourne court, car l'on s'aperçoit assez vite qu'il ne peut s'empêcher de faire disparaître dans ses traductions, comme s'il les dérobait, toute une série d'objets figurant dans la version originale. Qu'il s'agisse de lustres de cristal, de colliers et de bijoux ou, plus simplement même, de valises, de mouchoirs et de cure-dents.

Tant et si bien que l'œuvre traduite perdait toute valeur littéraire dans cette nouvelle version affadie, délestée de nombreux mots.

Cette amusante nouvelle peut se lire comme la métaphore d'un danger qui nous menace, mais dont on peine à mesurer l'importance : la disparition des mots. Un phénomène moins remarquable sans doute que l'extinction des espèces animales, mais non sans conséquence dès lors qu'il entraîne la simplification du vocabulaire et conduit à la paupérisation des idées.

Pour enrayer ce processus de désintégration du langage, il faut aimer les mots avec la ferveur des défenseurs de la nature, les chérir, les collectionner à la manière de Marcel Pagnol qui, tout petit enfant, adorait déjà « grenade, fumée, bourru, vermoulu et surtout manivelle »*.

Il faut lire et entretenir le plaisir de lire.

Car plus on connaît de mots, mieux on comprend les choses.

Dans un monde devenu frénétique, où les slogans font office de littérature et Twitter de nouvelle Pléiade, grande est la tentation d'économiser ses mots pour, croit-on, penser plus vite et mieux.

Or, on ne fait ainsi qu'uniquement parler plus fort.

Celui qui dispose d'un langage borné à l'essentiel développe en effet d'autres moyens de faire passer ses idées et c'est bien souvent la force ou la violence qui lui servent d'interprètes : « Coups de poings sur la table, roulement d'yeux, tapages de pieds, blasphème, sont les arguments de ceux qui n'en n'ont pas », disait Félix Leclerc, grand poète québécois.

« Folkloriquement » réputé pour ses érables, ses caribous ou ses étendues gelées sur lesquelles on ne se déplace qu'à l'aide de cannes, le Québec est aussi et surtout un très grand producteur de mots, probablement le principal exportateur de néologismes francophones.

Il offre de ce point de vue un parfait contre-exemple au désolant processus de désintégration que je viens d'évoquer.

Elle est en effet bien moins riche de neige que de mots, cette Belle Province qui n'a jamais cessé de revendiquer sa liberté en textes et en chansons. Jusqu'à faire naître dans le cœur de ses citoyens un très fort sentiment de patriotisme littéraire, que l'on a également pu ressentir chez nous, notamment dans le Jura durant les années où celui-ci luttait pour accéder à son indépendance.

La langue du Québec a su se réinventer par rapport à l'anglais en le francisant et c'est cela qui explique tout à la fois sa particularité et sa beauté.

Avec le développement d'Internet et l'apparition des nouvelles technologies, les Québécois sont même entrés dans une aire de francisation industrielle, qui atteste d'une créativité sans faille, distillée avec humour souvent par les joyeux membres de l'Office québécois de la langue française, qui sont bien plus que des Académiciens français en anoraks.

On leur doit depuis quelques années le mot « courriel », généralement admis sous nos latitudes et qui a joliment remplacé le « mail » dans nos boîtes aux lettres virtuelles. Un peu moins usité, mais plus parlant : son dérivé « pourriel », francisation du « spam », qui donne une idée assez
claire du plaisir occasionné par la réception d'un tel message. Une réception qui, sachez-le, aura été le fruit d'un « pollupostage ».

Plus appréciés que les « pourriels », les « podcasts » s'écoutent pour leur part en « baladodiffusion ». Quant à la discussion de groupe sur Internet, elle n'est plus un « chat » : elle s'est transformée en un « clavardage », que Marcel Pagnol n'aurait sûrement pas manqué d'ajouter à sa collection.

Notez enfin que si le mot « selfie » est récemment entré en l'état dans nos dictionnaires, il se décline au Québec de manière assez superbe en « égoportrait ». Un terme qui renvoie à la vanité originelle de ce geste directement né de la multiplication de nos « smartphones », québécoisement rebaptisés « ordiphones ».

Cette francisation s'inscrit à rebours de la globalisation des concepts et de la simplification des schémas de pensée et véhicule au passage un délicieux soupçon d'anti-politiquement correct.

Ce culte des néologismes n'exprime au fond rien d'autre que la passion puissante d'un peuple pour les mots et la langue, qui se remarque tout particulièrement dans l'œuvre toujours innovante des poètes québécois.

Ceux-ci nous permettent ainsi bien souvent, à nous autres européens, de porter un regard neuf sur les choses qui nous entourent : « Chaque
pomme est une fleur qui a connu l'amour
 », écrivait aussi Félix Leclerc à l'intention des déçus de la Science.

Ironie de l'histoire, le succès international rencontré par les écrivains et poètes québécois fait que ce sont leurs mots qui doivent à présent être retraduits en anglais.

Il est important de sauvegarder les mots car c'est toute la littérature qui en profite.

A cet égard, le Salon du livre et de la presse de Genève constitue une immense réserve naturelle que l'on se doit absolument de fréquenter.

On ne pouvait trouver mieux, cette année, que d'y convier le Québec, en cette période de printemps qui voit disparaître la neige et fleurir les livres.

La venue de nos lointains cousins est l'occasion aussi de faire de ce Salon un endroit plus que jamais ouvert sur le monde.

« On n'a pas de tableaux dans le salon, mais on a la fenêtre », aurait probablement conclu le toujours grand Félix Leclerc.

Le traducteur cleptomane.
** La gloire de mon père.


Adresse für Rückfragen

Nicole Lamon, Kommunikationschefin EDI, Tel. +41 78 756 44 49


Herausgeber

Generalsekretariat EDI
http://www.edi.admin.ch

https://www.admin.ch/content/gov/de/start/dokumentation/medienmitteilungen.msg-id-66502.html