6e Réunion régionale européenne de l'Organisation Internationale du Travail Genève, 12-15 décembre 2000
COMMUNIQUE DE PRESSE / Berne, le 12.12.2000
6e Réunion régionale européenne de l'Organisation Internationale du
Travail
Genève, 12-15 décembre 2000
Discours de Monsieur Pascal Couchepin,
Conseiller fédéral,
Chef du Département fédéral de l'économie
Genève, 12 décembre 2000
Seule la version orale fait foi
Embargo: 12 décembre 2000, 11h00
Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur général,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Excellences,
C'est un grand honneur pour moi de participer à cette séance
inaugurale de votre 6e Réunion régionale européenne.
Votre présence à Genève prouve votre attachement à l'Organisation
internationale du Travail tout d'abord. Mais elle enrichit aussi la
Suisse, hôte depuis 1919 de cette prestigieuse institution.
C'est donc avec une profonde reconnaissance que je vous apporte le
salut cordial du Conseil fédéral et du peuple suisse.
Dans Mauvaises pensées et autres, Paul Valery a écrit: "Notre esprit
est fait d'un désordre, plus un besoin de mettre en ordre".
En d'autres mots, l'homme aurait donc deux ennemis: l'ordre et le
désordre.
Le passé de l'Europe donne une certaine image de désordre: conflits
entre nations souveraines, oppositions idéologiques, révolutions
politiques, économiques et industrielles ont fait payer un lourd tribu
à la civilisation européenne.
Mais, dès le milieu du 20e siècle, l'Homme a tiré les leçons du passé
et doté le continent d'institutions politiques qui consacrent la paix
entre les peuples, même si cette réalité est parfois encore précaire.
A cet égard, je relève avec satisfaction que la République fédérale de
Yougoslavie est devenue le 175e Etat membre de l'OIT. Je salue la
présence de ses représentants parmi nous aujourd'hui.
L'Europe sait dorénavant tirer sa force de la paix retrouvée et de la
diversité de ses cultures. L'ordre règne sous les auspices de l'Union
européenne en voie d'élargissement, du Conseil de l'Europe, de l'OSCE.
Mais la conscience sociale du monde et de l'Europe reste placée sous
les auspices de l'OIT.
Je tiens à remercier l'OIT et son Directeur général, Monsieur Juan
Somavia, pour son combat en faveur de la justice sociale et du travail
décent dans le monde. Monsieur le Directeur général, vous avez su
sauvegarder la pertinence de l'Organisation pour tous les pays
européens, qu'ils soient industrialisés ou en phase de transition.
L'ensemble des pays européens et de l'Asie centrale sont touchés par
les processus de libéralisation des marchés et d'ouverture des
sociétés. Les nouvelles technologies de l'information et de la
communication boulversent le monde des affaires et du travail.
La nouvelle économie, la "new economy", n'est pas un phénomène
récent: Les prémisses de la troisième révolution industrielle datent
des années soixante. A cette époque déjà, les opposants au renouveau
critiquaient les nouvelles technologies naissantes. Même au cours des
années nonante, le livre "The end of work" fut un succès.
Les nouvelles données de l'économie entraînent un nouveau langage,
langage que je suis heureux de retrouver dans le rapport du Directeur
général pour notre réunion:
1 Le domaine des technologies de l'information et de la communication
est un vecteur de la croissance actuelle. Il crée des places de
travail hautement qualifiées.
2 Les nouvelles technologies sont une chance aussi pour les pays en
transition. D'une part, leurs systèmes d'éducation leur permet de
surmonter le "clivage numérique" (digital divide) et, d'autre part,
les nouvelles technologies permettent la réallocation de certaines
activités sur leur territoires.
3 Les Etats qui s'opposent au progrès technologique doivent renoncer à
des gains de croissance substantiels. La nouvelle économie induit une
productivité accrue qui, elle, permet une augmentation des salaires
réels.
Deux questions se posent à nous :
Pourquoi l'Europe peine-t-elle à engranger des gains de croissance
comparables à ceux enregistrés aux Etats-Unis depuis une décennie ?
Comment les Etats-Unis, dont on soulignait la perte de pouvoir
économique à la fin des années 80, ont-ils acquis aujourd'hui une
telle puissance économique et politique?
La réponse à ces questions repose sur un constat : les Etats-Unis sont
ouverts à l'innovation et à la technique.
Les Etats-Unis sont le leader mondial en matière de technologies de
l'information et de la communication. La future révolution
technologique - celle de la biotechnologie -y prend une place
prépondérante.
L'objectif est maintenant d'utiliser ces révolutions technologies à
des fins de progrès social, à la création de nouvelles places de
travail. A titre d'exemple, en Suisse, le peuple a, à plusieurs
reprises, repoussé des initiatives populaires qui tendaient à
restreindre la recherche, notamment le génie génétique. Ce faisant, il
a assuré la maintien et la création de futures places de travail
hautement qualifié, au sein des entreprises concernées.
Pour l'Europe, l'enjeu est très important. La simple ouverture
d'esprit ne suffit pas à assurer le succès.
Ce qui est en jeu pour nous, Européens, c'est notre futur économique,
notre prospérité, notre succès dans la poursuite d'un modèle social
européen. Seule une Europe qui gagne économiquement et socialement
servira de modèle pour d'autres régions du monde.
Pour relever ce défi, l'Etat et les partenaires sociaux doivent
redéfinir leurs rôles respectifs et collaborer sur de nouvelles bases.
L'Etat:
La fonction centrale de l'Etat est de fixer les conditions cadre au
fonctionnement de l'économie et de la société. Ces conditions cadre
ont pour mission d'indiquer une orientation en matière de mutations
économiques.
Elles déterminent, par exemple, la mission assignée au service public,
que celui-ci soit l'œuvre de prestataires publics ou privés. L'offre
de biens publics communs garantie par le service public revêt une
importance particulière ce sont la sécurité (y compris la sécurité
sociale), la promotion du partenariat social (comme pilier de la
démocratie et comme facteur de résolution de pacifique des conflits)
et l'éducation.
L'éducation et la formation occupent une place croissante dans la
société du savoir. Dans nos sociétés, l'alphabétisation ne signifie
pas seulement savoir lire et écrire. A l'époque des technologies de
l'information et de la communication, l'alphabétisation signifie que
nos écoles doivent être capables d'enseigner, à tous les niveaux, les
connaissances pour maîtriser l'informatique. L'Etat devra consentir
des investissements considérables pour relier nos écoles au "Global
web" et pour former les enseignants. C'est là que résident nos
investissements pour le futur.
Comme employeur enfin, l'Etat doit former ses employés à la
globalisation. Il est nécessaire de leur offrir les meilleures chances
pour permettre des échange entre économie privée et secteur public. Le
peuple suisse a accepté d'affranchir le personnel fédéral du statut de
fonctionnaire, permettant ainsi aux pouvoirs publics de se profiler
comme un employeur moderne, compétitif et conscient de ses nouvelles
responsabilités.
Les employeurs:
La globalisation des années nonante a porté une nouvelle volée de
dirigeants aux commandes de l'ancienne et de la nouvelle économie. Ce
sont les gagnants du "Village Global virtuel". Mais gagner n'est pas
un but en soi. Cela implique la prise en charge de responsabilités de
politique sociale pour convaincre les populations du sens d'une
économie et d'une société ouvertes.
Tant au plan national qu'au plan international, les employeurs doivent
participer à la réflexion sur la mise en place de règles sociales
minimales. C'est pourquoi la présence de nombreux dirigeants de
l'économie privée est indispensable pour réussir le Forum mondial sur
l'emploi de l'OIT en 2001. De même, les employeurs doivent soutenir
les mise en œuvre du "Global Compact" du Secrétaire général des
Nations Unies, pour leur permettre, ainsi qu'aux consommateurs, de
joindre leurs efforts pour assurer un travail décent dans le monde.
Les syndicats:
Le rapport du Directeur général nous montre combien la globalisation
met les syndicats sous pression.
Premièrement, les conflits du travail peuvent conduire au déplacement
de la production à l'étranger, ce qui, dans une économie ouverte,
n'est pas forcément un instrument efficace.
Deuxièmement, les syndicats sont victimes de l'individualisation
croissante du travail. Les technologies de l'information et de la
communication, le télétravail et l'"outsourcing" favorisent le travail
en solitaire. Ce phénomène est potentiellement dangereux, car
l'instinct de solidarité s'amenuise.
Ces développements sont porteurs d'un danger, car la globalisation a
besoin de syndicats forts. Elle exige des solutions négociées et
souples, sans attendre celles du législateur national ou
international. Les compromis nécessaires au partenariat social ne
peuvent être trouvés avec des syndicats qui doivent lutter pour leur
survie. Pour cela, les syndicats doivent offrir de nouvelles
prestations dans des domaines tels que la formation, le perfectionnent
professionnel, le conseil juridique dans tous les domaines de la vie
sociale. Ces nouvelles prestations doivent redonner de la force aux
syndicats.
L'OIT aussi doit faire face à de nouveaux défis.
Les problèmes soulevés par la globalisation nécessitent des réponses
et des solutions au niveau global. Déréglementer au niveau national
rend nécessaire un renforcement de la réglementation internationale
dans les domaines où cela est nécessaire. L'OIT a ici un rôle majeur à
jouer.
A cet égard, je constate avec satisfaction que la réforme de la
politique normative de l'OIT, annoncée par le Directeur général en
juin 1999, je l'avais soutenue il y a une année dans le cadre du Forum
des entreprises, est sur la bonne voie. Je tiens à féliciter les
acteurs tripartites de cette réforme, mais avant tout le Directeur
général et le BIT.
Mais l'OIT ne peut être réduite à sa seule politique normative. Le
Groupe de travail sur la dimension sociale de la mondialisation fait
de l'OIT l'unique plate-forme où l'ensemble des acteurs (y compris
l'OMC et les institutions financières) discutent des questions
internationales de développement social et économique. L'OIT devrait
renforcer ce groupe de travail, par exemple en y incluant une approche
intégrée en matière de commerce, d'investissement et de conditions de
travail.
Pour aider les Etats à mettre en œuvre des politiques de l'emploi
concordantes, l'OIT doit pouvoir compter sur le soutien de tous pour
le Forum mondial sur l'emploi de 2001. Enfin, l'OIT doit pouvoir
renforcer ses moyens de coopération technique pour être en mesure de
proposer des nouvelles solutions, par exemple en matière de politique
migratoire.
Conclusion
Notre but est de réaliser tous ensemble un «Village Global» ouvert,
moderne et social, au sein duquel l'Europe sera capable de donner une
impulsion aux autres quartiers du «Village Global».
Après les désordres et les totalitarismes du 20e siècle en Europe,
notre destin commun est de devenir un modèle. Nous devons essayer de
créer des règles qui garantissent un certain ordre.
N'ayons donc pas peur de contredire Paul Valéry: mettons-nous au
travail pour que l'ordre et le désordre ne soient pas des ennemis pour
l'homme, mais qu'ils soient leur ami, une force créative au service du
«Village Global».
Merci à l'OIT de nous permettre de créer avec tous les quartiers du
«Village global» une véritable économie mondialisée à visage humain.
Je souhaite bonne chance et plein succès à votre Réunion, et je vous
remercie de votre attention.