Grand Prix Tinguely

Freiburg, 03.09.2016 - Rede von Bundesrat Alain Berset anlässlich des « Grand Prix Tinguely » - Es gilt das gesprochene Wort.

Il y a 25 ans, cette place était peuplée comme aujourd'hui, mais les regards ne se tournaient pas dans cette direction. Ils suivaient la procession qui descendait de la rue de Lausanne et emmenait le cercueil de Jean Tinguely vers la cathédrale.

Il faisait beau et chaud ce jour-là : pas la moindre goutte de pluie pour saluer l'artiste des fontaines. Au bord de la route, c'est le silence qui accompagnait le sculpteur du son, celui qui fit entrer le bruit des moteurs au musée. Et le cortège qui progressait lentement semblait vouloir fixer l'instant dans l'immobilité.

L'eau, le bruit et le mouvement : trois éléments majeurs dans l'œuvre de Jean Tinguely, et pourtant complètement absents en cette triste journée du 4 septembre 1991.

Il en fallait de l'audace pour organiser un tel évènement avec un si grand décalage. 

Jean Tinguely est né le 22 mai 1925, alors que s'éteignait le mouvement DADA, dont nous fêtons cette année le centenaire et dont il se réclamait. Il y avait bien de quoi.

Tout chez lui était DADA : son humour, sa créativité iconoclaste, sa moustache « dalinienne», jusqu'à ce détail particulièrement dandy : un élégant foulard noir à pois blancs par-dessus le col de son bleu de travail. L'artiste Jean Tinguely était un personnage et il lui fallait un costume bleu-noir-et-blanc qui rendît hommage à la figure du père, ouvrier fribourgeois.

C'est petit enfant qu'il a quitté Fribourg pour rejoindre ce père désormais installé à Bâle, mais il me plaît de penser qu'il a toujours conservé un lien émotionnel avec Fribourg en s'évertuant à prolonger et à entretenir le temps de l'enfance.

L'enfance se lisait en lui comme dans un livre d'image. Elle se nichait dans son regard espiègle qui frisait plus encore que sa moustache, dans son attitude volontiers frondeuse, dans ses colères enfantines, dans les taches vives de ses tableaux, dans la ronde de ses premières machines, conçues pour dessiner à la manière des gosses ou shooter dans des ballons en plastique multicolores.

On comprend que ses amis n'aient pu faire autrement que l'appeler, toute sa vie durant, « Jeannot ».

Le succès de Jean Tinguely à travers le monde s'explique par cette faculté qu'il avait de nous fasciner et de nous émerveiller sans cesse.

Il n'est pas étonnant que le meilleur exégète de son œuvre ait précisément été un enfant. Cet enfant qui, en 1983, décrivait à la radio la fameuse « Fontaine aux Automates » de la Place Igor Stravinsky, à Paris, tout à côté du centre Pompidou. Il détaillait l'installation en inventant toute une histoire merveilleuse, reliant les machines et les sculptures entre elles avec la logique implacable des gens de son âge. Selon lui, « le serpent avait peur d'être tué par le lion alors il tournait sur lui-même pour lui faire croire qu'il était une statue». Et «le poisson qui nageait dans l'eau avait trouvé un cœur et l'avait emmené pour ses amis».1

D'authentiques fables de la fontaine !

Les rouages du cerveau de ce gamin carburaient au même rythme que les machines de Jean Tinguely et leur poésie s'accordait totalement.

Je crois au fond que l'œuvre de Jean Tinguely est universelle parce que, comme les aventures de Tintin, elle s'adresse aux enfants de 7 à 77 ans, ou de 6 à 66 ans s'il fallait prendre en compte son âge au moment de sa disparition.

Si l'œuvre de Jean Tinguely parle aussi à tous les anciens enfants, c'est probablement parce qu'elle est politique et qu'elle a été façonnée dans le matériau le plus noble qui soit : l'humour.

En dadaïste radical, Jean Tinguely n'aura cessé de dénoncer l'absurdité du monde et ses machines ne faisaient au fond rien d'autre que rire bruyamment.

J'aimerais citer deux de ses réalisations parmi les plus politiques.

Le 21 septembre 1962, Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle sont dans le désert du Nevada pour présenter « Etude pour une fin du monde no 2 ». Un assemblage de machines tournantes qu'ils font exploser à la dynamite. Dynamite, qu'ils avaient « prudemment » pris soin d'emporter en bagage à main dans l'avion pour ne pas qu'elle explose dans la soute. Comment ne pas voir dans cette fanfaronnade pyrotechnique, orchestrée sur le lieu même des essais nucléaires américains, une féroce critique de la course à l'armement qui affolait alors le monde ? C'était en effet le temps de la Guerre Froide et le spectacle présenté par nos deux artistes était totalement d'actualité. Voire même prophétique si l'on considère que la crise des missiles de Cuba, point d'orgue des tensions internationales, allait éclater moins de trois semaines plus tard.

Jean Tinguely a également fait la satire de notre société de consommation.

Une de ses dernières œuvres et non des moindres est le « Retable de l'abondance occidentale et du Mercantilisme totalitaire » que l'on peut admirer à l'Espace Tinguely - Niki de Saint Phalle. Par son côté grotesque, cet imposant amoncellement d'objets hétéroclites et de jouets d'enfants dénonce le fait que le gaspillage soit devenu le moteur absurde de nos existences. On ne saurait lui donner tort, à lui dont l'art était entièrement fait de matériaux recyclés, prélevés dans les décharges et auprès de ferrailleurs avec lesquels il lui arrivait parfois de se fâcher à propos du prix !

Cette récupération des matériaux, c'est ce que Jean Tinguely appelait non pas le système D, mais le «Système Duchamp», du nom de celui qui fut l'un de ses mentors.

Neuf œuvres de Jean Tinguely figurent dans le catalogue de la collection d'art de la Confédération, mais Fribourg a la chance immense de posséder quelques-unes de ses plus belles réalisations.

Comme, bien sûr, la « Fontaine Jo Siffert », ce magnifique bassin agrémenté de roues géantes en constante situation d'aquaplaning.

Une sculpture dont le destin continue à alimenter les débats, preuve que l'esprit provocateur de Jean Tinguely est encore bien vivant. Cette fontaine est un hommage à l'amitié, qu'il plaçait sans doute au-dessus de tout. Elle est aussi une belle évocation de la Formule 1, son sport favori, spectacle bruyant et tournant qui présentait assurément le plus de caractéristiques communes avec son art.

La « Fontaine Jo Siffert » a permis à Fribourg de faire plusieurs fois le tour du monde en voyageant au verso des cartes postales.

Jean Tinguely a connu un si grand succès international qu'il a finalement été contraint de changer de nom. De « Tinguely », il est devenu « Tinne-Guély ».

Cette prononciation fait un peu mal aux oreilles des Fribourgeois, mais elle fait la fierté des chaînes et des machines dont elle reproduit d'une certaine manière le cliquetis.

Enfant génial de Fribourg, Jean Tinguely s'est éteint dans la nuit du 30 au 31 août 1991 à l'Hôpital de l'Ile à Berne, entouré de ses proches.

Lui qui voyait la mort comme la panne totale et la métaphore de l'achèvement de son art, il s'en est allé, paisible, bercé par le bruit des machines.

Pouvait-il en être autrement ? 

1 Entretien avec Pierre Descargues, CD édité par le Musée Jean Tinguely à Bâle.


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