Armoiries de la Suisse

CONFOEDERATIO HELVETICA
Les autorités fédérales de la Confédération suisse

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Discours douverture prononcé par M. Arnold Koller, Conseiller fédéral et Chef
du Département fédéral de justice et police, à loccasion de la Conférence sur
les migrations le 24 août 1995 à lUniversité de Berne

1.	Allocution

Cest avec grand plaisir que je constate que vous êtes nombreux à suivre cette
conférence. Le thème de la migration figure aujourdhui à la tête de lordre du
jour et promet dêtre de plus en plus préoccupant au fil des années. Durant
cette année électorale, il risque de faire lobjet dune étude où lémotion et la
démagogie priment.

Le Rapport sur une politique suisse en matière de migrations rédigé par
Monsieur Peter Arbenz ma incité à vous convier à la présente conférence, tandis
que la procédure de consultation lancée à ce sujet suit son cours depuis le
mois de mai et jusquà la fin du mois doctobre. Le débat daujourdhui et la
procédure de consultation devraient permettre au Conseil fédéral de se faire
une idée des possibilités dune future politique migratoire.

Certes, la définition abstraite de la politique migratoire proposée par lauteur
du rapport, lequel la définit comme une vue globale des corrélations politiques
touchant la migration et comme lensemble de tous les objectifs, instruments et
moyens susceptibles dinfluencer, voire de canaliser cette dernière, me semble
être une excellente hypothèse de travail. Je ne vous cacherai cependant pas que
jai souvent limpression que le concept de politique migratoire est, pour nombre
dhommes politiques, une formule vidée de son sens, pour ne pas dire un deus ex
machina pour des problèmes insolubles. Par ailleurs, il ne fait aucun doute que
nous devons nous faire une vue densemble de nos politiques en matière
détrangers, dasile et de réfugiés, aborder de plus en plus souvent ce thème
délicat en confrontant nos idées et améliorer encore la collaboration et
lorganisation entre les autorités compétentes de la Confédération et des
cantons.

Il est évident quen nous faisant une vue densemble, nous allons nous heurter à
certains conflits dobjectifs et chevauchements. La volonté douverture de la
Suisse, qui sest de plus en plus tournée vers la main-doeuvre en provenance des
Etats de la CE et de lAELE, au détriment de celle des pays du 3ème cercle, a
par exemple engendré des conflits dobjectifs, notamment entre des intérêts
économiques et des considérations humanitaires. Preuve en est que ces personnes
privées de la perspective dobtenir une autorisation de travail tentent leur
chance par le biais de lasile.

2.	Objectifs de la Conférence sur les migrations

Voici les objectifs que je me suis fixé datteindre à lissue de cette Conférence
sur les migrations:

· mettre en évidence la diversité et la complexité du phénomène migratoire
actuel et futur,

· envisager de concert avec vous les possibilités daction politique,

· souligner les liens avec dautres domaines politiques et

· jeter les bases dune politique migratoire.

3.	Nécessité dune politique crédible et durable

En définissant ces objectifs, je tiens à vous faire remarquer que nous avons à
faire non seulement à une question dactualité, mais aussi et surtout à un
problème à long terme, dont les conséquences se répercutent sur la société et
au-delà des frontières. Nous devons dès maintenant prendre conscience du fait
que cest à la fois de lavenir des personnes amenées à vivre avec nous et du
bien-être de notre propre population que nous allons débattre. Doù la nécessité
dune politique crédible, cohérente et durable.

4.	La migration en Suisse

4.1	Lévolution jusquà nos jours

La migration est une tradition séculaire en Suisse. Nombre de familles, de
minorités ethniques et religieuses ont immigré dans notre pays, y laissant leur
empreinte et contribuant à son développement économique, social et culturel. Il
ny a quà citer un seul exemple: la République de Genève abrita, à la suite de
la révocation de lEdit de Nantes par le Roi Soleil en 1685, environ 20000
huguenots durant vingt ans; plus de 100000 sont passés par Genève, où ils ont
séjourné provisoirement.

A laube de ce siècle, en 1917 exactement, les étrangers représentaient déjà 17%
de la population suisse. Durant les décennies qui suivirent, leur nombre connut
de fortes fluctuations, lesquelles reflétaient les hauts et les bas de la
conjoncture nationale. Limmigration contrôlée fit, à la fin des années 80,
progressivement place à une immigration spontanée par le biais de la procédure
dasile, situation qui entraîna lextension du domaine de lasile et le recours
abusif à la procédure dasile dans le but dexercer une activité professionnelle.
Se sont ajoutées, ces dernières années, les personnes qui, provenant de régions
frappées par la guerre civile, ont besoin de protection et qui, en raison de la
persistance des conflits, sont amenées à séjourner longtemps chez nous. On
recense depuis peu de plus en plus dimmigrés clandestins, mais aussi des
personnes qui migrent dans le but de commettre des actes criminels ainsi que
des organisations de passeurs, dont lactivité constitue une nouvelle forme de
trafic de chair humaine.

4.2 	La situation actuelle en matière détrangers et dasile

Je commencerai par mentionner quelques chiffres. A la fin du mois de juillet
1995, la population étrangère résidant en permanence sur le territoire
helvétique sélevait à 1 317 270 personnes (soit 18,8% de la population totale)
et la proportion dautres étrangers (saisonniers, personnes séjournant pour une
courte durée, requérants dasile, etc.) atteignait 165 687 personnes (1,9 %).
Les principaux facteurs propices à limmigration du début de lannée 1994 à celui
de lannée 1995 sont: le regroupement familial (dans 36,3% des cas), lexercice
contingenté dune activité professionnelle (14,6%), le mariage avec un citoyen
suisse (12%), les conversions de statuts (11,7%) et les études (11,6%). Le taux
de croissance ne cesse toutefois de baisser depuis 1991.

Dans le domaine de lasile, environ 9 400 nouvelles demandes ont été déposées
auprès de lOffice fédéral des réfugiés entre le début de lannée et la mi-août,
chiffre qui correspond plus ou moins à celui de lannée passée sur la même
période. Actuellement, on compte encore quelque 25 000 demandes pendantes en
première et deuxième instances. Leur nombre a pu être fortement réduit au cours
de ces deux dernières années. Aujourdhui, environ 80 % de toutes les demandes
donnent lieu à une décision définitive en lespace de six mois. Le taux de
requérants déboutés reste cependant élevé, nombreuses étant les personnes qui
passent à la clandestinité en Suisse ou se rendent dans un pays tiers sans
faire part de leur décision. Alors quauparavant, le problème était dû à la
longueur des procédures, il apparaît désormais au niveau de lexécution. Je vous
rappelle à ce sujet la pratique contraire au droit international public suivie
par certains Etats, en particulier par la République fédérale de Yougoslavie,
qui refusent de reprendre leurs propres ressortissants dont la demande dasile
en Suisse a été rejetée.

Cette évolution des événements na fait quaccroître les tâches de la
Confédération dans le domaine de lasile, malgré une baisse du nombre des
demandes en matière dassistance, tâches qui ont pris aujourdhui une ampleur
inquiétante.

4.3 	Le dilemme et les réponses apportées jusquici

En menant, depuis la Seconde Guerre mondiale, la politique à légard des
étrangers, nous nous sommes efforcés de répondre aux besoins de léconomie tout
en assurant le plein emploi à la population active nationale. Dès le milieu des
années 60, tout un chacun savait que cette politique entraînerait une rapide
croissance de la population et une augmentation continue de la population
résidente étrangère. La discussion menée dans les années 60 et 70 autour du
thème surpopulation étrangère sest soldée par le dépôt de plusieurs initiatives
populaires; je pense tout particulièrement aux initiatives Schwarzenbach. Les
votations ont clairement démontré lexistence de problèmes et limpossibilité de
poursuivre la politique des frontières ouvertes. Le dilemme besoins de
léconomie, plein emploi des autochtones et aspects humanitaires, ainsi que le
problème de lintégration et les tensions qui règnent entre nationaux et
étrangers ne pouvaient plus être ignorés. Le Conseil fédéral rendit cette
année-là plusieurs décisions en vue de limiter et de stabiliser la croissance
constante de la population étrangère. Rappelons notamment le système introduit
en 1970 visant à limiter le nombre des étrangers exerçant une activité
professionnelle. Ce système devait parvenir à équilibrer la proportion entre la
population suisse et la population étrangère. Jusquà présent, le Conseil
fédéral a toujours estimé que cette proportion ne conviendrait plus à partir du
moment où la capacité, la volonté et les possibilités dintégration de la
population étrangère deviendraient insuffisantes seraient ou largement remises
en question par la population suisse.

Le Conseil fédéral a, dès le mois de mai 1991, rédigé un rapport circonstancié
sur la politique des années 90 à légard des étrangers et des réfugiés. Au vu de
ce rapport, on a adopté le modèle des trois cercles, face aux efforts déployés
au niveau européen pour créer un marché unique sétendant aux Etats de la CE et
de lAELE. Le Conseil fédéral a enfin décidé de ne plus recruter de main-doeuvre
parmi les ressortissants de lex-Yougoslavie, eu égard à sa volonté douverture
vers les Etats de la CE et de lAELE. Force nous est aujourdhui de constater
que, malgré ladoption de cette politique, le nombre des ressortissants de la CE
et de lAELE en Suisse diminue sans discontinuer, tandis que celui des personnes
en provenance dEtats autres que de lEurope occidentale ne cesse daugmenter.

En ce qui concerne la politique en matière dasile, nous avons, année après
année, redoublé defforts en procédant à nombre de révisions de lois en vue de
les adopter aux rapides changements. A lissue de procédures impartiales,
certains requérants dasile ont été reconnus comme réfugiés; dautres personnes
ont été admises à titre provisoire pour des motifs humanitaires ou en vue de
répondre à un besoin durable de protection. La mise en place de la politique
internationale à légard des réfugiés nous a permis daider encore plus
dindividus sur place sans investir de gros moyens financiers et sans entraîner
de graves répercussions sur la politique nationale; témoin laide considérable
que la Suisse fournit actuellement dans le cadre du conflit qui sévit en
ex-Yougoslavie.

En ce qui concerne la politique en matière dasile, nous nous trouvons également
devant un dilemme. Les avis sont polarisés: les uns veulent louverture des
frontières pour toute personne fuyant une situation dangereuse, les autres
refusent de renvoyer qui que ce soit sans son accord. Bien-être oblige, telle
est la devise. Mais, aux antipodes, il y a ceux qui estiment que la barque est
pleine. Ces derniers plaident pour ladoption de mesures strictes et
rigoureuses. Pensez aux initiatives populaires en suspens émanant des
Démocrates suisses et de lUnion Démocratique du Centre. Le Conseil fédéral sest
efforcé jusquici de mener une politique dasile en harmonie avec la tradition
humanitaire de la Suisse, dans le respect de notre constitution et de nos
obligations internationales. Ce nest que récemment quil a demandé au Parlement
de déclarer non valable linitiative populaire des Démocrates suisses, laquelle
va à lencontre du droit international public contraignant; le Conseil des Etats
la largement suivi.

Ladmission officielle et loctroi de statuts conformes au droit des étrangers
permettent de gérer une partie de limmigration actuelle; je pense à la décision
du Conseil fédéral, selon laquelle seuls les ressortissants des Etats de la CE
et de lAELE peuvent, à partir du 1er janvier 1995, obtenir la conversion de
leur statut de saisonnier en autorisation à lannée. Linterdiction frappe tout
particulièrement les ressortissants de lex-Yougoslavie; elle se traduira par un
recul de limmigration, même si lon sait parfaitement quil faut du temps avant
que de telles décisions prennent effet.

Malheureusement, une partie de limmigration est difficile à gérer, partie qui
prend une place de plus en plus importante. Les autorités se heurtent aux
demandes des immigrés clandestins ou spontanés lorsque ces derniers se trouvent
déjà sur notre territoire, ont franchi illégalement nos frontières ou
séjournent dans notre pays depuis bien longtemps sans y être autorisés. On
comprend aisément que ces comportements irritent le citoyen suisse. En
approuvant les mesures de contrainte en matière de droit des étrangers, nous
avons créé linstrument nécessaire pour lutter contre les abus manifestes commis
dans ce domaine. Nous ne devons toutefois pas oublier quil nest pas possible,
dans un Etat démocratique, dinstituer un contrôle total des mouvements
migratoires tels quils se dessinent de nos jours. Collaborer avec dautres Etats
confrontés au même problème savère nécessaire. Si lon se tourne vers les Etats
dEurope occidentale ou vers les USA, le Canada et lAustralie, on se rend compte
que ces pays doivent, eux aussi, faire face à des problèmes identiques ou
semblables. Les nouvelles donnes et les nouveaux défis qui apparaissent
constamment poussent les Etats à modifier régulièrement leur législation en
matière dasile et détrangers au risque de provoquer des effets secondaires
auxquels il faut réagir.

Le but des efforts que nous déployons par le biais de nos politiques intérieure
et extérieure doit donc être dadopter une philosophie et une stratégie uniques.

4.4	Incertitude

Surpris par le rejet de la Lex Friedrich, jai déclaré: Nous avons un problème
détrangers. En analysant le problème, dune façon qui nest évidemment pas
exhaustive, on se rend compte que lintervention de multiples facteurs explique
le sentiment dinsécurité croissante qui règne dans la population: laugmentation
constante de la population étrangère, la hausse de limmigration clandestine, la
forte proportion détrangers dans le trafic de drogue, la récession, lesprit de
compétition sur le marché du travail et linquiétude des parents face à la
scolarité de leurs enfants étudiant dans des classes où la part des étrangers
est parfois supérieure à celle des Suisses. Il convient de mentionner ici la
différence de capacité et de volonté dadaptation des étrangers, en particulier
des ressortissants de pays lointains, véhiculant des cultures très différentes
de la nôtre.

Cest cette insécurité qui peut faire naître, chez une partie de la population,
des préjugés injustifiés sur les étrangers, voire des sentiments xénophobes ou
racistes, situation que nous devons à tout prix éviter.

5. Préceptes dune éventuelle politique migratoire

Les besoins légitimes de léconomie suisse, la sécurité intérieure et
extérieure, les obligations humanitaires de notre pays et le principe de la
solidarité internationale doivent rester au coeur de nos réflexions.

La Suisse, démocratie constitutionnelle, se doit de respecter les principes du
droit international public et de veiller à ce quils soient observés également à
lextérieur de ses frontières. Cette situation impose des exigences
particulièrement élevées à notre future politique migratoire. En effet, les
phénomènes que nous vivons montrent que nous serons toujours moins en mesure de
régler seuls les problèmes auxquels nous sommes confrontés et que nous
dépendons de la collaboration internationale sur ce point.

Un point me paraît crucial: malgré toute sa complexité, il nous faut arriver à
présenter clairement le phénomène migratoire au peuple, et être davantage à
lécoute des problèmes et des désirs de ce dernier. Nous devons renoncer à des
positions extrêmes et mettre sur pied une politique à la fois claire et
cohérente, qui soit compréhensible pour tout un chacun. Si nous échouons dans
notre tâche, la politique à légard des étrangers deviendra un problème clé, qui
freinera lévolution de nos politiques intérieure et extérieure tout au long des
années à venir.

Venons-en à notre conférence: au printemps 1992, le Parlement transmettait au
Conseil fédéral la motion Simmen, lui donnant ainsi mandat délaborer une loi
sur les migrations. Il mest apparu quil serait peu judicieux, dans un domaine
aussi brûlant, de se lancer dans la rédaction dune nouvelle loi sans sêtre
penché auparavant sur la teneur, les possibilités et les limites dune future
politique migratoire; cest pourquoi jai choisi de procéder tout dabord à
lanalyse approfondie de la situation et de déterminer notre marge de manoeuvre.

Avec le rapport que Monsieur Peter Arbenz a rédigé sur une future politique
migratoire suisse, nous disposons désormais dune base qui nous permet de
débattre des idées forces que nous souhaitons voir respecter sur le plan
politique. Aujourdhui, cest dans le cadre de divers ateliers que nous aurons
lopportunité de nous prononcer sur des points déterminés de la future politique
de la Suisse en matière détrangers et de réfugiés. A titre personnel, jose
espérer que notre conférence daujourdhui ouvrira un dialogue constructif qui
posera les premiers jalons de la future politique migratoire de notre pays.