Armoiries de la Suisse

CONFOEDERATIO HELVETICA
Les autorités fédérales de la Confédération suisse

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Embargo jusqu'au 30 octobre 1995, 19.00 heures

Seul le discours prononcé fait foi
Embargo jusquau 30 octobre 1995, 19.00 heures

Conférence de Monsieur Arnold Koller, Conseiller fédéral, chef du Département
fédéral de justice et police, à l'occasion du centenaire de la Société vaudoise
de patronage, lors de son Assemblée générale du 30 octobre 1995 à Lausanne -
Ouchy

SUCCES ET ECHECS DE LA REINSERTION DU DETENU
PERSPECTIVES D'AVENIR

Mesdames,
Messieurs,

1.
En août de l'an passé, la Suède a tenté une expérience de contrôle électronique
des condamnés: celui qui doit subir une peine de moins de deux mois peut
continuer à vaquer à ses occupations; la surveillance de ses déplacements est
assurée par un émetteur portatif. Traversons l'océan, changeons de monde:
depuis le mois de mai, l'Etat de l'Alabama a vu réapparaître les chaînes de
prisonniers; dans un mélange de reconstitution historique et de spectacle
médiatique, les détenus de Limestone vont travailler à l'extérieur; mais leurs
jambes sont entravées par des fers. Peut-on mieux illustrer un débat toujours
passionné, ouvert au Siècle des Lumières et jamais clos? On y voit s'affronter
les héritiers spirituels de Cesare Beccaria, qui prônent l'amendement du
coupable et sa réinsertion dans la société, et les partisans d'une répression
impitoyable, seule garante à leurs yeux de la sécurité publique.
Depuis 1937 - et même bien avant si l'on se réfère aux travaux de Carl Stooss,
le législateur suisse a pris parti, a choisi son camp. L'article 37 du code
pénal ne laisse planer aucun doute à cet égard; il affirme que la peine doit
être utile et servir à la réintégration du condamné. Ce choix n'est d'ailleurs
nullement incompatible  avec le souci de la sécurité publique; nombre de
dispositions de notre code sont là pour nous le rappeler. Le cap qui a été pris
en 1937 - soyez-en certains -, ne sera pas modifié. Quant aux moyens à mettre
en oeuvre pour atteindre le but fixé, ils dépendent de l'évolution des
circonstances et des conditions de la vie en société à un moment donné. Ils
peuvent, ils doivent même changer, puisque notre société a changé. L'objectif,
lui, demeure: donner à chaque condamné, s'il le souhaite et accepte d'y
collaborer, la chance de se réinsérer dans la société.
C'est pour moi un plaisir tout particulier que de m'adresser à ceux qui,
véritablement, se trouvent au front de l'immense combat de la réinsertion
sociale. L'occasion m'est ainsi donnée de leur dire le prix que nous attachons
à leur travail, de leur réaffirmer notre soutien inconditionnel. Je saisis
également cette occasion pour leur faire connaître nos projets dans le domaine
qui nous réunit tous: faire des peines et des mesures des instruments de
réinsertion.

2.
C'est déjà dans le choix des sanctions que doit se manifester le souci de
réinsertion ou, plus simplement, celui d'éviter la désocialisation. Je tiens, à
cet égard, à vous signaler les projets en cours.
En 1971, la partie générale du code pénal avait été l'objet d'une révision
partielle. A cette époque déjà, le législateur avait des doutes sur l'exécution
des courtes peines d'emprisonnement et des peines d'arrêts; il avait introduit
des formes d'exécution spéciales telles que la semi-détention et l'exécution
par journées séparées. Ces innovations ont déjà fortement contribué à réduire
les effets désocialisants des courtes peines fermes. Le scepticisme à l'égard
des courtes peines privatives de liberté fermes a néanmoins continué à croître
au cours des années.
Ces peines, dont l'effet est généralement surestimé, ne devraient plus, de
l'avis de la commission d'experts, pouvoir être prononcées qu'à titre
exceptionnel en raison de leurs conséquences sociales souvent négatives et de
l'absence d'effet resocialisant. Ces peines peuvent, en effet, entraîner la
perte d'un emploi et donc - de nos jours - précipiter le condamné dans
l'exclusion sociale; elles peuvent perturber gravement les relations familiales
et priver le condamné d'un soutien moral indispensable.
Simultanément, on a pris une conscience accrue de la pauvreté de l'éventail des
sanctions prévues dans notre code. Le besoin s'est fait sentir, très fortement,
de peines de substitution pour les courtes peines privatives de liberté. Dans
cette perspective, l'avant-projet de partie générale du code pénal, élaboré par
une commission d'experts limite strictement le recours aux courtes peines
privatives de liberté fermes; dans les pays qui ont restreint l'usage de ces
peines, on n'a d'ailleurs pas pu constater que le changement de pratique ait
exercé une influence défavorable sur la récidive et le développement de la
criminalité. L'avant-projet propose un vaste éventail de sanctions non
désocialisantes; je reviendrai sur l'une d'elles, le travail d'intérêt général,
qui est expérimentée avec succès depuis plusieurs années, sur la base d'une
ordonnance du Conseil fédéral.
Un autre exemple du souci de réinsertion peut être trouvé dans le régime du
casier judiciaire. Selon l'avant-projet (art. 363), seules certaines autorités
pourront obtenir un extrait du casier judiciaire. Le particulier ne pourra plus
demander d'extrait de son casier. De la sorte, le condamné qui a payé sa dette
envers la société ne sera plus pénalisé dans la recherche d'un emploi.
L'extrait du casier judiciaire, dont la production était exigée presque
systématiquement, s'est avéré être un véritable instrument d'exclusion sociale.
Les avis relatifs à cette innovation sont partagés, comme la procédure de
consultation concernant la partie générale et le troisième livre du code pénal
l'a démontré.
En revanche, la diversification du système des sanctions a été plutôt bien
accueillie. Comme vous le savez, le Conseil fédéral a pris connaissance le 18
septembre 1995 des résultats de la procédure de consultation; il a chargé mon
département d'élaborer jusqu'en 1997 un projet de loi qui tient compte de ces
résultats ainsi que le message à l'intention du parlement. Un reproche a
néamnoins été formulé fréquemment à l'encontre de l'avant-projet, celui de
n'avoir pas tenu compte suffisamment du besoin de sécurité de la société. Cet
aspect sera revu dans le projet définitif, essentiellement pour les atteintes
graves à la sécurité. L'objectif d'éviter la désocialisation due à de courtes
peines privatives de liberté fermes, ne sera pas modifié.

3.
Le souci de réinsertion doit inspirer, marquer toute l'exécution de la peine.
Telle est la volonté du législateur que nous tous, Confédération et autorités
cantonales, devons traduire dans les faits.
a)	Qui dit "exécution des peines" pense en premier lieu "établissements
d'exécution". Les détenus doivent être accueillis dans des établissements qui,
à la fois, correspondent aux exigences de la sécurité et garantissent des
conditions de vie décentes. Je tiens à rappeler que la Confédération participe
en conformité avec lart. 64bis al. 3 Cst et la loi fédérale dapplication y
relative à la construction et à la rénovation des établissements d'exécution
ainsi qu'aux charges d'exploitation des maisons d'éducation et des maisons
d'éducation au travail. Les subventions allouées de ce chef se montent à
environ 100 millions de francs par an.
b)	Au fil des dernières années et décennies, l'exécution des peines et
mesures a subi des transformations radicales, notamment de par la modification
de la structure de la population carcérale. Cette population comprend un nombre
croissant de toxicomanes, de cas psychosomatiques et de délinquants dangereux.
De plus, la proportion d'étrangers est extrêmement importante. Ce développement
rend la prise en charge des détenus plus difficile et soumet le personnel
pénitentiaire à de nouveaux défis. Le maintien de la sécurité, la prise en
charge et la resocialisation des détenus requièrent constamment de nouvelles
méthodes. Les responsables de l'exécution des peines se voient régulièrement
contraints d'examiner s'il existe de nouvelles sanctions ou formes d'exécution
qui pourraient encore améliorer la resocialisation du détenu, tout en tenant
compte de certaines contraintes financières.
	La Confédération soutient ce qu'on appelle des projets pilotes.Depuis
1987, elle peut accorder des subventions pour l'expérimentation ou le
développement de nouvelles méthodes ou de conceptions dans l'exécution des
peines et mesures et dans l'aide à la jeunesse; ces subventions qui peuvent
couvrir jusqu'à 80% du financement, sont allouées pour 5 ans au plus. Ces
projets pilotes doivent bien entendu avoir un aspect innovateur. Ils font
ensuite l'objet d'une évaluation scientifique qui doit permettre de déterminer
si les buts recherchés sont atteints et à quelles conditions ils pourraient
éventuellement être introduits dans le code pénal.
	Un exemple, qui devrait être repris dans le projet définitif de
révision de la partie générale, est le travail d'intérêt général, que la
commission d'experts a proposé d'introduire comme sanction. La Confédération a
apporté une aide financière à divers cantons - notamment le canton de Vaud -
pour l'expérimentation du travail d'intérêt général en tant que méthode
d'exécution. Le canton de Berne a déjà procédé à une évaluation de cette
méthode et publiera prochainement son rapport. Pour les autres cantons, nous ne
disposons que de rapports intermédiaires. On a néanmoins déjà pu constater que
le travail d'intérêt général est une méthode valable, qui permet - comme je
l'ai déjà dit - d'éviter certains effets nocifs des courtes peines privatives
de liberté fermes. Les réactions tant des condamnés que des employeurs sont
essentiellement positives. D'un point de vue administratif et financier, cette
méthode est également intéressante. La question de savoir si le risque de
récidive est réduit par cette méthode sera prochainement étudiée. En attendant
l'introduction du travail d'intérêt général dans le code pénal, mon département
a d'ores et déjà prévu une modification de l'ordonnance 3 relative au code
pénal; cette modification, qui devrait entrer en vigueur au début de l'année
prochaine, prévoit la possibilité d'étendre le travail d'intérêt général aux
peines jusqu'à trois mois.
c)	L'exécution de la peine en établissement doit prendre fin, en général
par la libération conditionnelle. Cette libération ouvre la phase suivante et
ultime de l'exécution. La décision de libération est l'instant crucial où
l'autorité apprécie les chances de la réinsertion et prend les mesures
d'accompagnement pour la faciliter; à ce stade, les intérêts de la sécurité
publique ne peuvent être occultés.
	Mon département est fréquemment invité par le Tribunal fédéral à
s'exprimer sur des recours contre des refus de libération conditionnelle. Le
département y défend la position que la libération conditionnelle n'est pas
automatique ni ne constitue un droit acquis; elle doit, en cas de doute, faire
l'objet d'un examen approfondi et être dûment motivée. Les exigences de la
sécurité publique doivent être prises en considération: plus l'infraction dont
la réitération peut être envisagée est susceptible de porter une atteinte grave
à des intérêts essentiels tels que la vie, l'intégrité corporelle ou
l'intégrité sexuelle, et plus le pronostic favorable doit être fermement
établi; en un mot, on peut libérer un voleur de bicyclettes même si l'on a
quelques doutes sur l'absence de récidive; on ne peut le faire pour l'assassin
d'enfants. Je tiens donc à rappeler avec vigueur qu'une réclusion à vie peut
durer toute la vie; une libération après quinze ans ou ultérieurement suppose
un pronostic favorable bien établi.

Le temps me manque pour évoquer les problèmes pratiques que pose, dans les
établissements, la présence de nombreux étrangers de toutes nationalités.
Au stade de la libération conditionnelle, l'étranger pose un problème
particulier, celui de la suspension, à titre d'essai, de l'expulsion qui a été
ordonnée par le juge. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, constamment
soutenue par mon département, la décision de l'autorité compétente doit être
celle qui donne au condamné les meilleures chances de réinsertion sociale.
Cette jurisprudence humaniste conserve-t-elle un sens si l'expulsion, en
matière de police des étrangers, peut être ordonnée sans égard au souci de
réinsertion et nonobstant la suspension de l'expulsion pénale? Le hiatus entre
le droit pénal et celui de la police administrative apparaît peu satisfaisant
pour un problème qui appelle une solution unique et donc des décisions
coordonnées.

L'avant-projet de revision ne prévoit plus d'expulsion prononcée par le juge;
l'expulsion ne sera plus qu'une affaire de police des étrangers, ce qui
éliminera la coexistence insatisfaisante de ces deux types d'expulsion. La
majorité des participants qui se sont exprimés sur cette question s'est montrée
favorable à cette suppression.

4.
Lorsque le condamné est libéré, conditionnellement ou définitivement, il a payé
sa dette envers la société. Et pourtant, ses difficultés ne font que commencer
, quelle que soit sa bonne volonté. C'est votre tâche, Mesdames et Messieurs,
que de préparer le détenu à affronter les problèmes personnels, psychiques,
matériels et professionnels qu'il rencontre durant son incarcération et
rencontrera après sa libération; c'est votre tâche de suivre et d'aider
l'ex-détenu dans ses premiers pas en liberté.
L'ampleur et la difficulté de la tâche peuvent paraître insurmontables; elles
sont à la mesure de l'engagement et du dévouement dont vous devez faire preuve
à chaque instant, et pour lesquels je vous redis la reconnaissance des
autorités de la Confédération.
a)	Un des problèmes que vous avez à traiter et qui me tient le plus à
coeur est celui de l'emploi. Je ne pense pas là aux personnes qui, ensuite de
leur évolution psychique ou physique, ne sont plus guère capables d'un travail
productif; leur situation appelle d'autres solutions, à caractère social. Mon
souci est celui des personnes qui ont la volonté et, en soi, la capacité de
travailler.
-	Dès l'introduction de l'asssurance-chômage obligatoire, le législateur
a été conscient des problèmes spécifiques du détenu. Il a rangé les ex-détenus
dans les catégories de la population libérées des conditions relatives à la
période de cotisation (art. 14, al. 1er, litt.c LACI). Le Conseil fédéral, en
1995, a prévu que le délai d'attente ne serait que de cinq jours pour les
ex-détenus, alors que ce délai est de vingt jours pour d'autres catégories
(modification du 11 janvier 1995 de l'art. 6, al. 3 et 3bis OACI).
-	Il est certes préférable, pour l'ex-détenu, d'être un chômeur plutôt
qu'un assisté. Cela ne l'empêche pas de demeurer un exclu. Cette situation, un
assistant social l'a résumée récemment à une collaboratrice de mon département,
dans une formule réaliste et cruelle: "Avant, il fallait préparer les détenus à
être actifs, maintenant, il faut les préparer à être inactifs". La dureté des
temps et les tensions sur le marché de l'emploi ne doivent toutefois en aucun
cas nous inciter au défaitisme. La détention peut être utilisée pour doter le
condamné d'atouts dans la lutte pour le travail. On songe non seulement à la
formation professionnelle dont le détenu peut bénéficier, mais aussi à sa
formation générale, notamment par la lutte contre l'illettrisme. Il convient
également de prévenir la perte du savoir-faire professionnel qui, compte tenu
de l'évolution rapide des techniques, guette les condamnés à une peine de
longue durée. L'offre de possibilités de formation doit aussi s'accompagner
d'une stimulation du détenu et de sa préparation aux démarches de sa vie future
d'homme libre.
b)	Le patronage, qui n'accompagne dans le code pénal que le sursis ou la
libération conditionnelle, a actuellement un double objectif, celui d'aide et
assistance et celui de surveillance. La commission d'experts chargée de la
révision de la partie générale du code pénal a entendu les voeux des services
de probation; l'assistance de probation, dans l'avant-projet, se limite à une
fonction d'aide, à l'exclusion de missions de surveillance, portant par exemple
sur le respect des règles de conduite. On entendait ainsi sauvegarder la
relation de confiance entre le condamné et l'agent du patronage.

	Comme une certaine surveillance restera indispensable, elle devra
cependant continuer à être assurée et les services de mon département sont
chargés d'élaborer des propositions de solutions. A cette occasion, ils
examineront la possibilité d'introduire dans le code le principe de la
continuité de la prise en charge tout au long de la détention, conformément
d'ailleurs au voeu exprimé en procédure de consultation par l'Association
suisse de la probation.

5.
Mesdames et Messieurs, j'ai, tout à l'heure, évoqué le souvenir de Beccaria et
de son Traité des délits et des peines. J'aurais pu mentionner ses premiers
émules, Catherine II de Russie ou Gustave III de Suède. Mais un tel propos
serait réducteur. Il donnerait à croire que la réinsertion du détenu est la
chose de juriste, de législateur ou de l'autorité d'exécution. Or ce problème,
nous seuls, membres des autorités, nous ne pouvons le résoudre; nous ne pouvons
que faciliter sa solution. Il appartient à la société elle-même de le résoudre.
C'est notre responsabilité à nous tous de faire passer un message: Le crime
appelle le châtiment, mais après le châtiment vient le temps du pardon et de
l'oubli pour tous ceux qui veulent revivre correctement dans la société.
Lorsque l'ensemble de la société aura reçu et accepté ce message, un remède
pourra être trouvé à ce que Victor Hugo appelait si justement " la damnation
sociale".

Permettez-moi enfin, pour terminer, Mesdames et Messieurs de la Société de
patronage, de vous répéter combien je suis conscient de la multiplicité et de
la complexité des problèmes que vous avez à régler et de vous exprimer la
gratitude des autorités fédérales pour tous les efforts que vous déployez
quotidiennement pour la réinsertion du détenu.