500 Jahre Ewiger Frieden zwischen Frankreich und der Schweiz

Paris, 27.09.2016 - Rede von Bundesrat Alain Berset anlässlich der 500-Jahrfeier zum Ewigen Frieden zwischen Frankreich und der Schweiz – Es gilt das gesprochene Wort.

PAIX PERPETUELLE, AMITIES CULTURELLES


a) Introduction

Le génie d'un peuple se mesure à ses inventions.

Amis Français, vous avez su inventer, au fil du temps, la plus belle des langues et votre génie se révèle dans la poésie.

Au tournant du XIVe siècle, alors que s'amorçait la Renaissance, l'un de vos premiers poètes à ne plus être considéré comme un simple trouvère de langue d'oïl, avait déjà écrit ces quelques vers, restés fameux : « Que sont mes amis devenus, que j'avais de si près tenus, et tant aimés ».

Il s'appelait Rutebeuf et c'est sa douleur de voir mourir les amitiés qu'il pleurait là, une douleur que nos deux pays ont décidé un jour de mutuellement s'épargner.

On ne sait pas grand-chose de ce Rutebeuf, sinon qu'il serait né en Champagne, qu'il aurait vécu à Paris et qu'il aurait été pauvre, comme Léo Ferré se plaisait à le chanter. On s'aventure également à penser, car son nom le suggère implicitement, qu'il était vigoureux comme un bœuf.

A cette époque, nous autres Suisses étions précisément bien moins renommés pour notre poésie que pour notre vigueur à en découdre sur les champs de bataille, où nous chargions d'ailleurs sous la bannière du taureau d'Uri. Ce sont ces aptitudes physiques, qu'il me plaît d'imaginer remarquables, qui nous ont permis de nous sublimer pour inventer une arme: la hallebarde. Celle-ci était dotée à son bout, au centre, d'une pointe pour l'estoc, d'un côté, d'un crochet pour happer le cavalier et le mettre à terre, de l'autre, pour le cas où le cavalier restait en selle, d'une hache pour tailler les jambes de sa monture.

Notre singularité ne réside donc pas dans la façon de nous exprimer, mais, comme d'autres produiront plus tard des violons à Crémone, dans notre science de la confection d'outils dangereux à usage multiple. Dont cette hallebarde, encombrant prototype du couteau suisse.

Tout cela revient à dire que le génie suisse, c'est tout d'abord dans « L'Art de la guerre » qu'il s'est révélé, comme Machiavel n'a pas manqué de l'observer dans un ouvrage du même titre.

Que des descendants de ces terribles aux bras noueux, spécialisés dans le corps-à-corps par dépeçage, aient fini par créer la Croix-Rouge et soient devenus d'infatigables promoteurs de la paix en Europe et dans le monde, c'est une ironie de l'Histoire qui traduit une évolution que Darwin peinerait à nous expliquer.

Cette ironie de l'Histoire, elle naît à partir de 1516, avec le compromis passé entre les XIII Cantons helvétiques et François 1er, entériné à Fribourg dans un Traité de Paix dite « Perpétuelle » et par la suite renouvelé à plusieurs reprises.

b) contexte d'une Paix « perpétuelle »

Quelques mots de généraliste sur le contexte dans lequel fut signée cette paix.

Le poète vit de ses rimes, le hallebardier de ses primes.

L'application dont faisaient preuve les contingents helvétiques sur les champs de bataille de l'Europe des XIVe et XVe siècles en faisait une soldatesque prisée : plus ils taillaient et tranchaient, plus, logiquement, on se les arrachait.

A tel point que, faute d'une politique militaire commune, les contingents suisses se retrouvaient parfois dans des camps opposés et il fallait alors composer pour éviter toute confrontation directe, susceptible de fragiliser l'unité nationale naissante.

En 1516, un an après la Bataille de Marignan, où 14'000 d'entre eux tombèrent avec vaillance, les Suisses sont, pour cette raison même, au bord de la sécession. La moitié des cantons, ceux de l'Ouest, avait déjà admis le principe d'une alliance avec le Roi de France et n'avait pas donc pas combattu à Marignan. L'autre moitié, ceux de l'Est et du centre, ne désirait toujours se vendre qu'aux seules coalitions anti-françaises, quitte pour cela à retomber avec vaillance.

Les premiers rallièrent toutefois in extremis les seconds à la cause du Roi de France, ce qui entraîna la signature d'une paix rêvée sans fin et sertie d'une amitié durable.

Pour s'octroyer la fidélité de nos batailleurs aïeux, François 1er consenti à verser 700'000 écus, montant important qui mérite néanmoins ici le qualificatif de prix d'ami.

Le Traité de Fribourg de 1516 permit ainsi tout d'abord à la Suisse d'éviter qu'elle ne se scinde en deux pour des raisons économico-militaires, cela quelques années seulement avant l'avènement de la Réforme qui lui offrira bien vite d'autres occasions d'éprouver la solidité de ses confédérales fondations.

Il lui permit aussi, sur un plan international, d'entretenir de pacifiques et très harmonieuses relations avec la France, qui promettait entre autres, merci à elle, de ne pas « molester par les armes» son petit voisin.


c) relations (culturelles) entre la France et la Suisse

Ces pacifiques et très harmonieuses relations entre la France et la Suisse entamées dès 1516 font sens dès lors qu'elles s'inscrivent dans une Histoire commune plus ancienne encore.

Vos ancêtres les Gaulois et nos ancêtres les Helvètes nous ont en effet transmis un peu de ce sang celte qui coule tout au fond de nos veines et qui, dans un élan de cousinage, a façonné nos caractères, comme les eaux du Rhône ont façonné nos terres.

Vos urbanistes ont inconsciemment perpétué ce lien : il existe à Paris une rue des Suisses et elle débute à la hauteur de la rue d'Alésia, ce qui n'est certainement pas tout à fait un hasard.

Ces considérations cartographiques peuvent sembler pittoresques, elles ne nous font pas moins à penser que notre pays n'avait pas meilleur choix à faire que de lier son destin au vôtre.

Nourrie plus tard par des siècles de cette paix scellée dans le parchemin du Traité de Fribourg, notre amitié culturelle a fini par atteindre son apogée philosophique au XVIIIe siècle, celui dit des Lumières.

C'est à cette époque que nous avons pris goût, ensemble, aux Libertés.

A côté des nombreux penseurs Français, tous plus ou moins locataires au Panthéon, des Suisses ont également contribué à propager la pensée des Lumières. Citons Emer de Vattel et son Droit des gens, Frédéric-César de la Harpe, fameux précepteur de Tsars, ou encore Benjamin Constant et Germaine de Staël, elle-même fille du banquier et ministre genevois de Louis XVI Jacques Necker. Et n'oublions pas Jean-Jacques Rousseau.

A une période charnière de l'histoire européenne, celle précédant la Révolution française, la France et la Suisse ont ainsi cheminé ensemble, en esprit et en littérature.

C'est malheureusement dans la période qui suivit immédiatement la Révolution française que les choses se gâtèrent quand la France suspendit cette Paix Perpétuelle en donnant ordre aux généraux Ménard et Rampon d'entrer en Pays de Vaud au tout début de l'année 1798 (mille-sept-cent-quatre-vingt-dix-huit). C'est ainsi que fut franchie, non pas le Rubicon, mais plus modestement la Venoge.

Incitée par des citoyens vaudois, cette « confraternelle » invasion, au cours de laquelle nos troupes s'affronteront tout de même brièvement, aura finalement le mérite de renforcer l'unité des Suisses en leur imposant une République. Celle-ci au demeurant tout à fait soluble dans l'idée qu'ils se faisaient depuis des siècles de la Démocratie.

Par la suite, l'Acte de Médiation fera entrer la Suisse dans la modernité en la dotant d'institutions politiques neuves et lavera même l'affront fait au Traité de Fribourg, en instituant précisément un temps Fribourg comme capitale.

Après quoi, les relations entre nos deux pays sont entrées dans une ère qui ne semble avoir eu d'autre fin que celle de nous faire réaliser que le Traité de Paix Perpétuelle n'a jamais été formellement dénoncé.

d) mercenaires et artistes : même combat ?

Si l'on se penche sur l'histoire des arts à partir du XIXe siècle, il se serait même tacitement enrichi d'un amendement culturel.

En vertu duquel nous paraissons nous être engagés à vous offrir l'exclusivité des services, non plus de nos mercenaires, mais de nos grands artistes et créateurs. C'est un contingent prestigieux composé entre autres de Félix Vallotton, Alberto Giacometti, Jean Tinguely, Le Corbusier, Arthur Honegger, Nicolas Bouvier, Philippe Jaccottet, Michel Simon ou Jean-Luc Godard qui est ainsi venu soutenir la République française des Beaux-Arts.

Il y a bien là une analogie à faire entre nos mercenaires et nos artistes.

Qu'ils aient été mus par la misère ou guidé par le fantasme d'un ailleurs, tous sont partis découvrir le monde, prouvant de la sorte et presque scientifiquement que l'ouverture d'esprit d'un peuple ne se juge pas à la taille de son pays. Quittant vaches et montagnes, c'est loin de chez eux qu'ils sont allés trouver raison d'exister et c'est dans l'échange culturel qu'ils ont fini par se construire.

Ce voyage, bien d'autres Européens l'ont fait, à une époque où le sens des flux migratoires n'étaient pas le même, cela non plus nous ne devrions pas l'oublier. Une partie de notre « richesse », nous la devons à ces courageux devanciers.

S'il est une personne qui symbolise tout cela, et plus encore le lien profond entre nos deux pays, c'est Blaise Cendrars.

Ecrivain suisse naturalisé français, notre Corto Maltese chaux-de-fonnier a bourlingué sur tous les continents, mais a choisi VOTRE capitale comme port d'attache, qu'il nommait « Paris, Port-de-Mer »*. Il ne s'est pas contenté de vous prêter sa plume : il vous a offert son bras d'écrivain, qu'engagé volontaire au sein de votre armée, il a perdu lors de la grande offensive de Champagne.

C'était le 27 septembre 1915*, il y a très exactement 101 ans aujourd'hui.


f) paix perpétuelle et paix en Europe

Que faut-il retenir du Traité de Paix Perpétuelle, sur un plan plus politique ?

J'évoquais ce goût commun que nous avons des Libertés. En période de troubles et de guerres, les Libertés meurent juste avant les Hommes.

Le Traité de Fribourg de 1516 comprenait précisément des dispositions ayant trait à certaines de ces libertés, notamment celles de commerce et de mouvement. Il réglait en outre les conditions de la libération des prisonniers. Il pourrait bien être le chaînon manquant entre les Conventions de Genève et la Convention européenne des Droits de l'Homme ratifiées par nos deux pays.

D'une certaine manière, ce Traité préfigurait ce qu'allait être l'Europe : une Europe qui ne doit sa paix actuelle qu'au fait que ses fondements sont coulés dans le ciment des accords passés entre tous ses Etats, qui ne font que concrétiser des siècles d'intenses échanges économiques et culturels.

L'on s'aperçoit dès lors que le droit international ou européen n'est pas fait pour nous brimer mais bien pour assurer notre confort et il est essentiel que des générations comme la mienne, qui n'ont jamais connu la guerre, continuent à le comprendre.

Vouloir dénoncer les clauses juridiques qui ont vu grandir l'Europe, ce n'est que servir la cause du nationalisme : l'étude de l'Histoire du XXe siècle nous donne une assez bonne idée des dégâts que cette idéologie ne manque jamais de causer aux Hommes et à la Nature.

Si nous les Suisses sommes très conscients de cela, c'est parce que notre territoire se situe tout au centre du continent, entre la France, l'Allemagne et l'Italie, et que les rapports avec chacun de ces trois états-moteurs de l'Europe nous ont permis de forger notre culture et par là même notre identité.

Autant dire qu'à chaque fois que l'Europe saigne, c'est un peu comme si notre cœur s'était brisé.

e) la Suisse et la France dans l'Europe actuelle

Il peut paraître étrange qu'un représentant officiel de cette Suisse indépendante qui s'est toujours politiquement refusée à l'Europe soit extrêmement attaché aux accords internationaux à l'origine même de cette grande Institution.

Bien que n'étant pas mariés avec l'Europe, les Suisses vivent avec celle-ci en concubinage et chaque accord signé avec elle, ou l'un de ses Etats-membres, doit se lire comme un contrat de fiançailles. La très longue liste de ces contrats de fiançailles tend à démontrer que nous ne sommes peut-être pas des amants fougueux, mais à tout le moins des gens sérieux en quête d'une relation stable et épanouissante.

Je vois en tous les cas dans ce type d'accords comme une lointaine descendance du traité signé entre nos deux pays à Fribourg voici 500 ans et qui nous aura permis de si bien nous entendre.

Et cela malgré l'incident diplomatique survenu en 2007 que par honnêteté je ne saurais enfin taire.

Cet incident, qui aurait pu gravement compromettre les bonnes relations entre nos deux pays, a également eu, coïncidence troublante, un lien direct avec Fribourg.

Je veux bien sûr parler de l'obtention exclusive de l'appellation d'origine contrôlée « Gruyère », octroyée au niveau européen à NOTRE seul fromage, de conception traditionnelle fribourgeoise. Conception au demeurant pensée dans le respect des normes européennes en matière d'isolation, puisque ce fromage ne contient pas de trou.

Cette reconnaissance d'une AOC a, faut-il bien le reconnaître, mis un terme brutal à un accord passé sur ce point entre nos deux pays dans les années 1930.

Mais j'espère sincèrement que vous nous pardonnerez de nous être à notre tour comportés comme des Ménard ou des Rampon dans ce dossier qui nous tenait tout particulièrement à cœur.

Je le précise car, tout comme ce fromage et notre Traité de Paix Perpétuelle, je viens moi aussi de Fribourg.

Les petits détails de l'Histoire ont souvent grande valeur aux yeux des provinciaux.


f) Conclusion

J'en viens à conclure. Je crois finalement que si Darwin était parmi nous, il saurait tout de même nous expliquer comment, troquant l'armure contre le costume gris de comptable, des fantassins aguerris ont évolué pour finir par être des citoyens à cheval sur les principes de paix.

Nous n'avons fait en ceci que suivre le progrès : experts à l'époque dans le maniement de la hallebarde, nous sommes aujourd'hui experts dans le maniement de la plume et notre virtuosité s'apprécie au nombre des accords internationaux signés par notre pays et qui n'ont au fond d'autre but que nous permettre de vivre paisiblement.

La signature du Traité de Fribourg a sans doute constitué l'une des toutes premières étapes de cette improbable mutation, par laquelle nos ancêtres ont appris à devenir, non plus des guerriers, mais des diplomates de tout premier ordre.

Cela, c'est en partie à vous que nous le devons.

La langue officielle de la Diplomatie ayant longtemps été cette « plus belle langue du monde » qu'est le français, cela revient à constater que les génies suisse et français ont fini par se croiser pour faire grandir une amitié culturelle vraie.

Cette amitié vraie, nous l'avions à l'époque imaginée durable : le fait que nous fêtions son demi-millénaire prouve que nous avons su ériger en un art de vivre ensemble ce qui n'était probablement au départ qu'une marque d'attention et de respect.

Lesté du sceau des représentants de la France de la Renaissance et d'une Suisse aux plus de XIII alliances, un parchemin, vieux témoin d'une si longue et belle relation entre nos deux pays, est là qui nous le rappelle.

Ses mots, j'en suis sûr, vieilliront encore très longtemps au plus profond de nous.

Je vous remercie de votre écoute.


* dans Bourlinguer.


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