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CONFOEDERATIO HELVETICA
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La réforme constitutionnelle: Point de la situation et orientations

Seul le discours prononcé fait foi

La réforme constitutionnelle: Point de la situation et orientations

Discours commémoratif du Conseiller fédéral Arnold Koller
à l'occasion du 30e anniversaire du Forum Helveticum

Restaurant zum Äusseren Stand, Berne, 28 mai 1998

1	Introduction
Le Forum Helveticum fête son 30e anniversaire. Je vous en félicite
chaleureusement. Lors de la fondation de votre organisation, vous vous
étiez proposé d'encourager la discussion dans notre pays sur des thèmes
sociaux fondamentaux et actuels. Force est de constater, au vu des
activités que vous avez déployées depuis lors, que vous êtes parvenus à
vos fins. Je souhaite au Forum Helveticum de pouvoir, à l'avenir
également, mener à bien son importante mission.
De toute évidence, le nom que vous avez donné à votre société entend
susciter certaines associations d'idées. Dans la République romaine, le
Forum Romanum était, c'est bien connu, le lieu principal de la vie
publique, l'endroit du commerce, mais aussi de l'échange d'idées
politiques et des assemblées populaires. C'est au forum que le citoyen
était sensibilisé à la res publica, soit selon Cicéron à la chose du
peuple qu'unissent le droit reconnu et l'utilité commune.
Le Forum Helveticum est lui aussi une sorte de marché des opinions qui,
à ce titre, joue un rôle important dans le développement de la culture
politique suisse. Notre pays précisément, qui ne possède pas d'espace
linguistique et culturel uniforme, est particulièrement tributaire du
dialogue politique. Ce pays, dont la démocratie impose aux forces
politiques majeures la concordance sur des questions essentielles, a
besoin du dialogue constructif. Je vous encourage donc aujourd'hui à
poursuivre une mission de 30 ans, et ce à une époque où la coexistence
est devenue plus difficile même chez nous.
Voici déjà quelque 30 ans que durent également les efforts de révision
totale de la constitution fédérale. Ils ont induit un vaste débat qui a
eu ses répercussions jusque dans les cantons et même au-delà des
frontières nationales. Après bien des hauts et des bas, il y a de bonnes
chances que l'Assemblée fédérale parvienne, en cette année commémorative
de la fondation l'Etat fédéral, à approuver la réforme
constitutionnelle, tout au moins sa première partie - la mise à jour -
et la réforme de la justice. Cela étant, je souhaite tirer parti de
cette commémoration pour vous informer des objectifs de la réforme et de
l'état des travaux.

2	Portée et conception de la réforme constitutionnelle
Quand on parle de réforme constitutionnelle, il surgit rapidement la
question de sa nécessité. Or la réponse à cette question n'est pas
évidente pour tout le monde. Cela tient au fait que l'on se plaît à
surestimer ou à sous-estimer la portée politique de la constitution.
Pour mesurer la nécessité de cette réforme, il convient de s'attarder
sur une particularité de notre constitution fédérale, qui a ses racines
dans notre démocratie directe. Par rapport aux constitutions d'autres
pays, la nôtre joue un rôle particulier dans le processus qui conduit à
la prise de décisions politiques. L'un des principaux instruments de la
démocratie directe est sans doute l'initiative populaire associée à la
possibilité offerte au Conseil fédéral et à l'Assemblée fédérale de
présenter un contre-projet. Il en résulte que la recherche de solutions
consensuelles et de compromis pour résoudre des questions concrètes de
politique d'actualité se déroule fréquemment au niveau de la
constitution. Ainsi, pour ne citer que quelques exemples récents, la
politique agricole, la politique sociale, la politique énergétique ou
celle en matière de transports ont toutes obtenu leur orientation à
l'échelon constitutionnel. D'ailleurs, et cela est assez symptomatique,
les trois objets soumis à la prochaine votation populaire du 7 juin
relèvent tous du droit constitutionnel.
Le rôle particulier que joue la constitution dans la pratique
quotidienne de la politique a toutefois son revers. Les quelque 140
révisions partielles de la constitution que le peuple et les cantons ont
approuvées depuis 1874 sont de nature essentiellement ponctuelle. De ce
fait, notre constitution manque de cohérence, ce qui suscite fréquemment
des querelles d'interprétation. Dans les années trente déjà, Walter
Burckhardt estimait qu'il fallait fondre tout ce métal pour en extraire
l'or. En outre, le développement systématique des institutions de l'Etat
s'est avéré insuffisant ces 150 dernières années - songez au Tribunal
fédéral, à l'Assemblée fédérale ou au Conseil fédéral.
Le résultat du processus permanent d'adaptation et de renouvellement
qu'a subi notre constitution laisse donc un sentiment mitigé. D'une
part, la constitution évolue avec le temps et les préoccupations
matérielles qui le caractérisent. Du reste, ce processus est d'une
immense utilité pour l'intégration confédérale, car par le débat
constitutionnel qu'entraînent les objets importants soumis à la
votation, la Suisse se conforte sans cesse dans sa condition de nation
politique. D'autre part, la constitution en vigueur constitue un
amalgame de dispositions particulières au contenu disparate et
introduites à différentes époques. Elle est parsemée d'ambiguïtés, de
discontinuités, d'incohérences et de lacunes. L'important y côtoie le
superflu. L'évolution juridique qui intervient hors de la politique au
quotidien, tel le développement des droits fondamentaux ou du
fédéralisme coopératif moderne, se répercute rarement dans la charte
constitutionnelle. Actuellement, la constitution ne fait à aucun endroit
mention des libertés d'opinion, de réunion ou de la langue. Mais elle
contient en revanche des dispositions sur la finance d'admission au
mariage ou les agences d'émigration et trois pages sur l'alcool, à
croire que nous somme un peuple d'alcooliques. Ce ne sont d'ailleurs pas
uniquement les droits fondamentaux qui se sont développés en dehors de
la constitution écrite. Je citerai comme autres exemples les lents
changements dans les rapports de force entre le Parlement, le
gouvernement et l'administration, de même que nombre de transformations
au niveau du fédéralisme.
Dans un article fort positif consacré à notre démocratie directe, le
célèbre magazine The Economist qualifiait récemment notre constitution
d'"overstuffed cupbord", soit de placard plein à craquer, en raison de
l'usage fréquent qu'il est fait des droits populaires. Cette comparaison
a du vrai, bien qu'il faille préciser qu'outre des rayons surchargés, le
placard en possède encore qui sont complètement vides.
Or, la mise à jour, requise par l'Assemblée fédérale en 1987 et
présentée par le Conseil fédéral, a pour objectif d'éliminer les lacunes
mentionnées que comporte la constitution en vigueur. Cela signifie qu'il
nous faudra intégrer le droit constitutionnel non écrit dans le texte de
la constitution, éliminer les normes constitutionnellement discutables,
clarifier la relation du droit national avec le droit international,
mais aussi débroussailler à nouveau les quatre piliers sur lesquels
repose notre Etat fédéral; à savoir l'Etat de droit libéral, l'Etat
social, la démocratie directe et le fédéralisme.
En d'autres termes, opérer la mise à jour revient à faire le point de la
situation institutionnelle et constitutionnelle. Car il est nécessaire
que le droit constitutionnel en vigueur - "l'acquis suisse" en quelque
sorte - redevienne lisible et intelligible pour les citoyennes et les
citoyens.
Aussi importante que soit la mise à jour pour l'identité de notre nation
et la mise en oeuvre des processus politiques, le Conseil fédéral est
néanmoins convaincu qu'elle ne saurait constituer le point final des
réformes engagées. Il nous appartient en effet de renforcer la capacité
d'action des institutions. L'internationalisation de l'économie et de la
politique exige aujourd'hui la prise de décisions plus rapides. Il est
donc indispensable de donner à temps aux institutions les moyens de
relever les nouveaux défis.
De l'avis du Conseil fédéral, le besoin de réformes constitutionnelles
se fait avant tout sentir au niveau des droits populaires et de la
justice. Il a par conséquent soumis à ce propos aux Chambres fédérales
deux trains de réformes séparés. D'autres projets de réformes
systématiques sont déjà à un stade avancé de préparation ou ont été mis
en chantier. C'est notamment le cas de la péréquation financière et des
institutions de direction de l'Etat. A travers la réforme
constitutionnelle, le Conseil fédéral entend donc aussi poser des jalons
pour l'avenir.
Le peuple et les cantons auront toutefois la possibilité de voter
chacune des orientations, soit chacun des trains de réformes. En
séparant la mise à jour des trains de réformes matérielles, le Conseil
fédéral a créé sciemment un concept politique. Il résultera de la
nouvelle constitution mise à jour une situation initiale claire,
transparente et propice à un processus de réformes ouvert, dont
l'aboutissement n'est définissable ni sur le plan matériel ni dans le
temps.

3	Accueil réservé au concept par les Chambres
Voilà un an et demi, le Conseil fédéral présentait ses propositions au
Parlement. A sa satisfaction, tant les commissions délibérantes que les
deux Chambres ont approuvé, à une grande majorité, le processus
préconisé par le Conseil fédéral.
Concernant ladite mise à jour, le Conseil des Etats est entré en matière
avec une unanimité impressionnante, tout comme d'ailleurs le Conseil
national (153 voix contre 10). Ce dernier aura terminé de la débattre en
juin. Il a généralement été admis que la mise à jour n'est pas un simple
exercice de dégraissage, mais qu'elle consiste inévitablement en un acte
politique. Certes, le Conseil fédéral s'est scrupuleusement efforcé
d'exécuter loyalement et dans la transparence le mandat que lui avait
confié le Parlement, en renonçant à l'introduction dans la mise à jour
d'innovations de nature purement politico-juridique. Mais décider si une
question a ou n'a pas sa place dans la constitution relève précisément
de l'évaluation politico-juridique au plus haut degré. Or une mise à
jour sans reclassements ni déclassements (par ex.: protection des
données et interdiction concernant l'absinthe) n'a aucun sens.
D'ailleurs, la reprise du droit constitutionnel non écrit soulève lui
aussi de nombreuses questions d'évaluation. Il n'est par conséquent pas
surprenant qu'il existe encore entre la version du Conseil des Etats et
celle du Conseil national moult divergences à supprimer.
Les débats menés à ce jour ont d'ailleurs démontré que le Parlement a la
volonté d'introduire dans la constitution actualisée des innovations
consensuelles, notamment en ce qui concerne l'organisation des
autorités. Ainsi, les deux Chambres préconisent-elles qu'à l'avenir la
laïcité ne représente plus une condition d'éligibilité au Conseil
national ou au Conseil fédéral. Et, à l'instar des membres du Conseil
national, un quart des membres du Conseil des Etats pourront également
convoquer une session spéciale.
Ces questions ne sont pas problématiques. Celle en revanche de savoir ce
qu'est une innovation consensuelle est fort délicate. Il s'avère par
exemple que la décision du Conseil des Etats d'abroger l'article sur les
évêchés - considéré comme une vieillerie -  ne laisse pas indifférent de
vastes groupes sociaux et creuse des fossés indépendamment des
appartenances confessionnelles. D'ailleurs en la matière, le Conseil
national ne s'est pas rallié au Conseil des Etats. Bien que la nécessité
de supprimer cette réglementation soit généralement reconnue, il
conviendrait, pour des raisons politiques, de s'y atteler non pas dans
le cadre de la réforme constitutionnelle, mais à l'occasion d'une
révision partielle afin de ne pas mettre en péril l'ensemble du projet à
cause d'une question isolée et très émotionnelle. A vouloir trop en
faire, en introduisant de telles modifications contestées, le cumul des
réflexes helvétiques de défense finira par faire capoter tout le projet.
Il conviendrait donc de ne pas traiter de questions sensibles telles que
l'article sur les évêchés ou la clause des cantons lors de l'élection au
Conseil fédéral dans le cadre de la mise à jour, mais séparément dans
des révisions partielles.
Durant la session de printemps, le Conseil des Etats s'est penché le
premier sur le projet de réforme de la justice. Dans l'ensemble,
celui-ci a été très bien accueilli. La nécessité de procéder à des
réformes en la matière a été généralement reconnue, et la majorité a
approuvé l'orientation choisie. J'ai donc bonne confiance que ce projet
pourra être présenté au peuple sans grandes suppressions.
Par contre, la situation est plus tangente avec la réforme des droits
populaires. Les propositions du Conseil fédéral sont déjà controversées
au stade des commissions de la révision constitutionnelle. Pourtant, il
n'y a pas lieu de s'en surprendre, dès lors que les droits populaires
constituent l'un des éléments-clés de  notre Etat. Je reviendrai
ultérieurement sur les aspects matériels de ces deux trains de réformes.

4	Point de la situation
Comme cela a été indiqué précédemment, actualiser la constitution
fédérale c'est faire le point de la situation tant institutionnelle que
constitutionnelle. Je prendrai deux exemples pour démontrer qu'une telle
mission implique des évaluations pour lesquelles une clarification est
non seulement fort souhaitable, mais aussi inéluctable. Quelques-unes de
ces questions politico-juridiques délicates ayant suscité des
controverses aux Chambres fédérales, elles ont retenu l'attention des
médias.

Interdiction de la discrimination / principe de l'égalité
Je commencerai par l'égalité de traitement. Elle est l'une des garanties
les plus élémentaires de tout Etat de droit libéral. Elle comporte
différents stades ou degrés qu'il convient de distinguer impérativement,
pour éviter les malentendus et les méprises.
Un premier degré est le principe de l'égalité de traitement juridique ou
- vu sous un autre angle - l'interdiction d'opérer des discriminations.
L'article 7 du projet constitutionnel interdit expressément, à son
deuxième alinéa, la discrimination et indique - sans aspirer à
l'exhaustivité - des circonstances et des facteurs qui, de nos jours,
sont fréquemment des causes de discrimination, comme la race, la langue
ou une déficience corporelle ou mentale. Ainsi, la constitution émet en
quelque sorte des avertissements et confère (avec le 1er alinéa) un
droit individuel susceptible d'action en rétablissement dans les droits.
Prévu à l'article 7, 3e alinéa, du projet constitutionnel, le deuxième
degré de l'égalité juridique et effective concerne les rapports entre
femmes et hommes. Il a d'ailleurs conduit à la promulgation de la loi
sur l'égalité. Par analogie, le Conseil national a ajouté à l'article 7
un 4e alinéa dans lequel le législateur est chargé de veiller à
l'égalité de traitement des handicapés. Dans un premier temps, le
Conseil des Etats avait renoncé à introduire un tel mandat. Or sa
commission propose maintenant un compromis invitant la Confédération à
éliminer au moyen de mesures légales les préjudices que subissent les
handicapés.
Le troisième degré enfin accorde un droit direct opposable non seulement
à l'Etat mais aussi aux particuliers. On a affaire ici à la consécration
dans la constitution de l'effet sur les tiers d'un droit fondamental,
appelé aussi effet horizontal. A ce jour, un tel pas n'a été franchi
qu'au niveau de l'égalité de traitement entre femmes et hommes, où le
droit à un salaire égal pour un travail égal s'applique également aux
rapports de travail de droit privé. On a donc également requis un pareil
effet horizontal en ce qui concerne les handicapés. Tant le Conseil
fédéral que les deux Chambres ont rejeté cette proposition. Le projet
constitutionnel n'oblige donc aucun propriétaire à transformer son
immeuble pour le rendre conforme aux besoins des handicapés. Cela
s'avérerait d'ailleurs extrêmement compliqué. Car les juges seraient
bien empruntés s'ils devaient, sur la base d'une disposition
constitutionnelle, définir les mesures architectoniques aptes à garantir
l'égalité de traitement des handicapés. Mais même sans cet effet sur les
tiers, la nouvelle constitution émet un signal politique important en
faveur des personnes de notre société dont certaines capacités sont
déficientes.

Droit des langues
Par les manifestations qu'il a organisées, le Forum Helveticum a
régulièrement favorisé la compréhension entre les communautés
linguistiques suisses. Pour cette  raison, je me servirai du droit des
langues pour illustrer combien la mise à jour de la constitution
contribue, dans de nombreux cas, à clarifier le droit constitutionnel.
Le droit des langues navigue entre la liberté de l'usage d'une langue et
le principe de la territorialité. Mais comment associer ce droit
fondamental qu'est la liberté de la langue avec le principe de la
territorialité qui protège le paysage linguistique traditionnel du pays
contre les modifications artificielles et contre nature ? Dès 1965, le
Tribunal fédéral a érigé la liberté linguistique en droit fondamental,
sous réserve du principe de la territorialité. Ainsi, l'usage de la
langue maternelle est garanti, mais ce droit peut être limité dans les
rapports qu'entretiennent les particuliers avec l'Etat.
Le différend ces dernières années portait sur l'ampleur de ces
restrictions. Plusieurs années de débats au sein des commissions
parlementaires donnaient naissance au nouvel article constitutionnel sur
les langues (art. 116, cst.), que le peuple et les cantons ont approuvé
en 1996. Il en est certes résulté des nouvelles dispositions obligeant
la Confédération et les cantons à encourager la compréhension et les
échanges entre les communautés linguistiques et invitant la
Confédération à soutenir des mesures prises par les cantons des Grisons
et du Tessin pour la sauvegarde des langues romanche et italienne. En
revanche, aucune clarification n'avait été apportée concernant le
rapport entre la liberté linguistique et la territorialité.
Or en la matière, nous sommes en passe de résoudre ce dilemme dans le
cadre de la mise à jour. Dans son projet constitutionnel, le Conseil
fédéral a proposé d'insérer pour la première fois la liberté de la
langue dans le catalogue des droits fondamentaux (art. 15 du projet
constitutionnel) et, parallèlement, de concrétiser le principe de la
territorialité au chapitre sur les compétences (art. 83). Les
commissions de la révision constitutionnelle ont suivi sa proposition
sur le principe, mais en exprimant plus clairement les aspirations des
minorités linguistiques. La précision du principe de la territorialité
par la commission du Conseil national me paraît fort heureuse. En voici
sa teneur qui a été entre temps adoptée par ledit conseil (art. 83a, 3e
al.): "Les cantons déterminent leurs langues officielles. Afin de
préserver la paix des langues, ils veillent à la répartition
territoriale traditionnelle des langues et prennent en considération les
minorités linguistiques autochtones."
L'intégration des minorités linguistiques est primordiale pour la
Suisse, elle en constitue d'ailleurs l'une de ses caractéristiques. En
clarifiant le droit des langues, la nouvelle constitution apporte une
contribution que l'on ne saurait sous-estimer.

5	Orientations
En présentant des trains de réforme systématiques, le Conseil fédéral
entend poser les jalons qui guideront l'avenir. Car si nous souhaitons
maintenir notre capacité d'action, il importe, au niveau des
institutions de l'Etat, de ne pas continuer sur la même voie.

Réforme de la justice
Le besoin de réforme le plus urgent se fait sentir dans le domaine de la
justice. Cette réforme préconise toute une série d'innovations
matérielles importantes pour disposer d'un appareil judiciaire qui
fonctionne. En effet, nos tribunaux suprêmes sont chroniquement
surchargés. Depuis 1978, année où le nombre de juges a été augmenté pour
la dernière fois, passant de 28 à 30, le nombre de nouvelles causes
introduites chaque année auprès du Tribunal fédéral a progressé de 80
pour cent, soit de quelque 3'000 à plus de 5'400. Les tribunaux de
Lausanne et de Lucerne ne sont plus en mesure d'assumer adéquatement
leurs fonctions judiciaires suprêmes qui consistent à sauvegarder
l'unité du droit et à veiller à son développement. Une augmentation
constante du nombre de ses juges en ferait une véritable usine
judiciaire.
Le Conseil fédéral propose trois mesures destinées à décharger le
Tribunal fédéral:
- D'une part, il sera systématiquement placé des autorités judiciaires
en amont du Tribunal fédéral. Ce dernier se limitera ainsi à exécuter un
contrôle judiciaire tout en profitant du filtrage des autorités
inférieures.
- Deuxièmement, il convient d'alléger le Tribunal fédéral des charges
étrangères à sa mission. Les procédures pouvant être directement
introduites devant le Tribunal fédéral seront ramenées à un minimum.
- Le Conseil fédéral espère enfin que des limitations de l'accès au
Tribunal fédéral auront des effets durables. Dans cette optique, une
base constitutionnelle est en préparation.
Mais il est d'autres raisons encore qui rendent primordiale à nos yeux
une réforme de la justice. Ainsi, les justiciables doivent-ils pouvoir
en principe s'adresser à l'avenir à un tribunal indépendant pour tout
litige juridique. La constitution en vigueur ignore une telle garantie
générale de l'accès à un juge.
L'absence actuelle d'une juridiction constitutionnelle concernant les
lois fédérales empêche la citoyenne ou le citoyen de se défendre,
lorsque ses droits constitutionnels sont violés par le législateur
fédéral. Ces lacunes de la protection juridique se font de plus en plus
sentir aujourd'hui, puisque la Confédération réglemente un nombre
croissant de questions. Par conséquent, le Conseil fédéral souhaite
étendre dans une juste mesure la juridiction constitutionnelle - qui
existe vis-à-vis des cantons depuis 1874 - à la législation fédérale:
les lois fédérales seront vérifiables, mais uniquement dans des cas
d'application concrets et par le Tribunal fédéral exclusivement.
Dorénavant, les cantons seront autorisés à attaquer en justice la
violation par le législateur de l'une de leurs compétences
constitutionnelles.
Le Conseil fédéral propose dans l'ensemble de soumettre la juridiction
constitutionnelle à une extension modérée et adaptée aux spécificités de
la Suisse. Il a la conviction de renforcer ainsi les droits des
particuliers, sans que des juges omnipotents puissent mettre en danger
la démocratie. C'est précisément ce que confirme l'expérience acquise en
matière de contrôle des lois cantonales par le Tribunal fédéral. La
liberté du commerce et de l'industrie en est un exemple éloquent. Dans
de nombreux cas, le Tribunal fédéral a pu empêcher que des
réglementations cantonales ne limitent cette liberté de manière
inacceptable.
Le dernier point essentiel de la réforme de la justice est la mise à
disposition des bases constitutionnelles nécessaires à l'uniformisation
du droit de procédure civile et pénale dans toute la Suisse. L'actuel
éparpillement législatif crée une insécurité juridique notable. En
matière pénale, l'efficacité de la lutte contre le crime organisé
international en pâtit. L'uniformisation du droit est d'ailleurs une
mesure que les cantons ont appelée de leurs voeux.
Le Conseil fédéral a la conviction que la réforme de la justice est en
mesure de remettre l'organisation judiciaire fédérale sur des fondements
constitutionnels solides et d'assurer le bon fonctionnement à venir de
nos tribunaux suprêmes.

Réforme des droits populaires
Les propositions de réforme des droits populaires affectent directement
les droits que peuvent exercer les votants. La question est très
délicate, car la démocratie directe est l'une des institutions
identitaires de la Suisse. Il est donc indispensable que le Conseil
fédéral et le Parlement expliquent ouvertement quels en sont le sens, le
but et le contenu. Mais de prime abord, je préciserai une chose: on ne
touchera pas à la démocratie directe, qui est l'une des valeurs
fondamentales de ce pays. Notre souci est davantage d'adapter la
démocratie directe aux transformations de notre époque et d'assurer son
bon fonctionnement à venir. Car les droits populaires n'ont survécu à ce
jour que grâce à leur capacité évolutive.
En Suisse, nous sommes trop souvent appelés aux urnes de nos jours, et
pas toujours pour voter sur l'essentiel. L'idée maîtresse du Conseil
fédéral est par conséquent de permettre de manière plus systématique
qu'à ce jour aux votants de se prononcer sur toutes les questions
politiques importantes. A cette fin, nous proposons notamment une
initiative populaire générale de même qu'un référendum facultatif
administratif et financier. Par ailleurs, un référendum élargi sur les
traités internationaux s'impose, dès lors qu'un nombre croissant de
traités internationaux nous obligent à légiférer et influent sur les
droits et obligations des particuliers.
Cette extension des droits populaires ne se justifie toutefois que si
nous augmentons modérément le nombre des signatures requises pour
entraîner un vote par le peuple. Alors qu'en 1891, il fallait encore
réunir les signatures d'environ 7 pour cent des citoyens actifs pour
faire aboutir une initiative populaire visant une révision partielle de
la constitution, 2,2 pour cent suffisent aujourd'hui. En raison de cette
évolution, le rythme des initiatives et des référendums a presque triplé
ces vingt dernières années. Compte tenu de la cadence élevée des
votations populaires, de nombreux votants peinent à consacrer aux
questions présentées le temps nécessaire et parfois même à en comprendre
le fond. La participation s'en ressent. Or une faible participation
réduit la légitimité des décisions populaires.
Avant d'appeler aux urnes 4,6 millions de citoyens ayant le droit de
vote, la preuve doit être apportée que l'objet proposé suscite un
intérêt réel. Or élevé, comme nous le proposons, le nombre de signatures
requises à 150'000 pour l'initiative constitutionnelle et à 100'000 pour
le référendum est une mesure qui ne saurait être considérée comme
prohibitive. Elle s'avère toutefois nécessaire si l'on veut sauvegarder
à long terme la capacité d'action et l'efficacité de notre Etat.
Une réforme des droits populaires demande à la fois du courage et de la
prudence. Le Conseil fédéral a la conviction que sa proposition est
favorable à l'avenir de la démocratie directe. Mais je sais qu'un grand
travail reste à faire.

6	Conclusion
Mesdames, Messieurs, j'ai tenté ici de tracer les grandes lignes de la
réforme constitutionnelle. A travers l'interdiction de la discrimination
et le droit des langues, nous avons appréhendé les bénéfices que peut
offrir une mise à jour, puisqu'elle clarifie d'importantes questions
constitutionnelles. Les exemples tirés de la réforme de la justice et de
celle des droits populaires ont illustré les jalons que nous souhaitons
poser pour l'avenir de notre pays.
Au-delà des exemples concrets, les deux notions de "point de la
situation" et d'"orientations" sont aussi caractéristiques de la réforme
constitutionnelle. La première étape, l'actualisation, doit nous faire
prendre conscience de ce que nous avons réalisé ensemble au cours des
150 ans de l'Etat fédéral et de ce qui, je l'espère, nous unit
aujourd'hui encore. La réforme constitutionnelle fournit donc une
contribution importante à la cohésion nationale et à la perception que
la Suisse a d'elle-même. Nous disposons ainsi d'une assise solide pour
entreprendre les réformes qui s'imposent.
Je suis persuadé que la Suisse nécessite - outre un travail politique
quotidien - un pareil débat en profondeur et que cette recherche de
l'essentiel et du fondamental constitue un pas en avant.
Au plan de la politique nationale, la réforme constitutionnelle
représente dès lors, en cette année de commémoration des 150 ans de
l'Etat fédéral précisément, une chance que le Conseil fédéral, le
Parlement et le peuple se doivent de saisir pour renouveler notre
contrat social dans cette période difficile.