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CONFOEDERATIO HELVETICA
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discours : l'armée nouvelle, chef DMF, Rapport d'armée Olten 2.12.94


KEYWORDS : DISCOURS, ARMEE, NOUVELLE, OLTEN, RAPPORT,

(Ti) L'armée nouvelle

(Ld) Discours du conseiller fédéral Kaspar Villiger, chef DMF
      au Rapport d'armée, Olten, le 2 décembre 1994
      Traduction - Le texte parlé fait foi

(Tx) 1. Introduction

Lorsqu'au mois de mai 1989 nous avons publié les premières
réflexions au sujet d'une réforme de l'armée, l'imminence
d'une profonde transformation s'était déjà fait sentir.
L'importance des critiques, qui s'étaient accumulées à
l'égard de l'armée et qui se sont exprimées  par une part
élevée et inattendue de oui lors de l'initiative visant la
suppression de l'armée, a confirmé la nécessité d'une
réforme. En 1990, le Conseil fédéral a approuvé la nouvelle
politique de sécurité, en 1992, le  plan directeur de
l'armée.  Les bases légales concernant la réforme de l'armée
sont entrées en vigueur cette année;  les deux Chambres ont
presque terminé l'examen de l'importante loi sur l'armée et
l'administration militaire et, dans quelques jours l'armée 95
va mettre en oeuvre ses nouvelles structures, en respectant
le délai imposé.  Il s'agit à présent d'animer ces structures
et de concrétiser l'armée 95 pour en faire un  instrument de
gestion de crise performant. C'est là votre tâche. Par cette
modeste fête, je voudrais adresser mes vifs remerciements à
tous ceux qui ont représenté avec succès l'armée 61 et  je
les encourage à mener l'armée 95 au succès avec le même
enthousiasme !

2. Le changement

Nous avons encore à l'esprit les impressionnantes images de
la chute du Mur de Berlin. Il symbolisait la guerre froide et
sa destruction laissait entrevoir l'espoir que la guerre
pourrait être une notion définitivement dépassée. L'idée d'un
nouvel ordre mondial, pacifique, était née. L'empire
soviétique se désagrégeait, et, avec lui le Pacte de
Varsovie. Les Etats d'Europe centrale et orientale
devenaient, de glacis de l'Union soviétique, le faubourg de
l'Occident. Ils érigeaient des démocraties et se tournaient
vers l'ouest , là où se situaient leurs racines.

Nous savons aujourd'hui que, durant la guerre froide, la
menace fut bien plus importante que ce que nous en
percevions. Elle a heureusement disparu.  Notre sécurité s'en
est trouvée sensiblement améliorée.  Malgré tout, les espoirs
euphoriques ne se sont pas réalisés. Dans les Balkans et dans
le Caucase la guerre est réapparue. On compte presque, de par
le monde, le double de conflits qu'il y a vingt ans. Les gens
fuient par centaines de milliers. La disparition brutale des
garde-fous que conditionnait la parité nucléaire, n'a pas été
que constructive, elle a aussi libéré des forces
destructrices. Des tensions ethniques, sociales, religieuses,
profondément enracinées dans l'histoire, peuvent se libérer
n'importe où, à chaque instant. La destruction écologique
crée de nouveaux foyers de tension, les grands courants
migratoires pourraient aussi déstabiliser des démocraties
existantes. Le trafic d'armes, la prolifération du crime
international, le terrorisme, sont d'autres désignations d'un
spectre de risques dont le développement apparaît aussi peu
prévisible que maîtrisable. On a l'impression qu'au fond le
monde n'est pas devenu plus sûr, mais que le spectre des
risques s'est fondamentalement modifié.

Le rêve d'un nouvel ordre mondial, tel qu'il était évoqué à
l'époque de la guerre du Golfe, s'est littéralement envolé.
Les institutions que la communauté des peuples a établies
pour le maintien de la paix et la maîtrise des conflits,
atteignent difficilement leurs buts. Leur perte d'autorité
est visible. Ce n'est pas une critique. Il n'existe pas
d'alternative acceptable à la tentative de règlement des
conflits sur la base du droit plutôt que par la force. C'est
pourquoi la résignation ne peut être une réponse malgré tous
les échecs. Mais il faut simultanément se garder d'illusions.

Après la décomposition du communisme, on a l'impression que
l'existence d'un adversaire idéologique et militaire
clairement désigné disciplinait bien plus les démocraties
occidentales que nous en avions conscience durant la guerre
froide. On remarque dans toutes les démocraties un certain
chaos en politique, les anciennes valeurs s'effondrent, les
liens traditionnels, que ce soit dans l'Eglise ou dans la
famille, s'affaiblissent, l'autorité perd de sa crédibilité
et de son rayonnement. De nombreux problèmes dépassent les
politiciens, une certaine agitation s'étend. C'est aussi le
temps de simplificateurs. Nombreux sont ceux qui fuient la
complexité des réalités, en cherchant de nouvelles vérités
simples. Mais ils ne trouvent que des apparences de vérité.
Personne ne sait  si cette situation imprévisible de rupture
deviendra dorénavant  la norme ou si, un jour, de nouvelles
bases stables se construiront. Cela rend difficile la
planification politique et, plus encore, la politique de
sécurité. Au plan international on met de plus en plus en
commun les grandes questions, car chaque pays est dépassé
lorsqu'il est confronté seul à la solution de beaucoup de
problèmes importants On travaille sur plusieurs fronts à un
système de sécurité européen. Cependant des fissures sont
visibles et une négociation commune efficace se révèle
difficile.

3. La Suisse en mutation

Tout ceci agit aussi sur la Suisse. Je suis clairement de
l'avis que l'état réel de notre pays est meilleur que ce qui
en est perçu à l'intérieur, et nous devrions, après avoir
douté de nous-mêmes des années durant, de façon exagérée,
retrouver notre dignité. Mais la dispersion des forces
politiques, la tendance à la polarisation, l'agitation
générale caractérisent aussi notre état intérieur. En
quarante ans de stabilité nous avons perdu l'habitude de
vivre avec l'incertitude. Nous sommes insécurisés par de
nouveaux risques, mais aussi à cause du nouveau mouvement en
Europe. Parce que nous n'allons ni de façon efficace vers la
voie solitaire, ni n'aspirons de façon claire à l'adhésion à
l'Union Européenne, nous nous trouvons dans un curieux état
de flottement qui ne satisfait personne. Nous mettons nos
institutions en question, alors que pendant des décennies,
nous les avons considérées comme adaptées à notre nation
quadrilingue. La mutation nous fatigue. On reconnaît les
bouleversements au fait que le consensus sur certaines choses
se dissipe avec la nuit, que des valeurs d'hier n'ont soudain
plus cours aujourd'hui. Nous avons vécu cela au DMF de façon
éprouvante. Les nombreux oui à l'initiative sur la
suppression de l'armée en étaient un signe. Durant la guerre
froide beaucoup savait qu'il y avait une sorte d'organisation
de la résistance. Elle était acceptée, parce que la menace
était plausible. Mais à peine la menace avait-elle changé que
cette organisation n'était pas seulement critiquée, mais même
jugée inconvenante et insupportable. La CEP-DMF fut instituée
pour en découvrir toutes les connexions. Ce procès fut
douloureux pour les participants, pour le DMF. Là où,
auparavant, le maintien du secret  était tout à la fois
légitime et évident, on exigeait soudain la transparence. Un
difficile  changement de paradigme se préparait. L'armée  qui
auparavant jouissait de la garantie institutionnelle était
mise à l'enquête par la normalité politique.

4. La maîtrise du changement

Les crises sont toujours des chances. Les problèmes ne sont
pas de malicieux trouble-fêtes, mais des exigences que l'on
doit appréhender de façon positive. Accepter le changement et
anticiper les modifications, c'est aussi encourir des
risques. A une époque où personne ne sait exactement  ce que
l'avenir nous apportera, personne ne peut prédire si les
nouvelles solutions proposées seront exactes à cent pour
cent. On peut bien analyser, esquisser des scénarios et
produire des études, on ne trouvera pas l'absolue vérité. On
devra toujours décider sur la base d'incertitudes, mais on
doit décider. La seule chose sûre, c'est que l'indécision
serait la réponse la plus fausse. On doit cependant élaborer
des stratégies qui soient adaptables, qui ne compromettent
rien, ni ne portent faussement préjudice. L'adaptation sera
dorénavant un processus permanent.

Dans le rapport 90 le Conseil fédéral a proposé une stratégie
de politique de sécurité simple en soi.
Parce ce que notre environnement de politique de sécurité
peut se développer positivement ou négativement, nous
voulons, d'abord, conduire une politique qui favorise les
développements positifs. Nous sommes plus en sécurité si
notre environnement est plus sûr. C'est à ce domaine
qu'échoient notre coopération politique et économique avec
les pays de l'Europe centrale et orientale, notre
collaboration active dans le cadre de la CSCE, ainsi que les
engagements de nos bérets bleus et de nos observateurs
militaires. Les casques bleus auraient renforcé ces activités
de façon significative.
Parce que l'on ne peut jamais exclure les crises et parce que
les développements négatifs restent possibles, il faut,
ensuite, maintenir la performance de notre instrument de
maîtrise des crises. Cet instrument, c'est l'armée.

L'armée a conservé ainsi une place prééminente dans la
politique de sécurité. Il était cependant inéluctable
d'adapter la mission et la structure de cette armée au
nouveau spectre de risques. Les grandes armées de la guerre
froide n'existent plus et avec elles a disparu le risque de
leur attaque massive en direction de l'Ouest. A terme, on ne
peut justifier le maintien d'une armée par des risques
fictifs. L'armée doit être une réponse  à des risques réels,
faute de quoi elle perd sa légitimité politique. Ce qui, dans
une démocratie directe, peut lui coûter son existence. Il
faut aussi considérer bien sûr le fait que la politique de
sécurité est à longue échéance et que chaque oscillation de
l'esprit du temps ne doit pas faire virer de cap. Ceci est
aussi valable pour une armée. C'est pourquoi les
modifications doivent être bien pensées. On ne peut réduire,
aujourd'hui, une armée de moitié, la doubler demain, la
supprimer après-demain et puis la recréer.

Aux anciens officiers généraux, je voudrais dire
expressément, que les réformes ne sont pas des critiques à
leur encontre, au contraire. Nos prédécesseurs ont, à leur
époque, façonné et conduit une armée remarquable. L'armée 61
a rempli sa mission. Mais une nouvelle époque réclame de
nouvelles réponses !
Dans ce pays, beaucoup de choses sont controversées. Une
grande majorité du peuple est cependant de l'avis que dans
une période changeante, il ne faut pas compromettre notre
neutralité. Je partage cette idée. Cependant, l'époque exige
que nous prenions aussi part à la solution des grands
problèmes planétaires. C'est pourquoi la maxime de neutralité
doit être énergiquement flanquée de la maxime de solidarité,
la politique de neutralité doit tenir compte de nouvelles
données.

Mais la neutralité signifie que notre armée doit être à même
de remplir de manière autonome la mission de combat :
maintien de la paix, par une capacité de défense. Avec
l'acceptation d'un nouvel avion de combat, le peuple suisse a
donné un signe important. Armée 95, avec sa doctrine de
défense dynamique  sera en mesure de la satisfaire. L'analyse
des risques a cependant montré que l'extension des missions
de l'armée était nécessaire. Je me suis déjà exprimé quant à
l'importance de la promotion de la paix. Parce que, dans
l'imbrication des crises modernes, les autorités civiles
peuvent très rapidement être débordées, leur appui
subsidiaire par l'armée est une contrainte. Les expériences,
que ce soit lors des conférences à Genève, lors de la
catastrophe de Viège, devant l'ambassade de Turquie ou devant
la prison provisoire de Waid, sont excellentes. L'activité du
soldat est aussi subordonnée à un changement de paradigme.
Anéantir et détruire sont des parties d'un vocabulaire devenu
trop restreint. Protéger, sauver, aider doit être la nouvelle
devise. Naturellement la polyvalence de l'armée est
exigeante. Je suis cependant convaincu que notre milice
maîtrisera le problème.

5. La milice entre changement et pérennité

Même dans les réformes tout ne doit pas changer. Il y a des
constantes qu'il faut maintenir. Tout l'art consiste à
décider opportunément entre les valeurs à conserver et celles
à modifier. Nous avons essayé de développer la réforme de
l'armée à partir de ce qui avait fait ses preuves. C'est
pourquoi nous n'avons en rien touché au principe de milice.
Nous ne devons pas simplement le jeter par dessus bord. Une
armée de milice sera encore longtemps en mesure de remplir sa
mission, parce que la milice repose sur la plus grande
représentativité du pays. Vous démontrez et prouvez que la
milice fonctionne encore. Vous accomplissez volontairement
énormément pour notre pays. Vous contredisez la thèse que le
sens commun est mort dans ce pays. Ceci déjà est important.
Pour cela, pour votre engagement, je voudrais vous remercier
au nom du Conseil fédéral.

Mais je considère encore la milice importante pour une autre
raison : elle est une sorte de réseau qui entrelace toutes
les couches et les secteurs de notre société et contribue
ainsi de façon importante à la cohésion du pays. En période
de rupture particulièrement, la cohésion d'une nation issue
de la volonté commune, mais qui ne dispose ni des forces de
cohésion d'une langue commune, d'une origine commune, ni
d'une confession commune, est particulièrement fragile. On ne
doit pas malicieusement détruire ce qui apporte à la
cohésion. C'est une caractéristique vitale de notre
communauté que les citoyennes et les citoyens ne délèguent
pas facilement des fonctions centrales à une caste
particulière, mais qu'ils les assument eux-mêmes selon le
principe de milice. Qui veut façonner la structure de notre
Etat d'après de seuls critères d'efficience économique, n'a
rien compris à l'essence  d'une nation issue d'une volonté
commune. Il la met en danger. Ceci n'est pas seulement
valable pour le principe de milice, mais aussi, par exemple,
pour la démocratie directe et pour le fédéralisme.

Une armée de milice a, naturellement, aussi ses désavantages.
L'un d'entre eux est son inertie face à l'adaptation. Il faut
du temps jusqu'à ce qu'un nouveau matériel soit introduit et
maîtrisé, jusqu'à ce que de nouvelles procédures d'engagement
soient entraînées. On ne peut pas réformer en permanence une
armée de milice. Il en résulte un conflit d'objectifs avec
les exigences précitées d'une adaptation permanente. Nous
devons le résoudre, en ne prévoyant des interventions
profondes qu'après de longs intervalles de temps et en
engageant des phases de consolidation entre les réformes.

Ni l'armée 95, ni un nouveau DMF, n'auront une valeur
éternelle. Nous avons consciemment conçu l'un et l'autre de
manière à pouvoir les adapter plus facilement que ce ne fut
le cas lors des réformes actuelles. Il n'en ira pas autrement
à l'avenir. Les plus récentes données démographiques montrent
que l'effectif de contrôle pour l'armée 95 est garanti
jusqu'à l'an 2005 environ. Comme il est peu vraisemblable que
le report de l'âge limite des obligations militaires soit
alors politiquement réalisable, une nouvelle réduction
d'effectif devrait être probable.
Si jusque là les investissements prévus, avant tout pour
accroître la mobilité sur le champ de bataille, peuvent être
réalisés, une armée plus réduite devrait aussi être en mesure
de remplir la mission, dans le cadre de menaces comparables.

Des réductions d'effectif devraient être alimentées
premièrement sur le compte du domaine de l'appui et non sur
celui de la force de combat.

Je pense personnellement, que cette armée pourra découler
organiquement de l'armée 95 et qu'elle pourra encore reposer
sur le principe de milice. Il va de soi que d'autres modèles
seront aussi examinés, si d'aventure il devenait d'actualité
que les effectifs tombent au-dessous du niveau supportable
pour la milice.

L'armée 95 a une mission adaptée et moderne. Elle peut
remplir cette mission, elle est absolument adaptée à la
situation actuelle, elle peut construire sur l'existant et
correspond à nos traditions.

Il y aurait peu de sens à discuter aujourd'hui déjà de
modèles concrets d'avenir. Quelques conditions cadres doivent
d'abord être connues. Personne ne sait si dans 10 ans ce
seront plutôt les chances ou les risques en politique de
sécurité qui se seront réalisés. Personne ne sait quelle sera
alors notre relation avec l'Europe et son éventuelle
architecture de sécurité. Personne ne sait ce que nous ferons
de notre neutralité, comment le service civil influencera nos
effectifs, ou si un service national remplacera le service
militaire.

Vous comprendrez dès lors pourquoi nous ne voulons pas,
maintenant, entrer activement en matière quant à la réforme
qui suivra la prochaine réforme.

On ne peut pas non plus mettre au provisoire l'armée 95 avant
qu'elle n'ait démarré.

6. Quelques caractéristiques importantes de l'armée 95

Le cheminement vers l'armée 95 ne s'est pas déroulé en droite
ligne du début à la fin. A travers un processus itératif,
nous avons sans cesse remis en question les données
préalables et, là où cela était nécessaire, nous en avons
tenu compte. Ainsi pouvions-nous intégrer à loisir les
nouvelles connaissances résultant d'une analyse constante de
la situation. C'est pourquoi certaines modifications sont
apparues par rapport à la conception initiale. Le reproche
qu'armée 95 ait été conçue encore à l'époque de la guerre
froide est infondé. Nous avons réduit d'un mois le nombre de
jours de service pour le soldat, comme à beaucoup d'endroits
à l'étranger. Mais la nouvelle législation militaire est
aussi flexible à cet égard. En cas d'accroissement du risque,
le Conseil fédéral peut élever l'état de préparation et
d'instruction. Nous avons également modifié la répartition
des jours de service sur les années d'astreinte au service.
En lieu et place de nombreux cours de répétition de brève
durée comprenant un dimanche de service, le gros de l'armée
effectuera les CR traditionnels selon un rythme bisannuel. De
brefs cours de répétition engendrent trop de temps perdu pour
la mobilisation et la démobilisation. Sous l'aspect de l'état
de préparation cette solution s'avère indispensable.
Naturellement, l'année intermédiaire a un désavantage
pédagogique. Les critiques devraient cependant penser au fait
que la landwehr a maîtrisé sans problème ce rythme
d'instruction, que le soldat de l'armée 95 effectuera deux
cours de répétition de plus et restera incorporé plus
longuement que ce qu'il effectuait précédemment dans l'élite,
que durant l'année intermédiaire les formations blindées
s'entraîneront sur simulateur, et que les cadres seront mieux
préparés à leur tâche par une instruction plus longue comme
sous-officiers, par des cours préparatoires de cadres plus
étendus, par des CTT durant les années intermédiaires. De
plus, le raccourcissement de la durée des écoles de recrues
et le rythme bisannuel offrent plus de possibilités
d'utilisation pour l'instruction, d'une infrastructure
équipée de façon professionnelle. Nous voulons également
améliorer constamment cette infrastructure. Tout ceci devrait
compenser les désavantages.

L'armée 95 doit bien entendu continuer à vivre avec le
matériel qui existe aujourd'hui. Il est, pour la plus grande
part, d'actualité. Notre infanterie est l'une des mieux
iquipée du monde. Les premiers chars de grenadiers sont
commandés. Des systèmes d'armes tels que le Léopard, le
Stinger, le Tow-Piranha ou le Rapier sont des produits de
pointe. Le F/A-18 est sur la chaîne de montage. D'autres
importantes acquisitions suivront. Nous pouvons soutenir la
comparaison, même si des lacunes subsistent.

Une armée ne se composent pas seulement d'organigrammes et de
matériel. Les gens qui la composent doivent lui donner vie.
Ils doivent maîtriser les armes, ils doivent maîtriser la
doctrine, ils doivent maîtriser les engagements de l'armée.
La doctrine est consignée dans la conduite opérative et dans
la conduite tactique. Elle doit maintenant s'installer dans
les têtes. La marche du service se dirige selon un règlement
de service moderne, adapté à notre époque. Une nouvelle
culture est demandée dans l'armée. Elle doit être conçue pour
des adultes, y compris pour les apprentis dans les écoles de
recrues.

Pour l'instruction 95, d'importants préalables sont acquis.
La préparation d'une infrastructure moderne a commencé. Le
problème du manque d'instructeurs, lancinant depuis des
décennies, allant même parfois jusqu'à être utilisé comme
échappatoire pour excuser des lacunes existantes, devrait
bientôt être résolu une fois pour toute. Le chef de
l'instruction a quantifié son besoin en instructeurs et en
personnel spécialisé sans statut d'instructeur.
Parallèlement à la réduction prévue du personnel,
l'accroissement dans ces domaines devrait être possible en
quelques années.

Je sais que beaucoup de commandants ont des difficultés de
motivation, ce que l'on pourrait désigner par : crise du sens
de l'armée. Il n'y a plus d'ennemi concret en vue, ni aucune
menace militaire concrète à évoquer.  Malgré tout, la mission
de défense demeure la principale mission de l'armée, celle
qui a la priorité du point vue de l'importance des forces.

L'entraînement doit avoir lieu, sans savoir si ce que l'on
apprend sera jamais employé. Mais en fait, cela n'a rien de
nouveau. C'était déjà le cas durant la guerre froide : être
capable de combattre pour ne pas devoir le faire,
indépendamment de l'actuelle probabilité d'une menace.

Ceci encore : l'instruction au service de la paix est un cas
réel et concret. Elle a  aussi besoin des meilleures
conditions préalables matérielles  et personnelles et elle a
besoin du plein engagement de tous les cadres de milice et
professionnels.

Mais une armée qui estimerait plus importante l'instruction
que l'engagement serait une contradiction en soi. Pour 5
milliards de francs par an, le peuple attend aussi une armée
qui soit en permanence prête à des engagements dans un
service d'appui. Je dis cela à ceux qui auraient encore de la
peine à se familiariser avec les nouvelles missions.

7. De la réforme du Département

Après l'armée, il faut aussi réformer le Département. L'armée
sera réduite d'un tiers. 2 à 3 millions de jours de service
seront accomplis en moins chaque année. Il en résulte une
réduction des besoins quantitatifs en matière d'exploitation,
de production, de maintenance et d'entreposage.  Sous la
pression croissante des finances, la séparation entre ce qui
est seulement souhaitable et ce qui est absolument
indispensable s'est clairement déplacée en direction de la
seconde catégorie. Finalement, le Département doit être
équipé pour faire face à tout changement ultérieur et être en
mesure de se développer, que ce soit dans le cas de la
réforme gouvernementale ou dans celui de modifications
ultérieures de l'organisation de l'armée.

C'est pourquoi, de haut en bas, sans recoin protégé, sans
tabou de principe, le Département doit être scruté,
questionné, soumis à examen dans un processus de réforme.
Nous voulons créer un plus petit Département, hautement
performant, efficace et orienté vers la clientèle. Le
"client" est ici la troupe, la citoyenne et le citoyen. Le
DMF est là pour l'armée et non l'inverse.

Cette réforme est une chance historique et une motivation qui
donne des ailes. Nombre de collaborateurs voient cela ainsi
et tirent à la même corde.

Mais innovations, réformes et bouleversements, engendrent
aussi des craintes. Des craintes quant au maintien de
l'acquis, quant à la carrière, quant à la place de travail.
C'est pourquoi il y a aussi, dans le Département, à côté d'un
esprit d'ouverture, l'insécurité, la peur et une résistance
passive.

Cependant, le statu quo quant aux places de travail ne sera
jamais maintenu par l'entêtement. Seules les places de
travail qui offrent une perspective d'avenir sont des places
de travail sûres. J'ai la ferme intention de réaliser cette
réforme avec ceux qui la veulent et malgré ceux qui s'y
opposent !

L'Organe de direction qui s'est déclaré, par une décision de
principe, en faveur d'un nouveau modèle de forces armées
helvétiques, est convaincu qu'il apporte un net progrès.

L'état-major général reste l'instrument de planification et
de conduite. Il élabore la doctrine et les données militaires
préalables. Il dispose d'un état-major de conduite, engage
l'armée dans la phase précédant la nomination d'un commandant
en chef et gère le tout au moyen de son propre "controlling".

Le chef des "Forces terrestres" (dénomination provisoire) est
le responsable le plus élevé de l'instruction et des
prestations de service de l'armée. Pour la première fois dans
l'existence de l'armée suisse, la funeste zone intermédiaire
entre l'armée d'instruction et l'armée de campagne est ainsi
supprimée. Par son droit à donner des directives aux corps,
le chef des "Forces terrestres" peut ainsi réaliser une
instruction unitaire dans toute l'armée. C'est
particulièrement important si l'on se réfère à la doctrine de
la défense dynamique qui prévoit que chaque corps de troupe
doit pouvoir être engagé conjointement avec n'importe qui,
n'importe où en Suisse.

Les "Forces terrestres" disposent de l'ensemble de
l'infrastructure d'instruction, ainsi que de la logistique et
des prestations de service qui s'y rapportent. L'aviation
reste fidèle à son système éprouvé jusqu'à la "flight-line".
C'est du reste sur ce modèle qu'ont été conçues les "Forces
terrestres".

Les corps d'armée tendront de plus en plus à devenir des
circonscriptions de défense avec une ligne directe dans les
cantons, les régions et la troupe. Les commandants de corps
demeurent cependant co-responsables par leur appartenance à
l'Organe de direction, pour les décisions de principe dans le
Département.

Il est facile de répondre à la question brûlante de savoir
qui est le plus élevé, du chef de l'état-major général ou du
chef de l'instruction. Les deux ont gagné, car la conception
du système et du processus réévalue chaque fonction et lui
apporte  compétence et moyen pour mieux la remplir.

Sous la dénomination "Support" (dénomination provisoire)
s'élabore une conception logistique propre à optimaliser le
potentiel industriel, qui élimine les doublons et les
activités parallèles identiques et active un potentiel
considérable de rationalisation en argent et en places de
travail.

Nous avions initialement l'objectif de réduire de 3'000 les
places de travail. Ce sera nettement plus. Quelque 2'300 ont
déjà été supprimées à ce jour.

Permettez moi encore un mot à propos des finances !
Le déficit des finances de la Confédération est aujourd'hui
d'un ordre de grandeur qui n'est plus durablement
supportable, sans que le service de la dette obère une part
toujours croissante du revenu fiscal et réduise d'autant la
marge de manoeuvre politique. Il en résulte une pression pour
des taux d'intérêt plus élevés, la confiance dans la place
financière s'effrite et, finalement, la charge économique est
reportée sur nos enfants. L'assainissement des finances
fédérales est dans l'intérêt supérieur du pays. Que le DMF
doive y contribuer relève de l'évidence. La stabilité
intérieure du pays serait aussi mise en danger si l'Etat
social était démantelé dans le seul but de maintenir une
armée dispendieuse.

Du point de vue de la politique de sécurité, une réduction
réelle, adaptée, des dépenses militaires était acceptable à
l'issue de la course aux armements.

Par rapport à 1990, les dépenses du DMF jusqu'en 1995 ont
diminué de 19%. Jusqu'en 1998, elles le seront de 22%, voire
même de 25% dans le domaine des investissements. Nous avons
fait ce qui était possible, nous avons accompli notre devoir.

Si nous pouvons maintenir notre situation actuelle en termes
réels, la réalisation d'Armée 95 devrait encore être
possible, compte tenu de la probable réduction des effectifs
ces dix prochaines années. Mais si nous devions être encore
plus mis à contribution, alors le Conseil fédéral et le
Parlement devraient prendre acte du fait que
l'accomplissement de la mission deviendrait problématique. A
l'étranger, on pourrait se poser la question de savoir
comment la Suisse entend rendre effective sa souveraineté !

C'est pourquoi je dois me défendre contre le pillage du
budget militaire !

Du reste, l'analyse des structures des finances fédérales
démontre rapidement que l'assainissement sur le seul dos de
l'armée ne serait tout simplement pas possible. Entre 1990 et
1994, les domaines de l'éducation et de la recherche ont
augmenté nominalement de 34%, l'étranger de 39%, le trafic de
37% et le social même de 61%, alors que la défense nationale
diminuait de 1%. Si l'on pense que le bien-être social est le
plus important secteur avec 26%, et le trafic, le suivant en
ordre d'importance avec 15%, on voit bien d'où vient le
déficit. Sans une rupture de croissance des domaines
principaux, le ménage fédéral ne peut être remis en ordre. Et
ceci nous concerne tous !

8. Conclusion

L'armée la mieux équipée et la mieux structurée n'a de valeur
que par ceux qui l'animent. Les gens qui vous sont confiés
sont bons. Il est faux de prétendre que nos jeunes sont pires
qu'autrefois. Pour le reste, je suis aussi convaincu que
notre peuple a encore et toujours la force nécessaire pour
résoudre les durs problèmes de notre temps. Vous, Mesdames et
Messieurs, portez la responsabilité que l'armée 95 soit
rendue vivante. Vous devez instruire, exiger, motiver,
conduire. Faites-le sans amertume, avec courtoisie, équité et
humanité. Faites preuve, en conduisant, de flexibilité,
d'esprit d'innovation et de fantaisie. Pensez aussi que le
soldat ne jugera pas l'armée d'après un prospectus sur papier
glacé ou d'après de beaux discours, mais par ce qu'il vivra
au service. De cela vous êtres responsables. La réforme ne
réussira que si vous vous y engagez de toutes vos forces. De
votre travail dépendra le fait que notre peuple soutienne ou
non son armée. La tendance est bonne. Nous savons, d'après de
données éprouvées, que l'acceptation de l'armée a commencé à
baisser au temps de la guerre froide déjà. Cette tendance
s'est maintenue après que la guerre soit réapparue en Europe.
Puis cette tendance s'est stabilisée et même, depuis l'an
dernier, on peut constater une tendance marquée vers le haut.
L'armée gagne à nouveau en considération et en approbation, y
compris auprès des jeunes qui ne sont pas en reste. C'est
réjouissant en des temps où - et c'est aussi mesurable - la
confiance en l'autorité diminue clairement. Cela prouve que
nous sommes sur la bonne voie de par nos réformes et de par
nos nouvelles réponses à une nouvelle situation de risques.
Il vous appartient de veiller à ce que cette tendance se
maintienne. C'est particulièrement important alors que,
bientôt, nous allons à nouveau devoir nous battre devant le
peuple pour une armée crédible !

J'observe ce qui est peut-être le plus important rapport
d'armée depuis l'existence de l'armée suisse. Tous les
commandants des grandes unités et des corps de troupe,
jusqu'au niveau bataillon et groupe, sont rassemblés. Je me
réjouis d'y voir, en nombre malheureusement trop restreint,
mais d'autant plus motivées, des femmes en uniforme. Les
chefs de l'administration militaire sont là, qui ont devant
eux la difficile réforme du Département. Les représentants
des 26 Etats confédérés témoignent d'un fédéralisme vivant
dans l'existence de la défense. Je remercie les
parlementaires présents de leur soutien. Les attachés de
défense étrangers symbolisent l'internationalité du
militaire. Nos aînés, femmes et hommes, prouvent par leur
présence, leur volonté de soutenir moralement la génération
responsable aujourd'hui. De tout cela nous sommes
reconnaissants, nous en avons besoin.

Vous tous êtes prêts à assumer votre responsabilité pour
notre nouvelle armée, pour notre pays. Il vous reste à donner
à cette nouvelle chance une forme crédible et utilisable.
Aussi longtemps que notre patrie pourra compter sur des
femmes et des hommes qui sont capables de faire passer le
bien du pays avant leur position personnelle, je considérerai
notre avenir avec confiance. Je compte sur vous et vous
remercie pour votre bon engagement !